mercredi 15 septembre 2021

Chronique des maîtres ignorants (1)


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Introduction
 

En juin 2021, j’ai passé l’agrégation de mathématiques. Me voilà donc enseignant-stagiaire : à mi temps enseignant dans un lycée, à mi temps étudiant à l’INSPE (Institut national supérieur du professorat et de l'éducation, anciennement IUFM, mais ce truc change de nom à chaque ministère ; c’est l’institut qui est supposé former les professeurs).

Si mes premières impressions au lycée avec les élèves sont plutôt bonnes, il n'en est pas de même à l'INSPE. Je suis assez époustouflé par la bêtise infinie de nos formateurs. J'ai déjà eu de nombreux mauvais professeurs, mais la plupart du temps c'était à cause de leur frustration, d'un manque de travail en amont de leur part, souvent les deux, mais rarement à cause de leur bêtise pure ; à l'INSPE je pense avoir affaire à d'authentiques crétins complètement formatés et moulés dans l'appareil bureaucratique de l'État aliéné par le capital.

Comme je suis payé pour assister à ces formations, j’en profite pour noter tout ce que j’entends, autant faire l’analyse critique détaillée de tout ce qui se passe à l’INSPE. Pour l’instant, je livrerai ici mon témoignage de ma formation à l’INSPE. Cela se fera sous la forme d’une présentation de la situation, de dialogues retranscrits le plus fidèlement possible à la réalité empirique, et de réflexions. J’accumulerai ce matériau empirique au fur et à mesure, et quand j’aurai un peu plus de recul, je ferai une synthèse.

 

Rentrée des stagiaires

Le jour de la rentrée des stagiaires, les inspecteurs nous parlent de nos inspection par le tuteur, par l’inspection et par l’INSPE.
« Ca n'est pas pour vous fliquer, c'est pour vous accompagner » ; il faut alors comprendre : c'est pas pour vous accompagner, c'est pour vous fliquer.


Encadrement de stage

Ce sont des petites séances par groupes de 15 stagiaires environ, encadrées par une formatrice.
Les séances se font de manière relativement « informelle », ce sont beaucoup de discussions où l’on raconte sa vie et on n’apprend pas grand-chose.

Au premier cours, notre formatrice propose une discussion : « selon vous, qu’est-ce que faire des mathématiques ? » (projeté sur powerpoint évidemment)
On discute, des collègues proposent des choses, puis la formatrice tranche : elle passe à la diapositive suivante qui contient ceci :
« Faire des mathématiques, c’est résoudre des problèmes ».
Bien. Pourquoi pas. La proposition est intéressante. Un « honnête homme », surtout mathématicien, eût attendu une démonstration rationnelle de cette proposition. À savoir : qu’appelles-tu faire des mathématiques, qu’appelles-tu résoudre des problèmes, et en quoi y a-t-il identité entre les deux termes ? Mais ce serait trop espérer des formateurs de l’INSPE qui, comme on le verra plus tard, sont des crétins zombifiés qui ont une haine viscérale de tout ce qui est un tant soit peu théorique et réfléchi. Ainsi, la formatrice de passer à la diapositive suivante de son somptueux powerpoint de pédagogiste. Cette diapositive contient des extraits de divers bulletins officiels, de programmes scolaires, etc. en lien avec l’enseignement des mathématiques. On y voit des extraits de phrases dans lesquels sont surlignés moult fois « faire des problèmes ». CQFD : tout ce qui est vrai est ce qui est écrit sur les bulletins officiels, et tout ce qui est écrit sur les bulletins officiels est vrai. Telle est la logique religieuse bureaucratique des abrutis moulés dans l’appareil d’État aliéné par le capital, j’ai immédiatement compris que c’est cette même « logique » religieuse qui dicterait absolument toutes les formations de l’INSPE ainsi que l’état d’esprit des inspecteurs.

Au cours suivant, elle demande de voir les manuels avec lesquels on travaille. En voyant le mien :
« Ah celui-là il est trop nul, regarde, ils font les nombres en premier, on faisait comme ça y’a 20  ans !
- Et alors ? Répondis-je.
- Mais enfin, 20 ans !!!!
- Ce n’est pas un argument. Ce n’est pas parce que c’est vieux que c’est mauvais.
- Mais enfin ??? Au bout de 20 ans, il serait peut-être temps de s’adapter ?
- Mais s’adapter à quoi ?… »
Pas de réponse. Blanc d’environ cinq seconde de la part de la formatrice, puis elle conclut la conversation avec une forme de colère contenue : « de toute façon ça marche pas, on le sait » puis va voir quelqu’un d’autre.
En fait, son incapacité à me dire à quoi il faudrait s’adapter montre qu’il n’y a aucun contenu dans son esprit et son discours, il n’y a que de la doxa : ce qui est récent est bon, et ce qui est bon est récent (ou comme disait Debord : « tout ce qui apparaît est bon, et tout ce qui est bon apparaît »). Le métier de ces gens-là est de se faire courroie de transmission des dernières élucubrations à la mode du ministère. Et nous, on n’est que les petits fonctionnaires obéissants qui exécutons les ordres sans réfléchir.
Si j’avais pu penser plus vite et si j’avais eu la bonne répartie, et en connaissant son âge, j’aurais pu lui faire remarquer qu’elle avait elle-même été formée par les méthodes d’il y a vingt ans qu’elle décriait tant… Mais bon à ce stade on n’en est pas à une contradiction près.


Le principe de la « question flash », dont les formateurs de l’INSPE raffolent : il s’agit de questions projetées sur powerpoint (évidemment) très rapide, et les réponses se font sur ardoises, voire avec des techniques numériques un peu ridicules que j’ai la flemme de décrire ici. C’est pour « réactiver les savoirs » et « travailler les réflexes ». Le but n’est pas de former des esprits critiques capables de produire une réflexion longue et profonde, le but est de fabriquer des automathes à la chaîne (Voir Stella Baruk, L’âge du capitaine, de l’erreur en mathématiques, Seuil, pour une définition des « automathes », ces pauvres élèves qui ont été formatés à exécuter des opérations de manière automatique sans réfléchir ni sans savoir pourquoi.).

Leçons sur la « préparation de séquence ».
Il faut lister les connaissances et les capacités du chapitre. Attention !!! En bons kantiens qui segmentent tout en catégories débiles, on nous dit qu’il faut bien distinguer les connaissances et les capacités ! Ça n’a rien à voir !!!

À propos du premier contact avec les élèves, la formatrice nous parla en ces termes : « Ma première année, je leur ai distribué la fiche de renseignements, ce truc qui sert à rien. De toute façon je ne les    ai pas lues. » Évidemment, si tu ne lis pas les réponses des élèves, ça ne sert à rien, idiote… Un collègue répond, de manière un peu sarcastique : « Moi je les ai toutes lues, j’ai trouvé ça passionnant. » En fait, je pense que cette formatrice est devenue formatrice parce qu’elle déteste les élèves, elle se fiche complètement d’eux.

Un autre dialogue intéressant. À un moment donné, je feuilletais mon manuel scolaire. Comme il faut donner une idée intuitive de ce que sont les nombres réels aux élèves de secondes, je trouve toujours amusant de regarder comment les manuels scolaires essayent d’arnaquer les élèves en faisant semblant de donner une définition rigoureuse des nombres réels sans la topologie ni les axiomes de Peano ; le résultat est toujours une définition circulaire qui tourne en rond et qui se mord la queue. Cependant, Descartes ne s’en sortait pas si mal que ça avec un point de départ géométrique, à partir des distances sur une droite : soit une droite, je choisis un point sur cette droite que je définis comme origine, puis je choisis un deuxième point, distinct, arbitraire, qui définit une unité et une orientation sur cette droite (les manuels de maths passent toujours sous silence ces étapes fondamentales où l’on définit l’origine et l’unité, ils parlent de la « droite graduée » comme quelque chose de déjà donné). Lorsque je place un point arbitraire sur cette droite, selon qu’il est placé du même côté ou de l’autre côté que l’unité par rapport à l’origine, je lui affecte un signe + ou – respectivement. Et je définis son abscisse comme le rapport entre sa distance à l’origine et celle du point unité, affecté du signe décidé plus tôt. 

Mon manuel, peu soucieux de faire réfléchir les élèves, qu’il s’agisse d’un point de vue historique ou mathématique, propose ceci : « l’ensemble des nombres réels est l’ensemble des nombres x tels que x²≥0 ».  De manière amusée, je dis que je me demande quel genre de pédagogue peut écrire de telles inepties. La formatrice de répondre, en bonne corporatiste : « ah, mais ce ne sont pas des pédagogues, ce sont des professeurs ». Réponse tout-à-fait kantienne qui sépare et dissèque tout à l’infini dans l’unique but de séparer et disséquer à l’infini : les pédagogues (sous-entendus : les pédagogistes qui sévissent à l’INSPE) ne sont pas de vulgaires profs et les professeurs ne peuvent pas prétendre être des pédagogues. Alors pour l’agacer, je la prends dans ses contradictions en lui répondant : « mais si, ce sont des pédagogues, puisqu’ils enseignent. »
Évidemment elle n’a pas répondu et est passé à autre chose.

 

Gestion de classe

Vient ensuite le gros lot : le cours de « gestion de classe et climat scolaire » (avec une autre formatrice). Je décris ici une liste de tous les poncifs que j’ai entendus.

« Bienveillance et gentillesse », « Il faut être dans le non jugement ». « Partager ensemble » (je me demande bien ce que ça veut dire que de partager mais pas ensemble...).
La citation qui guida tout le cours fut celle de Philippe Perrenoud : « agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude ». Génial, déjà on pose la base irrationaliste pour bien commencer. En fait, si on récrit la citation à l’envers, on obtient quelque chose de parfaitement cartésien : « agir de manière calme et réfléchie, décider à partir de certitudes démontrées scientifiquement. » Et là tout de suite ça a l’air plus intéressant… Donc c’est évidemment absent de l’enseignement de l’INSPE. (En cherchant un peu, j’ai constaté qu’il avait écrit des travaux sur la « pédagogie de projet » et sur la « différentiation pédagogique »…. ça commence très mal.)
Finalement, la « lecture symptômale », ça fonctionne plutôt bien chez les fous de l’INSPE : en disant systématiquement le contraire de ce qu’ils racontent, on obtient des choses intéressantes dont ils ne veulent surtout par parler.

« Il faut une grande adaptabilité, une grande capacité d’adaptation »
« Ce sont des savoirs pratiques théorisés à partir de l’expérience » qu’est-ce que ça veut dire ??
Vient une bibliographie. Elle nous indique le site de Philippe Watrelot. Je consulte rapidement sur internet, le type a écrit un livre intitulé : « je suis pédagogiste ». Tout est dit.

Quelques phrases amusantes de la formatrice :
« L’empathie en classe. » 
« L’idée c’est ça, enfin, c’est magique quoi. »
« Créer un environnement capacitant ».
« Respecter la zone proximale de développement ».

Au début, elle nous parle d’isomorphisme pédagogique. Je prends la parole pour dire que je sais ce qu’est un isomorphisme en mathématiques, mais pas en pédagogie, et que j’aimerais bien un éclaircissement. L’isomorphisme pédagogique, c’est quand un formateur utilise dans son cours même des pratiques pédagogiques que nous  pouvons réutiliser dans nos classes. Plus tard, entre nous, des collègues ont ironisé qu’en fait, l’isomorphisme pédagogique, ça servait à ne surtout pas reproduire dans nos propres cours les conneries qu’on voyait dans les cours de l’INSPE. Tout comme moi, les collègues ont donc compris que pour extraire de l’information des cours de l’INSPE, il faut tout comprendre à l’envers, la religion étatique procède toujours par inversion idéologique : tout ce qui est dit est faux et est le contraire de la vérité. Par exemple, le jour de la rentrée, des inspecteurs ou le recteur (je ne sais plus) nous ont dit : « malgré la continuité pédagogique, les confinements ont entraîné des retards d’apprentissage chez les élèves ». Ce terme de « continuité pédagogique » m’avait choqué dès mars 2020 : ce qu’ont vécu les élèves relevait d’absolument tout sauf de la « continuité pédagogique », ce mot a été inventé en urgence par des  curetons bureaucrates du ministère pour cacher la misère… Bref, retraduisons la phrase des inspecteurs en langage compréhensible : « malgré la continuité pédagogique, les confinements ont entraîné des retards d’apprentissage » doit se lire : « à cause de la discontinuité pédagogique engendrée par les confinements, les élèves ont pris du retard dans leurs apprentissage. » Ah, tout de suite, on comprend mieux ce qui s’est passé !

Après un bref charabia insignifiant et sans intérêt, on passe évidemment à des activités en groupe, faudrait pas que la formatrice se fatigue trop à nous instruire, ça serait dommage. Pour commencer, il faut faire des espèces de schémas géants sans intérêt qui portent un nom très « startup » qui m’échappe (probablement un truc avec « map » ou « mapping » dedans), où on écrit au centre : « gérer une classe, c’est... », et on doit ramifier avec des mots-clefs. Puis chaque groupe passe devant les autres pour exposer narcissiquement son introspection rapide (flash?), comme si on pouvait élaborer des choses intéressantes en moins de 15 minutes… Mais du coup on passe des heures à écouter les élucubrations superficielles de tous les groupes les uns après les autres, qui ont à peine commencé à réfléchir sur le sujet, et donc on n’apprend strictement rien.
Encore que, on pourrait dire qu’on apprend l’idéologie spontanée des jeunes profs quand ils n’ont pas le temps de réfléchir. Voyons un exemple.
Dans cette salle, il y avait des professeurs de différentes disciplines, dont des « professeurs documentalistes ». J’ai été triste de voir à quel point leur formation leur lavait le cerveau avant même de passer leur concours de recrutement. Je me demande ce qu’on enseigne à ces pauvres gens dans le détail, mais j’en ai eu une démonstration affligeante. Voici des phrases de ce que j’ai entendu dans un groupe majoritairement composé de « profs documentalistes ».
« Tout le monde a entendu parler beaucoup de la pédagogie différentiée ».
« Ça veut dire quoi pédagogie projet ? En fait on les met en activité, pour qu’ils acquièrent des compétences en réalisant quelque chose qui leur parle. »
« On est assez agile ».
« Les projets c’est des partenariats. »
« Qui dit projet, dit coopération, donc collaboration, donc partenariat, donc objectifs, et voilà. »
On dirait des bébés macrons, tellement adorables que j’ai envie de leur fracasser leur crâne pour en sortir le pus qu’on leur a injecté de force.

La formatrice nous fait passer à autre chose. « On fait la pause, et après on fait une toute petite synthèse théorique, mais pas trop longue, et pas trop théorique. » Encore une fois, ça serait dommage qu’on apprenne quelque chose de ces formations… Comme je disais, il y a une véritable haine de tout discours qui contient quelque chose de non vide, une haine de ce tout qui est théorique.
Malgré cela, elle ébauche le fondement théorique du cours : « la gestion de classe, les règles de la classe, reposent sur des valeurs. »
Bien. Pourquoi pas, mais alors qu’appelles-tu « valeur » ? N’oubliez pas cela, nous y reviendrons à la fin.
Évidemment la question est rhétorique. On sait que terme « les valeurs » est très casse-gueule, et surtout qu’il a été complètement invalidé par Hegel dans sa critique de la moralité subjective, et surtout par Marx qui a dissous toutes les valeurs dans sa critique de la valeur (pendant que Nietzsche essayait de toutes les renverser pour les remplacer par d’autres « antivaleurs », ce qui était complètement vain et a complètement échoué, et l’a rendu fou). Si parler de « valeurs » a pu avoir un intérêt dans le développement historique de l’idéologie du capital révolutionnaire en formation au sein de la féodalité, après Hegel et Marx, désormais, tous les philosophes qui tournent indéfiniment en rond autour des « valeurs » perdent leur temps dans un onanisme intellectualiste universitaire. Et encore, les imbéciles heureux de l’INSPE ne méritent pas d’être appelés philosophes.

Viennent ensuite différentes digressions sur la concentration des élèves, sur le fait qu’il faut changer de rythme pour garder leur attention. Elle prend un discours de science cognitives et neurologiques.
« Qu’est-ce qui va activer votre cerveau ? »
« La respiration est un point d’encrage. Quand mes élèves sont trop dissipés, je les fais respirer lentement trois fois, tous ensemble, parfois plus si c’est nécessaire. »
Et là (isomorphisme pédagogique!!!) elle nous fait respirer. Quelques fayots suivent le mouvement, mais la plupart la regardent d’un air gêné.
« Il y a plein d’autres pratiques avec de la méditation de pleine conscience qui sont très intéressantes aussi. » Comme dit Dominique Mazuet, la méditation c’est très bien, mais moi, je préfère la réflexion...

Ensuite, on nous remet en activité par groupes. Rien que l’énoncé des consignes est burlesque. Je cite : « Je vous distribue des cartes avec des situations. Vous rangez ces situations en trois catégories. Pas deux, pas quatre, trois. Vous savez, je suis prof de SVT, et nous en SVT, on aime bien ranger des choses dans des catégories. »
Coucou Kant. Encore toi. Décidément, l’Éducation Nationale t’adore.

Après l’énumération débile des stupidités catégorielles du rangement des « situations » dans des « valeurs » par chaque groupe (et ça a encore pris un temps fou pour brasser du rien), la formatrice conclut le cours. Vous vous rappelez quand j’ai dit que les règles et la gestion de classe reposaient sur des valeurs, et que c’était le fondement théorique du cours ? Bien. Maintenant, voyons si nous avons avancé dans la recherche de ce que signifient ces valeurs. Voici ce que j’ai entendu :
« Dans les 14 compétences des professeurs, y’a un onglet, le rôle du professeur, c’est de faire respecter la loi, c’est dans ses valeurs, en tant que fonctionnaire. Ça, c’est pas discutable. Mais après, y’a des situations où ça dépend. ».
« C’est des choix qui dépendent de mes valeurs personnelles, dans ma gestion de classe. »
« Quand on est dans son cours, on est toujours incertain. » (toujours ce bon vieil irrationalisme, il nous avait manqué)
« Donc, quelles sont les solutions ? Quelles sont vos valeurs ? »
Et voici donc la conclusion du cours :
« On va se questionner sur nos valeurs. »
Et c’est sur cette somptueuse queue de poisson que se termine le cours.Résumons : les règles de classe, la gestion et le climat de la classe, sont fondées sur les valeurs. Mais en fait, ces valeurs, elles n’ont aucune définition, on doit se questionner sur nos valeurs personnelles. Donc, en fait, le contenu de ce cours est absolument vide, on n’y a strictement rien appris. On ne sait toujours pas ce qu’est une valeur, ce qui est tout de même censé être le fondement de tout le reste, rien que ça.

Malheureusement, je n’ai pas réussi à trouver le bon intervalle de temps pour poser la question piège : « pouvez-vous expliquer ce que vous appelez une valeur ? » Je le ferai peut-être la prochaine fois.

Une dernière remarque pour conclure. Les organisations « de gauche », surtout revendiquées d’ « éducation populaire » (comme Réseau Salariat et tous les groupies de Franck Lepage) adorent faire ce qu’ils appellent des « ateliers d’éducation populaire » qui sont très « horizontaux ». J’ai déjà participé une ou deux fois à ce genre de pratique narcissique infantilisante à Réseau Salariat il y a quelques années ; j’ai très vite compris que le contenu était vide et qu’on n’y apprenait strictement rien. Mais ce qui m’amuse le plus, c’est la similitude très étroite entre les pratiques pédagogiques de nos « rebelles radicaux de gauche » et l’Éducation Nationale, une des institutions les plus réacs de l’État aliéné par le capital, tant décriée par ces organisations « de gauche » ! Encore un élément qui prouve que le gauchisme est le meilleur allié du capital, il a exactement la même idéologie libérale.

Anecdote amusante. En sortant de ce cours vide, je discute avec quelques collègues. L’un d’eux était du même avis que moi sur la nullité absolue de ce cours, mais un autre collègue un peu plus « bon vivant » me dit : « moi j’ai bien aimé, c’était sympa de discuter avec les collègues.
- D’accord, mais est-ce que tu as appris quelque chose ? » Lui rétorquai-je. Il fut obligé d’admettre qu’il n’avait strictement rien appris. On est donc payés à déblatérer des platitudes de discussions de comptoir, pas pour se former avec du savoir véritable instruit par des professeurs qui ont travaillé sur un contenu déterminé.

 

Séance de « numérique en classe ». 

À un moment la formatrice discute avec un collègue sur des choses aussi insignifiantes que l’usage du symbole $ dans le tableur pour fixer une cellule. Le collègue insiste pour tenir narcissiquement son point que le $ n’est pas fondamental pour enseigner, qu’il y a d’autres méthodes. La formatrice répond avec un aplomb ultra certain : « Dans le cadre de l’enseignement des maths, le $ est un incontournable. », sous entendu, oui tu as raison, mais pas dans le cadre de l’enseignement des maths. Ce cadre étant évidemment dicté par les bulletins officiels qui sont, par essence, vrais « en pédagogie » (qu’ils soient faux dans le monde réel n’a aucune importance). C’est assez amusant de voir la séparation entre les mathématiques vraies et l’enseignement des mathématiques, et même, leur contradiction.

 

Tutorat.

Histoire de poser l’ambiance : son cours était bordélique, mal préparé, déstructuré, on n’y a rien appris (quelle surprise), et ça s’est terminé en queue de poisson. Mais c’est ce formateur qui doit nous enseigner l’art d’enseigner. Voyons comment il fait.

Après avoir parlé 2 minutes, le formateur s’interrompt et dit : « j’aime pas trop le mode frontal, on va faire un petit U ». Puis on perd 5 minutes à disposer les tables en U. Les tables en « îlots » ou en « U », j’ai toujours appelé ça « meilleure moyen d’attraper un torticolis quand on essaye de prendre des notes ».
On fait un tour de table pour se présenter. Dans la salle, on est trois docteurs côte à côte, dont deux qui sont dans le même lycée, et qui ont fait leur thèse sur le même domaine. Le formateur dit à moitié en rigolant : « ah vous devez saouler les collègues en parlant toujours de ça ! » Et pour ironiser, je dis : « en fait, ceux qui détestent le plus les maths, c’est les profs de maths... » (c’est un trait ironique à plusieurs niveaux : je pense vraiment que la plupart des profs de maths finissent par détester les maths).
Et il nous fait un discours sur les profs de maths qui finissent par oublier les maths autres que celles qu’ils pratiquent avec leurs élèves.
« Les profs oublient les maths difficiles, vous aussi vous oublierez, c’est la loi de la nature. Moi, j’ai déjà tout oublié. » Il le disait presque avec fierté. C’est la manifestation pathologique de la séparation infinie entre les véritables mathématiques et l’enseignement des mathématiques : les professeurs de maths, à force d’appliquer la doctrine abrutissante de l’État, finissent par devenir nuls en maths !!! C’est le comble !!!!

Dichotomie entre didactique et pédagogie : c’est assez flou et mal expliqué. J’y vois surtout encore une catégorisation kantienne bureaucratique pour se donner l’impression qu’on réfléchit alors qu’on brasse de l’air.

Vient la phrase qui résume tout l’INSPE : « Ce que je vais vous dire n’aura quasiment rien de théorique, on va parler de manière très très concrète ». (pour les connaisseurs de Hegel : c’est-à-dire de manière très très abstraite…)
De là, il n’y a que deux possibilités.
1° Ou bien ils nous prennent pour des abrutis incapables d’accéder la théorie et nous demandent d’accepter leur dogme de manière religieuse sans le comprendre (je pense que c’est à partir de ce genre d’ « isomorphisme pédagogique » qu’on fait le plus de ravage dans les classes… quand on est pris pour des débiles, et que par « isomorphisme » on prend ses élèves pour des débiles, on devient soi-même débile, par exemple en devenant un prof de maths qui a oublié toutes les maths).
2° Ou bien ils ont une véritable haine viscérale de tout ce qui est théorique, profond, et vrai. Je pense que les deux sont vrais.  Démonstration du 2° :
« L’idée, dans ce métier, c’est d’accumuler des expériences, des réussites et des échecs ». On est donc totalement dans la fameuse « recherche de sens » à partir d’ « expériences » (de méditation en pleine conscience par exemple?), au détriment de la recherche de la vérité par la réflexion. Cf. la superbe conférence de Bernard Bourgeois sur la Phénoménologie de l’esprit à la librairie Tropiques.
Encore une belle phrase du formateur lorsqu’il annonce son cours :
« On n’est pas là pour faire un cours, on est là pour apprendre dans la discussion, dans le mode de la discussion ».  

« Il y a UNE compétence ENTIÈRE sur les parents d’élèves ». (Ah ça, ils adorent tous les compétences là bas).

Première chose que regarde un inspecteur quand il visite une classe : est-ce que vous avez réussi à les mettre en activité ? « Un élève qui ne fait que gratter du papier n’apprend pas. Un élève qui est en action, apprend. » Écouter un cours et le noter sur un cahier, ça ne serait pas une activité ? Toujours cette haine viscérale du cours magistral. Même si je ne suis pas partisan du tout magistral, son rejet intégral découle de la haine du théorique.  Même si le cours magistral n’est pas mon mode de travail préféré, même si j’entends bien que ce n’est pas le mode d’instruction le plus approprié avec des enfants et des adolescents, j’ai connu de grands professeurs qui font des cours magistraux absolument parfaits, et je serai satisfait si je leur arrive à la cheville un jour (exemple : Bernard Bourgeois). Dans un cours magistral, même si ça peut être un peu pénible à écouter à long terme, le professeur est obligé de préparer un contenu dense, théorique, qui propose une affirmation déterminée et donc analysable et critiquable, et se jette à corps perdu devant son public pour effectuer sa démonstration. Un contenu riche est déployé et rendu accessible à qui est capable de se concentrer suffisamment pour comprendre ce qui se passe. Et ça, c’est difficile à faire, et plus encore à bien faire. Tu m’étonnes qu’ils n’aiment pas ça à l’INSPE… Ils en sont complètement incapables, ces branleurs.

J’ai bien vu que je n’étais pas le seul à peu considérer ce que nous racontait le formateur. À un moment, le formateur nous demande ce qu’on vient observer lorsqu’on visite notre tuteur faire cours. Un collègue répond, de manière aussi triomphale qu’ironique et sarcastique : « repérer ses gestes professionnels ! » Tout le monde éclate de rire.

On discute, et le formateur, parlant de sa gestion de la classe, lâche un magnifique : « quand je n’ai rien à faire, c’est très bien. », ce qui confirme mes soupçons sur la raison de leur haine du cours magistral.

Puis on discute des visites de l’inspection. En rigolant à moitié, il nous dit que faire un devoir sur table le jour de l’inspection ce n’est pas malin, ça peut même être perçu comme une provocation. Pour me moquer, je dis « au moins les élèves sont en activité... » Tout le monde éclate de rire.

Un autre collègue ultra fayot (mais sincèrement, pas comme l’autre qui a fayoté de manière ironique avec les « gestes professionnels »), pour répondre à des questions, nous sort du jargonnage incompréhensible. Impressionné, un collègue à côté de moi dit « ah ben il a tout dit ». Mais je lui répond immédiatement : « oui, mais en même temps, il n’a rien dit du tout. » Et il fut obligé d’acquiescer…
Ce collègue fayot met un point d’honneur à distinguer la pédagogie et la didactique, les évaluations formatives et les évaluations sommatives… Bref l’objectif de l’INSPE c’est de fabriquer industriellement des kantiens qui utilisent les catégories de l’État de manière dogmatique. Et lui il y est déjà.

Après cela, on critique certaines formulations un peu stupides voire complètement erronées qu’on trouve parfois dans les manuels. Mais, en 1ère STMG, il y a une « approche intuitive de la limite », où l’on enseigne qu’une suite tend vers l’infini lorsque ses termes « semblent devenir arbitrairement grands » — avec des objets mathématiques qui « semblent » faire des choses, on est bien avancé. Le collègue s’insurge contre l’absence totale de rigueur mathématique, et le formateur de répondre : « c’est totalement acceptable, parce que c’est le programme. On n’exige aucune rigueur à ce niveau là. On doit être rigoureux, dans la limite du programme. Être rigoureux ici ça serait perdre du temps sur des choses qui ne servent à rien pour les élèves. » Autrement dit, critiquer la stupidité des programmes et enseigner aux élèves de vraies mathématiques qui ne les prennent pas pour des cons, ça ne sert à rien.

Autre poncif entendu. Un collègue raconte ce qu’il a fait, et le formateur, pour commenter : « y’a du bien et du pas bien, comme dans toute chose d’ailleurs. » On est bien avancé avec ça.

Pour conclure : « on s’est dit beaucoup de choses aujourd’hui : on a parlé de compétences. »

Et le cours finit en une somptueuse queue de poisson, le prof, supposé enseigner la pédagogie, supposé montrer l’exemple dans sa gestion du rythme d’une séance avec des étudiants, s’est vautré de manière spectaculaire. On commence une discussion sur comment préparer une séance. Très rapidement, on voit qu’il faut l’inscrire dans une séquence, donc on n’a pas du tout parlé de la séance en tant que telle, mais surtout de la séquence. Pour préparer notre séquence, en premier lieu on doit regarder le programme, en lien avec là où on en est dans notre progression (la « progression » c’est la liste des chapitres qu’on va traiter dans nos classe, et dans l’ordre). Regarder quels éléments du programme on traite. En second lieu, il nous dit qu’on doit préparer le contrôle de la séquence, pour bien identifier ce qu’on doit évaluer et donc ce qu’on doit traiter en cours. Je trouve la pratique de ce second point assez sclérosante et je ne l’appliquerai probablement pas, mais passons.

Le formateur s’interrompt pour nous donner le travail à faire pour la prochaine fois, puis au moment de passer au troisième point, il a un trou de mémoire et ne sait plus ce qu’il voulait nous dire. Donc, pour préparer une séance, tout ce qu’on a appris, c’est qu’il fallait d’abord faire une séquence, et pour celle-ci, regarder les programmes et préparer un contrôle avant de préparer le contenu du cours, point que je trouve très contestable. Sachant que regarder le programme qu’on doit traiter avec les élèves est une trivialité que n’importe quel prof sait déjà, voilà qui résume la profondeur du contenu du cours d’aujourd’hui.

Finalement, le soir même on reçoit un mail avec ce fameux troisième point :

Bonjour,

Tout d'abord, en fin de séance j'ai été déconcentré sur le 3e point concernant la préparation d'une séance.
En fait, j'en avais parlé avant , mais je devais revenir dessus :

3) Réfléchir à la construction d'une séance pour que les élèves soient en activité !


Donc, il n’avait rien de plus à nous dire.
Pour rappel : surtout pas de théorie, ni de discours qui contient quelque chose de non vide.