mardi 11 décembre 2018

Un peu de propagande...


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Lundi 10 décembre, Emmanuel Macron s'est exprimé à la télévision. Il a proposé des mesures en espérant faire croire qu'elles seraient suffisantes pour les gilets jaunes.

Loin d'être suffisantes, nous entendons expliquer en quoi les promesses de Macron ne font qu'aggraver la situation du peuple travailleur de France.


1- Population concernée

D'abord, remarquons qu'une partie considérable de la population n'est pas concernée par les mesures annoncées par Macron. Les chômeurs, les salariés à temps partiel, les gens à salaire légèrement plus haut que le SMIC, les retraités dont le salaire reste gelé, restent assujettis à la hausse de la CSG, ne verront pas leurs conditions de travail et de vie s'améliorer. Les miettes qu'a promises Macron à quelques uns ont pour but de diviser le salariat en donnant des micro-avantages à quelques uns. De plus ces prétendus avantages ne sont que de la poudre aux yeux, comme nous allons le voir.

Pour améliorer les conditions de travail de toutes les classes populaires, nous exigeons que le chômage soit un droit sans conditions à la poursuite du salaire entre deux emplois jusqu’à ce que l’emploi suivant atteigne au moins l’ancien salaire.

Ajoutons que les petites miettes lancées aux retraités ont clairement pour but de les appaiser avant de lancer sa réforme des retraites à points qui sera catastrophique pour l'ensemble du salariat. Nous exigeons la retraite à 55 ans pour toute la population avec poursuite du meilleur salaire de la carrière, et la retraite à 1500€ net si le meilleur salaire de la carrière n'atteint pas ce chiffre.


2- ISF et CICE

Constatons ensuite que Macron ne rétablira pas l'ISF ni ne supprimera le CICE, qui nous coûtera 40 milliards cette année.
Il invoque le fait que faire des cadeaux à la grosse bourgeoisie l'inciterait à plus investir en France et donc à créer des emplois. Nous savons que cette stratégie ne fonctionne pas depuis quarante ans. L’échec du CICE le montre bien, avec seulement 150 000 emploies créés. Cela reviendrait à payer chaque emploi créé par le CICE environ 22 000€ par mois pour l’année 2018... Or les salaires versés par les employeurs sont évidemment beaucoup plus faible. Mais où donc est passé la différence ? Pour un salaire brut de 2000€/mois, cela ferait un taux d'exploitation de 1000 %... De quoi faire trembler la tombe de Marx. Plaisanterie mise à part, il est trivial qu'il eût été plus rentable de verser directement des salaires avec ces 40 milliards plutôt que de les offrir directement à la classe capitaliste.
Mais la macronnie continue dans son aveuglement obscurantiste à croire à cette fable du ruissellement. Les faits ont beau être têtus, la macronnie refuse d'admettre leur réalité. Nous savons parfaitement que payer directement des salaires dans des emplois publics est plus efficace que d'exonérer le patronnat de payer des cotisations, car le capital n'est pas productiviste, sa seule pulsion vitale est l'auto-valorisation du capital sans limites, toujours au détriment du travail vivant. Dans son stade ultime, le capitalisme n'est plus capable de libérer les forces productives et en est une entrave. Cela se manifeste par la désindustrialisation massive de la France, de la multiplication des travaux tous plus inutiles les uns que les autres, sinon même nuisibles, ainsi que la hausse constante du chômage structurel de masse indissociable du capitalisme.
En supprimant le CICE, nous pourrions par exemple embaucher plus de 1,5 millions de fonctionnaires à 2000€ brut par mois. Il est absolument faux d'affirmer que les fonctionnaires coûtent plus cher que l’emploi privé. D'abord, c'est une contradiction dans les termes de parler du "coût du travail" : les travailleurs ne coûtent pas, puisque c'est eux seuls qui produisent la valeur économique. C'est le cas des travailleurs du privé qui en plus de produire de la valeur économique, mettent en valeur du capital, mais c'est aussi le cas des travailleurs de la fonction publique, qui produisent de la valeur économique non marchande reconnue par prélèvement sur l'économie marchande via l'impôt et la cotisation, et comptée dans le PIB en additionnant les salaires des fonctionnaires. Seul le capital est oisif et coûte cher. C'est un vampire dont l'essence est d'aspirer la substance vitale du travail à partir d'accumulation morte de travail vivant déjà aspiré, et qui est d'autant plus assoiffé de substance vitale du travail qu'il grossit. Nous revendiquons que le produit du travail vivant reviennent aux travailleurs et non aux oisifs parasitaires : se passer des capitalistes et verser directement du salaire aux travailleurs qui, seuls, produisent.

Par ailleurs, Macron a peur que la grosse bourgeoisie fuie la France et craint que cela ne bloque toute la production française. C'est parce qu'il a une vision obsolète de l'économie. Si les capitalistes fuient la France, c'est une bonne nouvelle pour nous autres travailleurs. Nous n'avons pas besoin d'actionnaires, ni de prêteurs, ni de grands patrons, pour produire. Si les actionnaires ou les patrons veulent quitter le pays ou vendre leurs entreprises françaises, nous exigeons le droit de préhemption immédiate par les travailleurs eux-mêmes. De plus, nous revendiquons que seules les entreprises appartenant à leurs salariés aient droit aux marchés publics. L'avantage serait double : non seulement les travailleurs seraient motivés par leur travail concret et non pas seulement par leur salaire, puisqu'ils auraient la maîtrise de ce qui est produit, mais en plus, la production elle-même coûterait moins cher car il n'y aurait plus de parasites onéreux à payer : actionnaires, banquiers, grands patrons.
Les capitalistes ont besoin des travailleurs pour s'enrichir, mais les travailleurs n'ont pas besoin des capitalistes pour travailler.



3- SMIC et salariat

Ensuite, Macron a dit qu'il reconnaissait l'insuffisance du service public. Mais “en même temps”, il annonce que la hausse du SMIC ne coûtera pas un euro aux employeurs. Cela signifie que le salaire brut n'est pas augmenté et qu'une partie des cotisations sera supprimée et transférée dans le salaire net, donc notamment que les services publics associés à la santé, au chômage, et à la vieillesse, verront leur budget diminuer. Par conséquent la qualité de ces services publics va baisser, et pourra ainsi justifier leur privatisation, comme cela s'est déjà produit pour la téléphonie et la SNCF. Les 100€ gagnés dans le salaire net, il faudra les reverser immédiatement soit dans l'impôt, soit pour payer des compagnies privées qui se seront approprié les services publics que l'État ne pourra plus payer. Cette mesure donc, est au mieux inutile, mais en réalité rendra la production du service public beaucoup plus difficile. Car non seulement son budget sera diminué puisque le prélèvement immédiat sur l'économie marchande pour le service public à travers la cotisation salariale sera diminué, mais en plus les parties du service public concernées par ces cotisations verront une partie de la baisse des cotisations compensées par un versement des caisses de l'État, ce qui signifie que l'ensemble du service public verra son budget diminuer -- ou au mieux, payé directement par le contribuable par une hausse des impôts. Cela montre bien que la hausse du SMIC proposée par Macron n'est en aucun cas un avantage pour les classes populaires.

Il en va de même pour les primes promises aux bas salaires, qui "ne coûteront pas un euro aux employeurs". Elles seront donc encore une fois payées directement par le contribuable via l’impôt et non par le capital. D'abord, remarquons que, les primes n'ayant rien d'obligatoire, cela obligera les travailleurs à faire du zèle et à cirer les pompes de leurs employeurs pour que ceux-ci daignent leur céder quelques miettes supplémentaires à la fin de l'année, rendant au passage leurs collègues jaloux.

Globalement, toutes les mesures seront payées par les contribuables et non par le patronnat. C'est se bercer d'illusions que de croire que les mesures annoncées par Macron vont améliorer la condition de la classe travailleuse.

Nous revendiquons la hausse générale de tous les salaires bruts, ainsi que leur indexation sur le taux d'inflation. Nous exigeons également une baisse du temps de travail à 30h par semaine et 25h pour les métiers pénibles. Nous exigeons que les heures supplémentaires se voient accompagnées du double des cotisations des heures normales.

En plus de l'augmentation du salaire brut et net, nous exigeons une hausse du taux de cotisation pour renforcer le budget du service public.

Le salaire brut est le seul salaire qui, lorsqu'il augmente, améliore la condition de la classe travailleuse toute entière. Les cotisations reconnaissent par ailleurs la valeur économique non marchande de grandes productions comme la santé, qui ont commencé à instituer une pratique non capitaliste du travail, et qui fonctionne infiniment mieux que lorsqu'elle est privée. Le mécanisme qui rend ces secteurs efficace est la socialisation immédiate de la valeur à une grande échelle au moment où elle est produite, et marque les prémisses de la victoire à l'oeuvre du communisme, mouvement réel de l’abolition des rapports de production capitalistes existants et son remplacement par une production dont le caractère déjà largement social n’est pas aliéné par l’appropriation privée du travail. Le secteur de la santé est mille fois plus efficace lorsqu'il fonctionne de façon socialisée, sans actionnaires, sans prêteurs, sans patrons capitalistes, et sans gouvernement libéral pour le saboter.


4- L'arnaque de la défiscalisation des heures suplémentaire.

Macron nous a proposé de défiscaliser les heures suplémentaires. Une idée qui nous rappelera le bon vieux temps de Sarkozy, et son fameux "travailler plus pour gagner plus". Avec cette proposition, Macron nous dit que si on ne gagne pas assez pour vivre convenablement, nous n'avons qu'à faire des heures supplémentaires. Mais ce n'est pas ce que nous voulions. Nous voulions une augmentation générale des salaires.
Il y a pire : non seulement cette proposition ne correspond pas à nos attentes, mais de plus elle est une nouvelle attaque contre les plus pauvres.
En effet, quels seront les effets d'une telle mesure ? D'abord, du point de vue des travailleurs. Les salariés au SMIC pourront plus facilement compléter leurs revenus avec des heures supplémentaires, certes. Mais cela incitera également les patrons à moins embaucher, aggravant ainsi la précarité et le chômage et augmentant les effectifs de l'armée de réserve du prolétariat.
Du point de vue du patronnat maintenant. Certes, cette mesure est un petit coup de pouce aux PME, qui ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. Mais c'est surtout un énorme cadeau aux très grosses entreprises : TOTAL, RENAUD, etc... bref à la grosse bourgeoisie. Et ce gros cadeau aux gros bourgeois sera financé par la baisse des cotisations, c'est à dire par les hôpitaux et les retraites. Cela veut dire de nouvelles attaques contre les retraités et la santé dans les prochaines années.

Pour résumer, Macron nous dit "Je vous ai compris gilets jaunes, je vais prendre aux vieux et aux malades pour le donner aux riches." Avec cette proposition, Macron nous prend pour des abrutis, pour des illettrés, pour des moins que rien. Il prétend s'excuser, mais en vếrité il nous méprise toujours autant.

Obliger les salariés à travailler pendant des heures supplémentaires pour pouvoir vivre normalement intitutionnalise le grand nombre d'heures de travail dans l'entreprise. En plus de rendre la vie des travailleurs plus fatigante, cela augmente l'exploitation du travail vivant en allongeant le temps de travail. Avec la productivité actuelle, nous pourrions travailler beaucoup moins longtemps par semaine et subvenir aux besoins de tous : en effet, la France n'a jamais été aussi riche. Avec le développement présent des forces productives, rien ne justifie l'obligation des heures supplémentaires pour que les travailleurs puissent avoir une vie digne. Cela ne peut signifier qu'une chose : la classe bourgeoise s'approprie encore plus le produit du travail de la classe laborieuse que lorsqu'elle n'obligeait pas les travailleurs à recourir aux heures supplémentaires pour subvenir à leurs besoins.

Nous revendiquons la semaine de 30h et de 25h pour les métiers pénibles.


5- De la violence

Macron a commencé son discours en accusant les violences des manifestants. Il n'a jamais parlé de la violence de l'État ; il y a beaucoup plus de blessés et même de morts du côté des gilets jaunes que du côté de la police. Le rôle de l'État, lorsqu'il est contrôlé par la bourgeoisie, est de maintenir l'état des rapports de production capitaliste, quitte à user de violence. Du point de vue de la bourgeoisie, l'État détient le monopole de la violence légitime car il sert objectivement ses intérêts de classe. Cela peut être amené à se transformer si le prolétariat se saisit du pouvoir de l'État, comme ce fut le cas par exemple avec la Sécurité Sociale ou le droit du travail institué. Quoiqu'il en soit, l'État, lorsqu'il est contrôlé par la bourgeoisie, ne reconnaîtra jamais la violence révolutionnaire comme étant légitime. Mais surtout, la bourgeoisie ne parlera jamais de la violence instituée du capitalisme, de la misère qu'il engendre et des nombreuses morts qu'il provoque silencieusement. Lorsqu'un gros-bourgeois entre chez lui paisiblement et embrasse ses enfants dans son château, il a en réalité sur les mains beaucoup plus de sang qu'une personne désespérée qui prend les armes parce qu'elle n'a plus rien à perdre que ses chaînes.

Macron a dénoncé la violence des manifestants, mais qu'en est-il de la police qui est de plus en plus armée, qui n'hésite pas à tirer quasiment à bout portant avec des flashballs sur des manifestants pacifiques qui lèvent les mains ? Qu'en est-il des grenades lancées en cloche pendant les manifestations ? Qu'en est-il des blindés qui furent déployés à Paris ? Qu'en est-il du déploiement de l'artillerie légère samedi 8 décembre ? Lorsqu'on demande qui a été violent entre la police et les gilets jaunes, nous répondons sans hésiter : l'État dirigé par Macron.

Mais peut-être que ce qu'ils appellent "violence", c'est de venir avec une trousse de secours pendant les manifestations ? Depuis peu, le sérum physiologique, les masques à particules fines, ainsi que les lunettes de piscine, maigres protections face à la répression totalement abusive des forces de police surarmées, sont interdites dans les manifestations et peuvent désormais servir de prétexte à arrestation. Non seulement la police est violente, mais refuse que nous nous soignions lorsqu'elle nous aggresse -- souvent gratuitement et abusivement.

Nous exigeons la dépénalisation des moyens de protection élémentaires : les manifestants doivent être autorisés à porter des masques à gaz, des lunettes de protection, ainsi que des trousses de secours contenant notamment du sérum physiologique.
Nous exigeons de plus un désarmement de la police lors des manifestations : suppression du gaz lacrymogène (déjà interdit par l’ONU), suppression des grenades de toutes sortes, suppression des flashballs.


6- Légitimité de Macron

Macron a parlé de liberté dans son discours. La bourgeoisie adore parler de liberté quand elle ne concerne que sa classe et pas celle des travailleurs. Où est la liberté d'expression lorsque des milliers de manifestants n'ont pas eu le droit de se déplacer à Paris via des places de train qu'ils avaient payées sous prétexte qu'ils voulaient exprimer leurs opinions politiques ? Où est la liberté d'expression lorsque les centrales syndicales sont menacées de poursuites judiciaires par le gouvernement si elles appellent à rejoindre les revendications des gilets jaunes ? Où est la liberté du travailleur lorsque le manque de moyens matériels induit par la baisse des salaires pousse à la colère, à la violence, et parfois même au suicide ? La liberté que promet Macron n'est même plus celle du renard dans le poulailler, c'est celle du crocodile au milieu de poussins. La liberté du capitaliste d'exploiter à outrance un prolétariat enchaîné et muselé.

La véritable liberté viendra de la libération de la classe travailleuse, nous assisterons à la libération du travail de son carcan capitaliste, de la libération des forces productives grâce à la socialisation des moyens de production. Alors, la liberté sociale du travail se traduira par la liberté des individus producteurs conscients de la production sociale de leur existence. Cette liberté de la classe travailleuse est antagonique de la liberté bourgeoise proclamée par Macron, elle est irréconciliable. Alors se dévoile explicitement la lutte entre les deux classes aux intérêts contradictoires : bourgeoisie et prolétariat.

Élu dans un contexte inédit, nous assistons depuis plus d'un an au midi de l'hubris d'une classe dominante déboutonnée, violente et sûre d'elle même. Orgueilleuse, elle reconstruisit méthodiquement le récit d'une élection triomphale, faisant du vote du second tour la légitimité d'une politique qui avait justement produit ce second tour. Méprisante, elle multiplia les provocations, afficha fièrement sa suffisance. Cynique, elle commença le travail de destruction des conquis du travail assisté d'un régiment de députés petit-bourgeois, petit-patrons et membres du salariat d'encadrement. Jamais, cette classe odieuse n'eut la sagesse, aprés cette présidentielle hors-norme de prendre la mesure de ce qui s'était passé. Jamais, elle n'a montré la moindre hésitation, la moindre remise en question. Elle poursuivi la même politique avec plus de violence encore. Nous en tirons les conséquences logiques : ce pouvoir est un ennemi des travailleurs. Là pour servir les interêts des siens, là pour augmenter les taux de profits des parasites capitalistes. Ce pouvoir n'est pas celui d'une conciliation de classe, ce pouvoir est celui de l'organisation bourgeoise contre le salariat.

Pour conclure, Macron n'a rien promis d'inédit, il a juste tiré des mesures de son programme qui sonnaient justes dans l'instant, mais qui en réalité sont fausses. Il a dit qu'il tirait sa légitimité de nous, ce qui confirme son aveuglement face à la colère populaire. Nous exigeons la démission de Macron, de son gouvernement, ainsi que de tous les députés du parti LREM.



Le mouvement des gilets jaunes ne doit surtout pas se laisser prendre par ces micro miettes en putréfaction que nous a promises Macron. Nous devons réagir à ce discours par une intensification et une radicalisation croissante du mouvement des gilets jaunes. Allons tous manifester le samedi 15 décembre !


jeudi 23 août 2018

Que faire ? Que lire ?

Biblio-vidéographie sur l'économie politique et la dialectique matérialiste et historique

Introduction
La question philosophique par excellence est : "que faire ?" Lorsque l'on débute son apprentissage de l'économie politique et de la dialectique, les questions corollaires qui suivent immédiatement sont :
Que lire ? Que visionner ? Et par quoi commencer ?
Ci-dessous nous essayons de développer une réponse pour s'initier à l'économie politique et à la dialectique. En ce qui concerne la dialectique, Dominique Mazuet, libraire de la librairie Tropiques, a déjà rédigé quelque chose de très intéressant que je vous invite à consulter.
Pour commencer sa formation à la dialectique ajoutons l'excellent livre d'introduction à la philosophie de Georges Politzer : Principes élémentaires de la philosophie, mais nous y reviendrons dans la section 2.
Cette vidéo-bibliographie commence par l'économie politique. Dominique Mazuet a préféré commencer par la dialectique. Mais cette notion délicate et assez subtile peut rebuter le débutant, aussi nous pensons qu'il est plus exaltant de commencer directement par la réponse : le salaire à vie. Cela fixe le cap, et, en bon dialecticiens, nous énonçons d'abord la réponse et nous faisons la démonstration à l'envers. Le concept posé (positivement) en appelle un autre, qui lui-même renvoie à autre chose. Ainsi se déploie la pensée dialectique ; ce n'est pas un mouvement linéaire du même au même, mais un mouvement spiralaire de l'autre à l'autre, de telle sorte que l'esprit se déploie jusqu'à la totalité. En particulier, une fois la réponse du salaire à vie a été posée, nous en approfondissons les mécanismes. D'abord, par l'étude des travaux de Bernard Friot. Ensuite, des sources de Bernard Friot : l'économie politique de Marx. Enfin, par la méthode de Marx qui lui a permis d'être si perspicace : la dialectique hégélienne. C'est ainsi que nous avons développé cette biblio-vidéographie, mais libre à vous de tout consulter dans le désordre selon votre sensibilité philosophique et politique. Le premier but de cette vidéo-bibliographie est d'offrir un panorama dans lequel vous pouvez piocher en ayant un bref aperçu préalable de ce que vous allez consommer.
Notez que cette biblio-vidéographie est vouée à évoluer selon les discussions et découvertes des bipèdes ailés. Des mises à jour sont à prévoir. 


1- Économie politique
    
Voici une liste de séminaires qui permettent d'avoir un aperçu du travail de Bernard Friot.  En termes de lecture : pour commencer, la lecture de Émanciper le travail est une bonne approche. Pour approfondir, nous conseillons vivement la lecture de L'enjeu du salaire. Le glossaire placé à la fin de l'ouvrage est providentiel. Nul besoin de regarder l'intégralité des séminaires. Pour commencer nous conseillons en priorité la vidéo d'Usul, le séminaire qui suit juste après, ainsi que le premier volume du séminaire en 7 épisodes placé juste avant la fin de cette section ( " Introduction : tour d'horizon des concepts fondamentaux, et notamment une définition très intéressante du communisme" ). 
Il faut aussi absolument lire salaire, prix, profits de Marx. Ce petit livre de moins de cent pages est un condensé de théorie de la valeur économique et ces quelques pages permettent de s'épargner des tétrachiées de conneries (comme la plupart des vidéos d'Usul). La clarté, la simplicité d'exposition, et la concision de cet ouvrage sont incroyables. La fin s'ouvre sur une contradiction apparente entre Marx et Friot : Marx revendique l'abolition du salariat alors que Friot en revendique l'avènement... Cette contradiction ne peut se comprendre qu'en s'initiant à une méthode philosophique : la dialectique matérialiste et historique. Cela constitue la deuxième section.
Une fois cette propédeutique accomplie il vous sera possible d'attaquer Le Capital.

    La vidéo d'Usul. Il est bien de commencer par là mais il ne faut surtout pas s'y arrêter. Cette vidéo présente brièvement les travaux de Bernard Friot et remet en question ce qu'on appelle usuellement "travail" (sans pour autant donner une réponse précise).
    Le travail est enfermé idéologiquement dans le carcan capitaliste si bien que nous en avons une définition négative. Pourtant, au XXième siècle, la classe ouvrière a l'offensive a su initier les prémisses de l'émancipation du travail de la violence capitaliste. Dans cette vidéo, la réponse communiste est posée : le salaire à vie. Il faut commencer par là pour avoir le cap pendant son éducation politique et philosophique.
Voici la vidéo (un peu plus de 30 minutes) : https://www.youtube.com/watch?v=uhg0SUYOXjw

    Dans ce séminaire, Bernard Friot raconte comment le mouvement ouvrier a posé quelques pierres de l'édifice communiste de 46 à 68. Il en déduit quelle est notre boussole pour étendre ces conquêtes. Il développe en énonçant deux propositions décisives pour abattre le capitalisme : 1- salaire à vie pour les 18-25 ans avec doublement des cotisations et 2- les marchés publics sont réservés aux entreprises qui appartiennent à leurs salariés. 
    La vidéo dure environ 2h : https://www.youtube.com/watch?v=c-2dgRQ2-bo
   
    Dans cette conférence gesticulée, Bernard Friot raconte comment il est passé de la posture "au service de la classe ouvrière victimisée" à la posture "à l'école d'une classe ouvrière victorieuse à l'offensive". (Durée = 3h)
La conférence gesticulée : 
Partie 1 https://www.youtube.com/watch?v=luKiWKmrtE8
    
    "Un projet révolutionnaire ne passe pas par un soutien aux pauvres" (3 minutes) : 
    Voici un excellent séminaire sur la laïcité En guise d'introduction, Bernard Friot interroge la notion de laïcité et en donne une définition qui subvertit totalement celle naïve qu'on apprend à l'école. 
    Dans ce séminaire, Bernard montre que le capitalisme est la nouvelle religion au service du pouvoir de l'État, et que la prétendue laïcité qui consiste à s'acharner sur des religions déjà en déclin est une mascarade qui ne sert qu'à dissimuler le capitalisme, seule religion qui pose réellement problème. 
    Le séminaire développe le capitalisme comme une religion à cinq dieux : le patrimoine engendre de la valeur économique, le marché du travail, nécessité du crédit pour financer l'investissement, la rentabilité de chaque procédure pour mesurer la valeur, que la sécurité sociale c'est de la solidarité et non de la production. Il faut que l'État se sépare de ces croyances pour conquérir la souveraineté populaire sur l'économie.  
Partie 1, séminaire (1h30) : https://www.youtube.com/watch?v=3vW8EoVUaEo
Partie 2, questions (40min) : https://www.youtube.com/watch?v=oIdzo2HpRYk

    Séminaire sur la fonction publique comme conquête communiste. Il est montré comment s'articule la valeur économique créée par les fonctionnaires et comment leur statut les libère de la violence capitaliste du marché du travail. : https://www.youtube.com/watch?v=msgQ6wrsp2k
    Séminaire-débat entre Bernard Friot et Jean-Marie Harribey sur la valeur (et les fonctionnaires en particulier) : https://www.youtube.com/watch?v=Qp_YbVWP6-w

    Entretien sur la parution de "Émanciper le travail" qui opère une synthèse des travaux de Bernard Friot : 1- l'histoire de la Sécurité sociale et des révolutionnaires de 1946 2- la contre-révolution capitaliste depuis les années 80 3- réponse communiste : le salaire à vie.
    Séminaire sur la classe révolutionnaire en construction. "Être révolutionnaire, c'est produire autrement que dans le mode de production capitaliste". : https://vimeo.com/207432267
    Sur les retraites et la notion de valeur économique : https://www.youtube.com/watch?v=JbsOo95gPBA
    Baisse tendantielle du taux de profit : https://www.youtube.com/watch?v=lxVo1DX6Ko4
    Livres de Bernard Friot
                        Puissance du salariat
                        L'enjeu des retraites
                        L'enjeu du Salaire
                        Émanciper le travail
                        Vaincre Macron
          Quelques articles intéressants https://sites.google.com/site/bertrandbonyreseausalariat/
    Intervention à la FI : Bernard Friot expose ses idées à des militants de la FI.  https://www.youtube.com/watch?v=zqofNMYIlb4
                        
    Entretiens avec Bernard Friot qui précède la publication de "Émanciper le travail".
    
    Séminaires de Bernard Friot sur le thème : "droits économiques comme attributs des personnes".
1- Introduction : tour d'horizon des concepts fondamentaux, et notamment une définition très intéressante du communisme : https://www.youtube.com/watch?v=5JV0BbCrecA
2- L'enjeu anthropologique du travail comme attribut des personnes https://www.youtube.com/watch?v=VDVgNfN9PvY
3- Le crédit, outil de chantage du capital :  https://www.youtube.com/watch?v=cGNfHvJ0LM0
4- Salaire continué ou revenu différé ? https://www.youtube.com/watch?v=a-kSP0g0UL4
5- Droits aux ressources vs. salaire : https://www.youtube.com/watch?v=toE1HA6E4AE
6- Quelle réponse communiste aux droits proposés par les capitalistes : https://www.youtube.com/watch?v=G2Hag4Wwxzw
7- Réponse à des contradicteurs : première partie : https://www.youtube.com/watch?v=ABNoWW2TNcc
deuxième partie : https://www.youtube.com/watch?v=aFxv88XEqB8

Sur l'économie politique, causerie avec Dominique Pagani sur la théorie économique de Marx :
         Marx plage https://www.youtube.com/watch?v=9jZK_U_pZo8
                              https://www.youtube.com/watch?v=t59qBSzcpiw
En guise de transition : 
         Pagani vs. Friot : le choc des titans https://www.youtube.com/watch?v=be7kXbXgGE4

 2- Philosophie dialectique, matérialiste et historique
         
Pour commencer la philosophie et la dialectique en lecture, il est conseillé de commencer par :  Politzer, Principes élémentaires de la philosophie. Ce livre est disponible aux éditions Delga.
Ce petit livre est une excellente introduction aux concepts de base de la philosophie. L'opposition entre l'idéalisme et le matérialisme est exposée de façon très claire et concise. Ensuite, sont mises en opposition la métaphysique et la dialectique. La métaphysique est une méthode fixiste qui considère la réalité comme quelque chose de figé éternellement avec des vérités éternelles. La dialectique au contraire, conçoit le monde comme un système dynamique avec lequel nous entrons en interaction et en contradiction. La dialectique pense la contradiction et montre comment une chose peut se transformer en son contraire, et comment les forces contradictoires peuvent engendrer des mouvements, par exemples des révolutions sociales.

Ici suivent des séminaires magistraux sur la dialectique de Hegel, sur laquelle s'est beaucoup appuyé Marx. Bernard Bourgeois est sans doute le plus grand spécialiste français sur Hegel, et à la fin de ces séminaires, il entre en débat contre des marxistes. Ces séminaires sont très denses mais passionnants.
Bernard Bourgeois : effectivité, concept, dialectique, politique, liberté (Hegel)
    Dominique Pagani
         Art et matérialisme. Dans cette discussion avec Loïc Chaigneau, Dominique Pagani expose les notions hégéliennes d'esthétique et de moment dialectique. https://www.youtube.com/watch?v=APNGsPsNkb8

Dans cette série de séminaires, Dominique Pagani expose la phénoménologie de l'esprit, ouvrage important de Hegel. L'accent est mis sur la méthode de Hegel, car la méthode dialectique est en adéquation avec la dialectique déjà présente dans la nature. 

        Cours de philosophie : l"odyssée du philosophe. Dans cette saga de cours de philosophie, Dominique Pagani interroge la notion même de philosophie et nous invite à la découvrir à travers une "odyssée" où l'on est amené à découvrir les grands philosophes qui ont résonné avec l'histoire. Cette odyssée part de Platon et court jusqu'à l'histoire du présent. Dominique Pagani y déploie lentement le concept, comme dirait Hegel.
Entre crise et guerre : philosopher.
Première saga
Deuxième saga
D'Ulysse à Dédale
Musique de l'histoire
https://www.youtube.com/watch?v=IfhWw5tbXNEL'histoire est-elle une matière ?
https://www.youtube.com/watch?v=ol1FfqbWb6Y
Le beau s'apprend-il ?
https://www.youtube.com/watch?v=ETJbebdab7Y
Sur Marx : critique de l'écologie.
https://www.youtube.com/watch?v=PoFWe44GdwI
Travail et droit du travail
https://www.youtube.com/watch?v=c6iQ2owuLeI
Abécédaire philosophique :
https://www.youtube.com/watch?v=V9yXLoVuPe8&list=PLoDK9ZKTOO-_7gu__URMsYimxWc0Pr7SJ


  Conférence de Jean Salem sur le matérialisme : https://vimeo.com/120182201 cette conférence montre de quel matérialisme s'est inspiré Marx.
                
                Pour finir sur la dialectique, l'économie politique et la libération, les bipèdes ont déjà écrit un petit article qui synthétise tout cela : "liberté égale libération". Cela vous épargnera des dizaines d'heures de visionnage si vous manquez de temps.



Sur l'éducation populaire
    La conférence gesticulée de Franck Lepage. Dans cette conférence, Franck Lepage raconte comment le ministère de la Culture est né, en opposition avec la notion même d'éducation populaire. De telle sorte qu'à présent, seules des associations avec quelques salariés qui crèvent de faim ou qui fonctionnent par bénévolat opèrent de l'éducation populaire politique. À présent, dès lors qu'on prononce "culture", on pense directement à l'art (contemporain si possible) officiel subventionné par l'État ou par mécennat, et on oublie que la culture est aussi politique, économique, et populaire.

Dans cette conférence, Franck Lepage montre comment le système scolaire reproduit les classes sociales en prétendant donner à tous "l'égalité des chances". Malgré cela, il avertit que le peu qui reste de ce système éducatif va bientôt être détruit par la privatisation et deviendra encore pire.
    Inculture (2) (4h) : https://www.youtube.com/watch?v=ClYAjeiuVJw

    Atelier de désintoxication de la langue de bois : https://www.youtube.com/watch?v=8oSIq5mxhv8
    Petite liste d'exemples de "faux amis" : https://www.youtube.com/watch?v=Bd0BHbAjIms
    L'entretien complet : https://www.youtube.com/watch?v=zVhdg3kXBCo

dimanche 22 juillet 2018

Liberté égale libération

Les Orientaux savaient qu'un seul est libre. Les Grecs surent que quelques uns sont libres. Les modernes savent que tous sont libres.
Hegel

1- En finir avec la critique
 
    Renoncer au postulat du libre arbitre formulé dans toute sa médiocrité philosophique d'un idéalisme honteux très largement revendiqué par l’intelligentsia bourgeoise n'implique pas de renoncer à la liberté comme concept. L'hypocrisie de la bourgeoisie n'admet aucune limite lorsqu'il s'agit de masquer le lourd carcan des classes sociales et la violence du capital, derrière une caution morale de libre arbitre et de responsabilité individuelle. Nous en avons maintes fois effectué la démonstration, nous autres philosophes, sociologues, et économistes, bref, nous autres dialecticiens et matérialistes. Ajoutons pour en finir avec la critique du libre arbitre, que tout matérialiste qui se respecte ne peut admettre l'existence d'une conscience individuelle libre qui pourrait, telle un empire dans un empire, prendre des décisions indépendantes du monde matériel mais pouvant - par un saut-périlleux arrière logique - influer sur lui.

    De là, nos contradicteurs nous répondent souvent que le renoncement au libre arbitre est un pessimisme. Que, sans liberté de conscience individuelle, à quoi bon agir si l'individu est nié ? À quoi bon quoi que ce soit puisque tout est déjà déterminé à  l'avance ? Nous avons déjà nié ces affirmations sous-entendues par ces questions rhétoriques. Ajoutons que, comme l'écrivait l'un de ses fondateurs, Marx, le matérialisme historique et dialectique est une philosophie révolutionnaire. Par sa méthode, elle dévoile les contradictions de l'ordre établi, et en extrapolant ces contradictions, elle expose comment leur mouvement peut les surmonter elles-mêmes, comment la dynamique grandissante et houleuse de ces contradictions peut s'auto-résoudre en subvertissant l'ordre établi, le remplaçant par un ordre nouveau qui nie l'ancien, et qui, en s'établissant positivement, nie la négation. Marx a montré les contradictions de fond du capitalisme et en a ébauché l'émancipation réelle et empirique déjà à l’œuvre,  le communisme, fils haï et parricide du capitalisme. Il n'est alors guère étonnant de voir l’intelligentsia bourgeoise, aliénée jusqu'à l'os par l'idéologie dominante capitaliste dont le fondement philosophique principal est le postulat d'existence du libre arbitre, rétorquer aux matérialistes que l'abandon du libre arbitre est un pessimisme. C'est une réponse de classe. Nous autres révolutionnaires, leur répondons : oui, l'abandon du libre arbitre est une mauvaise nouvelle pour la classe réactionnaire qu'est la bourgeoisie, il est logique que vous la perceviez comme un pessimisme. Mais, l'abandon du libre arbitre, remplacé et subverti par le matérialisme dialectique, constitue dans son développement et son mouvement une force capable de pétrir et former toute la classe révolutionnaire d'un optimisme intarissable et d'une joie profonde et authentique, car révolutionnaire.

2- Le sens de l'histoire : la liberté

    Quelle est la cause première de l'action politique ? Quel est le sens général de l'histoire dans son développement ? Quel est le but de l'histoire ? L'émancipation collective. Un mouvement tendanciel vers la liberté. En admettant que la lutte des classes soit le cœur de l'histoire, ce moteur mettant en mouvement cyclique les objets en présence, la liberté en est l’œil perçant capable de donner la direction générale du mouvement dont la force motrice est la lutte des classes. La liberté est le principe conceptuel de l'histoire de l'humanité.

    Il s'agit d'un lent processus de libération des humains de l'empire de la nécessité. Cette libération s'opère d'abord par l'intellection de cette nécessité, donc à partir de celle-ci, jusqu'à ce que cette nécessité se transforme en son contraire et devienne liberté. En effet, au fur et à mesure que se développent les forces productives, les civilisations mettent au point des outils de plus en plus sophistiqués. La compréhension des phénomènes naturels - l'intellection de la nécessité - implique le développement de techniques qui permettent aux humains de dominer la nature plutôt que de se faire dominer par elle. La liberté dont nous parlons n'est pas cette bizarrerie des intellectuels bourgeois qui imaginent une liberté idéaliste totalement abstraite de la nécessité matérielle (le libre arbitre). La liberté dont nous parlons est concrète car elle se construit au sein même de la nécessité matérielle sans la nier. L'intellection de la nécessité a libéré les humains de la nature sur eux. Alors, la liberté n'est plus seulement l'intellection de la nécessité, elle en devient la vérité et le principe même à la base de son mouvement.

    Cette libération matérielle ouvre de nouvelles possibilités. Des degrés de liberté sont relâchés. Alors qu'à l'aube de l'humanité, seule la nécessité matérielle et la survie pure guidaient les embryons de civilisation (à quelques rares moments de spiritualité près), grâce au développement d'une rationalisation des techniques de survie - agriculture, élevage, architecture, stockage -, les humains purent dégager du temps pour que quelques uns d'entre eux se demandassent : "que puis-je savoir ?" et surtout "que dois-je faire ?". Les deux questions fondamentales de la philosophie naquirent dans une civilisation où quelques uns étaient libres - les deux dixièmes de citoyens Grecs. Se poser ces questions suppose une liberté pratique. Alors que chez les Orientaux Antiques, seul le Pharaon (ou l'Empereur d'Extrême Orient), était libre, et sa liberté reposait sur la servilité matériellement nécessaire de tous les autres, ce qui garantissait la stabilité politique et la vie de ces civilisations. Les humains n'avaient pas à se demander "que dois-je faire ?", cette question était hors-sujet, tous savaient quoi faire : il fallait construire la pyramide du Pharaon, ou produire l'agriculture, etc., bref, la nécessité régnait sur tous, sauf Pharaon. Ainsi se développa l'histoire des civilisations. Les Orientaux savaient qu'un seul est libre (Pharaon). Puis, les Grecs surent que quelques uns sont libres : les citoyens grecs. Platon, qui fut le philosophe de son temps, magnifia cette découverte dans sa République, où il y décrivait comment une aristocratie de philosophes libres régneraient sur le reste des humains, et ce règne heureux rendrait toute la cité heureuse. Mais à présent, nous autres modernes, savons que tous sont libres : tel est ce qu'affirme la devise des Lumières de la Révolution Française : liberté, comme principe premier, égalité, comme moyen de réalisation de cette liberté, et fraternité, le mode de vie rendu possible par les deux premiers concepts. Mais cette liberté n'est pour le moment qu'abstraite, car l'exploitation et l'accumulation capitalistes réduisent la liberté à une oligarchie bourgeoise propriétaire des moyens de production et rentière du travail de tous. D'où le mouvement communiste, abolition réelle déjà à l’œuvre du capitalisme.

    La liberté n'est pas qu'une valeur morale subjective qu'on peut se contenter d'agiter comme un fétiche spirituel et individuel. Elle est le principe à la base des grands mouvements historiques, de tous les craquements révolutionnaires. Si Hegel a compris le principe du mouvement de l'histoire, Marx en a compris son mécanisme matériel. Voici entre autres ce qu'il écrit dans la préface à la Contribution à la critique de l'économie politique :
            Le résultat général auquel j'arrivai et qui, une fois acquis, servit de fil conducteur à mes études, peut brièvement se formuler ainsi : dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rap­ports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui corres­pondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives maté­rielles. L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s'élève une superstructure juridique et politique et à la­quel­le correspondent des formes de conscience sociales déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience. À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une époque de révolution sociale. Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement toute l'énorme superstructure. Lorsqu'on considère de tels bouleversements, il faut toujours distin­guer entre le bouleversement matériel - qu'on peut constater d'une manière scientifiquement rigoureuse - des conditions de production économiques et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le mènent jusqu'au bout. Pas plus qu'on ne juge un individu sur l'idée qu'il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de boule­ver­se­ment sur sa conscience de soi; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle, par le conflit qui existe entre les forces productives socia­les et les rapports de production. Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu'elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s'y substituent avant que les conditions d'existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société. C'est pourquoi l'humanité ne se pose jamais que des problèmes qu'elle peut résoudre, car, à y regarder de plus près, il se trouvera toujours, que le problème lui-même ne surgit que là où les conditions matérielles pour le résoudre existent déjà ou du moins sont en voie de devenir. À grands traits, les modes de production asiatique, antique, féodal et bourgeois moderne peuvent être qualifiés d'époques progressives de la formation sociale économique. Les rap­ports de production bourgeois sont la dernière forme contradictoire du processus de produc­tion sociale, contradictoire non pas dans le sens d'une contradiction individuelle, mais d'une contradiction qui naît des conditions d'existence sociale des individus; cependant les forces productives qui se développent au sein de la société bourgeoise créent en même temps les conditions matérielles pour résoudre cette contradiction. Avec cette formation sociale s'achè­ve donc la préhistoire de la société humaine.
   

    Tel est l'enchaînement politique. Alors qu'une certaine forme de rapports de production a été libératrice (par exemple les rapports de production capitalistes par rapport aux rapports de production féodaux), lorsqu'ils perdurent trop, ils en deviennent une entrave et donc une force politique réactionnaire. Aujourd'hui, le capitalisme en est arrivé à un stade de pourrissement sans précédent qui bloque le développement progressiste des forces productives. Bizarrement, depuis quelques décennies, on n'entend plus parler de "progrès" en ce qui concerne la technologie, mais seulement d'"innovation". Il faut innover à tout prix, peu importe que cela aboutisse à du progrès ou non. Puisque tout ce qui compte, c'est de vendre pour faire du profit. Les capitalistes eux-mêmes admettent qu'ils ne sont plus vecteurs de progrès. Contrairement à une croyance répandue, le capitalisme n'est pas productiviste. Le processus d'accumulation, dans le stade actuel, implique nécessairement une grève d'investissement des capitaux qui se traduit par une destruction massive de l'appareil industriel des pays capitalistes avancés et par un chômage de masse.  Le mouvement communiste a pour mission historique de libérer le travail de la violence capitaliste par l'appropriation collective des moyens de production et en affectant à chaque personne un statut politique de producteur, de telle sorte que nous soyons maîtres sur la production, nous autres, producteurs librement associés. La maîtrise collective de la production aboutira à une intellection de la nécessité des phénomènes sociaux, industriels et économiques, qui se traduira par une liberté vis à vis d'eux. Les civilisations humaines pourront s'auto-déterminer plutôt que d'être soumises à la nécessité de la violence capitaliste sur laquelle nous n'avons aucune maîtrise (la "main invisible du marché" à laquelle il faut obéir, sous peine d'aller en enfer.)

    Aujourd'hui, les forces productives existantes rendent matériellement possible une liberté bien supérieure pour l'ensemble de l'humanité. Les rapports de production capitalistes bloquent cette libération depuis plus d'un siècle et demi. Les forces productives sont entrées en contradiction avec les rapports de production, ce qui implique nécessairement un mouvement révolutionnaire d'émancipation. Ce mouvement est chaotique et lent. En effet, la bourgeoisie, classe révolutionnaire qui a réussi, a mis plusieurs siècles à renverser le mode de production féodal, économiquement, avant de consacrer cela politiquement et idéologiquement, en 1789. Et même après cette date, la féodalité a su déployer des forces réactionnaires considérables puisqu'il y eut plusieurs restaurations de régimes politiques anti-républicains. Mais globalement, aujourd'hui, nous retenons de cette période les mouvements de libération. Les tentatives de retour en arrière ne pouvaient qu'échouer à long terme car elles étaient contraire au principe du mouvement historique : la liberté. Depuis quarante ans environ, nous vivons la même chose, un recul historique semblable à la restauration féodale, qui aujourd'hui se traduit par une restauration capitaliste (qu'on appelle faussement néolibéralisme). À l'échelle d'une vie humaine, c'est considérablement long et déprimant, mais à l'échelle historique ce sera quasi-négligeable. Nous savons que le mode de production communiste est plus efficient et libérateur que le mode de production capitaliste. Pour cela il suffit de considérer ce à quoi a abouti le grand mouvement communiste en France depuis la Libération (les mots en disent long) en 1945 jusqu'aux années 80. Prenons pour exemple la Sécurité Sociale mise en place en 1946 par Ambroise Croizat, ministre communiste, ainsi que les militants communistes de la CGT. Cette Sécurité Sociale dont le capital a encore du mal à se débarrasser fonctionne par mutualisation de la valeur économique grâce à la cotisation salariale, qui reconnaît que les soignants, les parents, les chômeurs et les retraités produisent de la valeur économique. Le travail est émancipé du capital car sa définition l'excède. Le mode de production commence à être subverti car des nouvelles formes de production hors du capitalisme émergent. De plus, les caisses de cotisation étaient gérées par les travailleurs eux-mêmes via les syndicats. Chacun peut mesurer aujourd'hui à quel point la Sécurité Sociale en mode de production communiste est libératrice des nécessités et des risques biologiques, comparé aux mutuelles privées capitalistes. La catastrophe hospitalière contemporaine mise en place par les réactionnaires capitalistes, qui résulte de la destruction planifiée des conquêtes du CNR et des partenariats publics-privés, est sans appel.

3- Vivre selon le concept, aujourd'hui : liberté égale libération

    La liberté ne peut exister que dans un processus dynamique de libération. Si elle est affirmée comme existante en tant qu'objet bien défini, alors elle se nie elle-même car devient prisonnière de son être et de sa nécessité objective. Tel est le fondement de l'imposture bourgeoise, qui prend pour prétexte l'existence déjà réalisée de la liberté de tout individu pour justifier tous les obstacles qu'elle tente d'opposer à tout mouvement de libération du capital. Le processus d'émancipation est un mouvement infini semblable à la traque infinie des masques. (Re)lire Et les esprits libres tuèrent le libre arbitre. Les humains, une fois émancipés du carcan capitaliste, ne suivront pas moins un mouvement dicté par la nécessité matérielle. Ils chercheront de nouvelles voies vers l'émancipation. De nouveaux défis s'imposeront à eux, mais ils ne seront pas revenus au point de départ car ils se seront déjà débarrassés du carcan capitaliste. Toutes les contraintes violentes de ce mode de production seront abolies et les humains pourront se donner de nouveaux défis historiques à affronter. Quels seront ces défis ? Nul ne le sait aujourd'hui, la matière historique présente ne permet pas encore de le deviner. Mais cet inconnu n'est-il pas excitant ? Quel paysage se cache-t-il derrière le mur capitaliste ? Quelles seront les nouvelles contradictions de la société communiste que l'humanité aura la tâche de surmonter ?

    Les plus utopistes parmi les militants communistes trahissent leur idéalisme inavoué de la façon suivante : "le libre arbitre existe mais il est contrarié par le carcan capitaliste. Une fois ce carcan ôté, nous serons enfin libres et nous pourrons nous auto-déterminer dans la nouvelle société communiste. Ce sera alors la fin de l'histoire et des luttes politiques." Nous voudrions opposer à cette thèse ce qui suit. Même une fois le capitalisme totalement aboli et le communisme totalement à l’œuvre, les individus, quoi qu’émancipés du carcan capitaliste, immense progrès qu'il conviendra de saluer, n'en seront pas moins dans un mode social, ne continueront pas moins d'être influencés en permanence par leur environnement, ne se construiront pas moins en se nourrissant d'autrui. Bref, leur conscience ne continuera pas moins d'être le reflet du monde social dans lequel ils vivront. Cela n'enlève rien au progrès de l'humanité opérés par le communisme, au contraire. Tout communiste devrait se réjouir de pouvoir confronter sa production à la collectivité, de pouvoir s'imprégner du monde social dans lequel il vit, et même de revendiquer l'héritage culturel et social qui constitue son être, plutôt que de s'enfermer dans des bulles relativistes et individualistes comme nous pousse le capitalisme à le faire, ce qui, paradoxalement, incite à un conformisme déprimant. Mais quel bonheur que d'être subjugué, subverti et bouleversé par des camarades, et des maîtres, qui ont su mettre notre esprit en mouvement ! Laissons les robinsonnades du libre arbitre aux prétentieux qui croient possible leur auto-détermination indépendante du monde social, ce sont, philosophiquement parlant, des anarchoïdes de droite comme Nietzsche.

    Aujourd'hui, nous savons quelles sont les conditions matérielles, économiques, et politiques, de réalisation de la liberté. Notre mission historique est de faire rentrer ce possible dans le réel. Le réel est avant d'être en ce qu'il est possible. Le possible, c'est ce qui ne se contredit pas lui-même. Il est pensable donc susceptible de déterminer le vouloir et l'agir. De cette façon, les humains peuvent se fixer n'importe quel objectif. Les discours sur ce qui est possible sont très faciles, car on peut pousser très loin l'abstraction identique à soi et non contradictoire, donc pouvant être. Rien n'est plus vain que d'énoncer des possibles mais non encore réels ! Le possible est seulement possible, le réel l'excède par ses déterminations. L'utopisme est le meilleur moyen d'échapper au réel. Il faut concrétiser la possibilité, l'arracher à la subjectivité pour la faire entrer dans le réel. Telle est l'effectivité, l'agir avec efficience. Mais cela ne peut pas se faire à partir de rien. Il faut partir de ce qui est déjà là et le pousser à se généraliser. La vie selon le concept de liberté se développe dans l'histoire. L'affirmation de la liberté se connaît comme liberté réalisable qui a déjà commencé à se réaliser. Ce processus est toujours déjà commencé, puisque la liberté est le principe premier du mouvement de l'histoire. La liberté exige des conditions de réalité, déterminations de la liberté ; la liberté présuppose ces conditions pour ensuite les dépasser. La liberté motrice dépasse et repousse toujours plus loin ses déterminations. Sinon elle ne serait pas liberté.

    Il y a un déjà là communiste sur lequel s'appuyer pour se débarrasser du capitalisme. Depuis un siècle et demi de lutte des classes, alors que les critiques tous plus atterrés les uns que les autres pleurnichent sur la misère qu'opère le capitalisme, nous autres, bipèdes ailés révolutionnaires et optimistes, nous nous appliquons à épier l'émancipation sous toutes ses formes, nous scrutons l'histoire pour en rechercher quels sont les mouvements de progrès déjà à l’œuvre. Aujourd'hui, nous disposons de plein de conquêtes victorieuses de liberté que nos anciens nous ont légués comme héritage. Lorsque la liberté progresse, elle le fait de façon irréversible. Même les plus réactionnaires aujourd'hui n'oseraient pas revendiquer un retour aux conditions de travail de l'époque à laquelle Marx a rédigé son œuvre.

    Vivre selon le concept de liberté, aujourd'hui, consiste à épier l'émancipation et à œuvrer à sa réalisation toujours déjà commencée. Viennent les jours heureux de l'émancipation réelle et concrète qui abolira le capitalisme, viennent les jours heureux de la libération communiste à l’œuvre depuis déjà plus d'un siècle !