dimanche 23 juillet 2017

Et les esprits libres tuèrent le libre arbitre.

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Principe de base
Qui pose l'existence du libre arbitre est l'ennemi des bipèdes ailés.

Sens inversé du libre arbitre
Est d'autant plus enchaîné qui affirme avec d'autant plus de force que sa conscience est libre.

Traque infinie des masques
Spinoza : tout humain est soumis et déterminé par ses affections. L'humain se croit libre car il est conscient de ses appétits et actions, mais ignore les causes qui le disposent à désirer et agir.
    Nulle "maîtrise de soi". La connaissance de soi agit en rétroaction sur soi. Qui prend conscience d'une cause qui le déterminait jusqu'alors va tout faire pour dominer cette cause et agir de façon à ne pas être déterminée par celle-ci, par recherche de sa liberté. Cela est vain : une autre cause qu'il ne connaît pas encore le détermine déjà à agir ainsi. La recherche de la connaissance de soi-même consiste alors en cette traque infinie des causes qui nous déterminent. Qui se cherche ainsi n'en devient pas plus libre ni moins esclave que le moins observateur des humains. En revanche, à force de retirer, observer et comprendre, un à un, l'infinité des masques successifs qui constituent son être, qui agit ainsi atteint une profondeur et une finesse de discernement, incomparables à qui se croit libre et croit encore à l'authenticité et au pouvoir de son Moi et qui, par cette prétention obtuse, cessa de se chercher et ignore toutes les causes qui le déterminent.

Ce qu'exige l'abandon du libre arbitre
Vous autres poètes romantiques brumeux et crépusculaires, n'avez de cesse de troubler vos eaux pour paraître plus profonds que vous ne l'êtes. Vous autres subjectivistes, adorateurs et haïsseurs du Moi, n'avez jamais su observer ailleurs que votre nombril psychique. Seuls les narcissiques décérébrés qui ignorent la métaphysique du masque (comme Sartre) croient que l'abandon du libre arbitre est un pessimisme. Ils se trompent.
    L'abandon du libre arbitre exige la même modestie que celle dont font preuve les esprits scientifiques. Comme lorsque les astronomes découvrirent que notre planète n'était pas le centre du cosmos. Abandonner la croyance en le libre arbitre demande cet effort assez conséquent et provoque une souffrance provisoire (due au petit coup de marteau porté sur la vanité). Pourtant, cet abandon donne accès à des savoirs et des joies plus subtiles que les grossières amours et haines du Moi.

L'esprit douillet du libre arbitre
Ceux qui croient au libre arbitre ont renoncé à comprendre les rouages de l'esprit. Ces ignorants nous citent Pascal en ignorant que cette phrase, il l'avait écrite ironiquement... Dans le langage contemporain vulgaire, cette fameuse phrase "le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point", est équivalente à "ta gueule c'est magique". Quel naïf aurait pu croire qu'un penseur de la trempe de Pascal aurait pu prononcer une telle sottise au premier degré ? Ne le comparez pas au vulgaire Sartre...
    Bref, tous ces naïfs, ils ont renoncé à comprendre l'esprit, mais pour masquer à eux-mêmes et à la face du monde leur pusillanimité, ils déclarèrent que s'ils ne cherchaient pas, c'était qu'il n'y avait rien à chercher. Ces esprits mous ont peur de ce qu'ils risquent de découvrir s'ils font l'hypothèse ne serait-ce qu'un instant que le libre arbitre n'est pas. En admettant que la profondeur d'un esprit se mesure à la quantité de vérités qu'il est capable d'appréhender sans perdre la raison, les esprits douillets du libre arbitre, eux, préfèrent cacher le néant qui les habite derrière une prétendument mystérieuse fumée auto-souveraine aussi grotesque que nauséabonde. Le libre arbitre est le masque de leur conscience.

L'erreur fondamentale de Nietzsche
Accuser Nietzsche sans accuser tous les philosophes serait injuste. Voici le schéma classique qui structure la pensée de tous les philosophes.
1- Regardez comme mes prédécesseurs sont obtus, ils crurent qu'il était possible d'être libre, ils crurent au libre arbitre, aveugles qu'ils furent.
2- À présent, écoutez-moi bien, voici comment il faut faire pour être libre.
    À notre connaissance aucun n'y échappe. Pas même Spinoza. Mais l'erreur de Nietzsche est subtile. Après avoir démantelé avec fulgurance l'idéologie du libre arbitre, le vieux Nietzsche essaya de trouver une solution pour échapper à la frustration d'être enchaîné. Alors, il déclara qu'il existait des prototypes de surhumains, cet "éclair qui jaillit du sombre nuage humain" (Ainsi parlait Zarathoustra). Il déclara qu'il fallait s'isoler pour éviter l'influence de ses semblables. Eh bien, Friedrich ? Éviter l'influence ? Mais pour quoi faire ? Ne trahirais-tu pas, vieux moustachu, ton désir de libre arbitre pour toi ? Serais-tu tombé dans ce poncif grossier : "les humains n'ont pas de libre arbitre... sauf moi" ? As-tu cru un seul instant qu'en t'isolant de tes semblables dans ta tour d'ivoire, tu parviendrais à te libérer de tes chaînes, et par là même atteindre cette chimère fictive de l'auto-détermination ? As-tu oublié qui a construit cette tour et t'es-tu cru indépendant d'eux ? As-tu cru un seul instant, Friedrich Nietzsche, que tu te libérerais des causes qui te déterminent, et que tu deviendrais toi-même cette cause ? Et voici que, juste après avoir détruit le libre arbitre de ton marteau, tu commences toute une série de paragraphes par "nous autres esprits libres" ? Quelle mascarade !
    Tu es devenu exactement ce que tu as combattu avec cette fulgurance qui était la tienne. Comme tu l'écrivais toi-même (par delà bien et mal) :
La causa sui (cause de soi) est la plus belle auto-contradiction qui ait été imaginée jusqu'ici, une espèce de viol et de monstruosité logiques. Mais l'orgueil démesuré de l'humain l'a amené à s'embarrasser de cette absurdité, profondément et de la plus horrible façon. Le souci du "libre arbitre", dans le sens métaphysique excessif qui domine malheureusement encore les cerveaux des êtres instruits à demi, ce souci de supporter soi-même l'entière et ultime responsabilité de ses actes et d'en décharger Dieu, l'univers, les ancêtres, le hasard, la société, ce souci, dis-je, n'est point autre chose que le désir d'être précisément cette causa sui, de se tirer soi-même par les cheveux avec une témérité qui dépasse celle de Münchhausen, pour sortir du marais du néant et entrer dans l'existence.

Orgueuil, narcissisme, idéologie de la domination
Sartre naquit dans une famille bourgeoise. Sartre a fait des études bourgeoises : élève en classes préparatoires à Louis le Grand, il fut reçu à l'École Normale. Il obtint plus tard le prix Nobel de littérature. Dans sa croyance au libre arbitre, Sartre nie les champs sociaux universitaire, familial, et économique, qui rendirent possible tout ce confortable prestige. Il s'attribue totalement sa propre réussite. Seul son Moi serait le motif de tout cela. Quelle erreur grossière, et par là même quel confort douillet pour sa bonne conscience.
    Pour établir la généalogie du libre arbitre, il faut répondre aux questions : à quoi sert-il ? Qui sert-il ? En admettant que le moteur de l'histoire soit la lutte des classes, l'idéologie du libre arbitre ne sert que la classe bourgeoise - la classe qui exploite. L'idéologie du libre arbitre est le point de départ métaphysique du libéralisme capitaliste. Son seul motif est la justification morale de la supériorité de la classe bourgeoise sur la classe laborieuse, tout en niant qu'il existe des classes sociales, économiques, culturelles. Pourquoi les prêtres de l'église du libre arbitre s'acharnent tant à chanter leurs sermons ?
    L'idéologie du libre arbitre sert à légitimer ceux qui sont au sommet de la société et à culpabiliser ceux qui en sont à la base de n'avoir pas pu parvenir aux sommets. S'ils n'ont pas "réussi", ce n'est pas parce que le champ dans lequel ils évoluaient l'empêchait, c'est uniquement à cause de leur individualité. C'est leur conscience libre qui n'était pas assez "bonne". Voilà avec quelle violence l'idéologie du libre arbitre accuse profondément les individus. Cela va encore plus loin : en entretenant le mythe du libre arbitre, ceux qui sont à la base croient qu'un jour ils pourront arriver au sommet s'ils usent bien de leur libre arbitre. Parmi eux, de très rares y parviennent, par des circonstances exceptionnelles rarement dues à leur personne mais plus au hasard. Cela contribue à entretenir la fable. Nombre d'idéologues bourgeois rétorquent aux marxistes : "je connais un fils de prolétaire qui a réussi", oubliant que le cas particulier n'a aucune valeur en théorie du champ social. L'idéologie du libre arbitre est le carburant de l'exploitation de la classe laborieuse par la classe bourgeoise.
    "Je suis libre" sous-entend que quelque chose doit obéir. Ce "je" est une trivialisation du concept de volonté. Descartes pensait que "je pense" était une certitude immédiate. Spinoza, lui, espérait se libérer par "je connais". Schopenhauer crut que "je veux" était une certitude immédiate. Il crut que c'était le départ ontologique de l'existence. Nietzsche, par une pirouette gorgée de mauvaise foi, transforma "je veux" en le concept de volonté de puissance. Tous ces philosophes ont peint différents motifs sur un même masque, celui du libre arbitre. Ils crurent que quelque chose surgissait du néant, ce "Moi" souverain qui commanderait au corps. "Vouloir libère", croyait Zarathoustra. Ils croient que leur vouloir souverain permet de commander leur corps. C'est une idéologie de chef. Ils se figurent qu'il existe un empire dans un empire, que leur esprit n'obéit pas aux lois ordinaires de la nature comme des objets ordinaires. Ils se figurent que c'est eux qui décident. De commander son corps à en commander d'autres, il n'y a qu'un pas. Et ils en oublièrent d'interroger ce phénomène de volonté, le sacralisant et le rendant artificiellement mystérieux pour masquer leur imposture.

Abandonner "je", préférer "nous"
"Je" est une imposture. La grammaire latine pose "je" comme sujet et cause des actions alors qu'il en est la conséquence. "Je crois que", "je pense que", "mon opinion est que". Encore des masques grossiers où l'on se pose comme cause de tout. Croire que c'est "je" qui est le sujet de "pense" est une pure illusion. Car les pensées ne viennent pas quand "je" veux. Elles jaillissent spontanément dans la conscience. Les pensées viennent quand elles veulent. Ce n'est pas "je" qui pense. Quelque chose pense, un processus de pourriture inconsciente fait jaillir les pensées.
   D'où viens-"je" ? Une minute de réflexion des processus matériels permet de savoir immédiatement que toute la matière du corps humain ne vient pas de "je", mais de l'extérieur. D'abord de ses parents, puis des aliments. Pour un matérialiste cela suffit. Mais même le champ de la pensée est déterminé par les perceptions, nous en avons déjà parlé ici et ailleurs. "Je" n'est pas le sujet de nos actions. Les utilisateurs de "Nous" admettent que leurs actions, résultat d'un processus très complexe qui les précède (voici une définition de "volonté") ne dépend pas de "moi".
    L'autre imposture fondamentale de Nietzsche ainsi que de toute la classe bourgeoise fut de naturaliser l'idéologie du libre arbitre en invoquant le Darwinisme (Nietzsche n'osa pas avouer qu'il croyait au libre arbitre, il lui substitua habilement "volonté de puissance"...). Mais la bourgeoisie naturalise une morale qui sert ses intérêts de classe, car telle est la généalogie de toute morale, de toute définition du bien et du mal. Et ils oublièrent que l'instinct social et de coopération était précisément ce qui avait permis à l'humain de traverser les âges. Les idéologues bourgeois comme Nietzsche essayèrent de faire croire à leur indépendance totale. Ils croient qu'ils ne dépendent de rien, que tout ce qu'ils ont, seul leur Moi souverain le mérite. Si on peut céder à Nietzsche qu'il prônait la solitude et l'ermitage, la classe bourgeoise n'a aucune excuse puisqu'elle exploite en permanence la classe laborieuse. La classe bourgeoise ne survit que par ce processus d'exploitation collective.
    Les défenseurs du libre arbitre nous rétorquent : "à quoi bon abandonner le libre arbitre" ? Face au fracas chaotique et tumultueux que nous sommes obligés d'affronter lorsque nous entrons dans l'existence, il existe deux façons de réagir. La première façon, la façon de droite, c'est celle bien connue de l'idéologie bourgeoise. L'illusion de liberté, l'individualisme le plus brutal, l'égoïsme primitif, poussent les individus possédés par cette idéologie à se débattre contre les autres afin d'arriver au plus haut. Plus tard, s'ils réussissent, ils finissent par étendre le commandement d'eux-mêmes à celui d'autrui, et finissent dans la classe bourgeoise à exploiter la classe laborieuse. Voilà pourquoi tant de personnes qui se disaient de gauche ont fini à droite. L'autre façon d'affronter l'existence est la coopération. En abandonnant les vieilles thèses de Nietzsche, nous proposons au contraire de se délecter de l'influence qu'autrui peut avoir sur nous. Un esprit qui ne se nourrit pas est un esprit mort. Pour affronter le fracas de l'existence, la méthode de gauche consiste à tenir acte de l'inexistence du libre arbitre, et à faire corps collectivement. Curieusement, cela ne nie pas le principe d'égoïsme, c'est au contraire un égoïsme plus lucide, plus éclairé, l'égoïsme qui dit "j'ai intérêt à ce que mes semblables soient heureux". Dans le contexte actuel de l'exploitation de la classe laborieuse par la classe bourgeoise, quelle attitude adopter ? Les idéologues de droite (parfois à leur insu) préféreront se conformer aux exigences du marché du travail en s'acharnant de toutes leurs forces pour marcher sur leurs concurrents tout en se croyant libres. les idéologues de gauche, eux, ont intérêt à constituer une classe révolutionnaire qui fera corps pour subvertir le capitalisme en le remplaçant par le socialisme puis le communisme. Une condition nécessaire au succès de la classe révolutionnaire est l'abandon sans demi-mesure de l'idéologie du libre arbitre.

Voilà pourquoi tout idéologue partisan du libre arbitre est un ennemi de la classe révolutionnaire. Nietzsche, tu as voulu philosopher au marteau. Tu as oublié la faucille, mon vieil ennemi.

7 commentaires:

  1. Étiez-vous libre d'écrire cet article ?

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  2. tout d'abord merci d'avoir mis à jour le thème du site maintenant je peux lire le site le soir sans m'éclater les yeux et c'est trop bien et bien sûr l'aspect meta avec le noir du vide de l'esprit de nous autres pauvres hères mortels qui nous met face à notre propre insignifiance face au cosmos - et c'est là que la boucle est bouclée et que la routourne a tourné, car on revient au débat philosophique des stoïciens et de Platon via la référence au cosmos
    j'ai même pas commencé à lire l'article que c'est déjà du haut niveau de réflexion, j'applaudis des deux mains

    personnellement en tant que novice et au nom de tous "poètes romantiques brumeux et crépusculaires", naïfs et autres rigolos itinérants, je pense qu'une petite mise à niveau rapide aurait été appréciable, surtout sur la définition de Libre-arbitre (que personnellement je comprends comme "pouvoir de choisir (volonté) de façon contingente entre plusieurs options"). en effet ça serait bête de se retrouver mésinformé en allant chercher sur internet et alors de mal comprendre tout l'article
    aussi l'article est intéressant, et présente le sujet du libre arbitre assez bien, sujet de surcroît assez large. vu comment c'était parti sur Nini je m'attendais à un démontage en règle plus profond de la démarche réactive qui produit les concepts moraux de « bon » et « méchant », qui s'appuient sur la croyance illusoire en l'existence métaphysique d'un sujet libre dans ses choix qu'on retrouve dans la Généalogie de la Morale (et qui mène à la pensée du libre-arbitre) mais comme j'ai pu le noter plus tôt, ce texte n'a pas de visée didactique (en tout cas pas pour des vierges effarouchés de la philosophie), et donc ne vise pas l'enseignement de la philosophie du vilain Nietzsche, donc il est difficile de te taper dessus pour ça

    sinon je ne comprends pas pourquoi le texte est justifié sur le pdf mais pas sur le site. c'est très décevant ! cela empêche le lecteur à totalement se concentrer sur sa lecture et à s'immerger dans le texte. est-ce que c'est pour récompenser celui qui daigne cliquer sur le pdf ? ou est-ce que c'est un choix esthétique pour appuyer l'aspect chaotique de la vie ?

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    1. Tu remarqueras que le texte est justifié dans les commentaires mais pas dans le corps de l'article. La mise en page sur le web a pour nous bien des aspects mystérieux, mais un jour nous percerons tous ses secrets... (Le pdf a été produit par d'autres moyens).

      En choisissant des définitions précises du concept de liberté et en posant toute une métaphysique, Spinoza s'est appliqué à "démontrer" que l'humain est asservi par ses affections. Sur la liberté : "Est dite libre la chose qui existe d'après la seule nécessité de sa nature et est déterminée par soi seule à agir. On appelle au contraire nécessaire, ou plutôt contrainte, la chose qui est déterminée par une autre à exister et à produire un effet selon une raison définie et déterminée" (l'Éthique). Ensuite, Spinoza "démontre" par théorie ensembliste que seul Dieu, l'être absolument éternel et infini (autrement dit le cosmos), est libre. Les humains sont des choses issus de la matière ordinaire, et sont infiniment contenus dans le cosmos, ils ne sont qu'un micro-fragment d'existence, une minuscule poussière cosmique vestige d'étoiles explosées jadis ; comme ils sont englobés par quelque chose d'infiniment plus grand, les humains sont infiniment déterminés par ce cosmos et donc leur liberté est réduite à néant. Lis l'Éthique pour plus de détails.
      Il eût en effet été possible d'écrire cet article à la sauce de Spinoza en posant clairement toutes les définitions et en avançant linéairement. Mais cela donne un résultat laborieux et au final n'apporte pas grand chose, si ce n'est une armure de prétendue logique dont la seule utilité est de masquer les préjugés du philosophe en les faisant apparaître aux lecteurs naïfs comme des vérités absolues. D'où les guillemets autour de "démontre". Les bipèdes ailés n'ont pas besoin d'habiller ainsi leurs pensées avec mauvaise foi pour les faire apparaître plus vraies qu'elles ne le sont.

      Comme tu le dis, Nietzsche a déjà écrit plusieurs livres sur la généalogie du bien et du mal et de la morale, notre but n'est pas de le paraphraser. Qui souhaite comprendre Nietzsche a plus intérêt à lire un seul de ses livres que d'écouter mille conférences sur son œuvre.

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  3. C'est la première fois que je lis un article sur ce site, et ce fut une découverte intéressante. On pourrait trouver le ton légèrement condescendant, mais ça a le mérite de s'accorder avec un point de vue tout de même plutôt pessimiste.
    Oui, car l'"abandon du libre-arbitre n'est pas pessimiste" est certes bien défendu dans votre réflexion, quoique je le trouve assez peu approfondi (à quels genres de savoirs et de joies vous pensez, par exemple). Cela étant, je trouve néanmoins que l'opinion manque un peu de nuance. Tout comme il serait faux de prétendre que rien n'influence la vie d'un homme (comme vous l'expliquez dès le début avec Spinoza), refuser toute possibilité d'une volonté assez forte pour tout de même avoir une certaine marge de choix "libre", et décréter que l'Homme n'est que soumis à ses causes (peut-être comme l'animal est soumis à l'instinct ? Mais vous n'avez pas évoqué ce terme et je ne voudrais pas faire d'amalgame) me semble mener tout droit au problème majeur du déterminisme, le fatalisme. Soit la pensée que de toute manière, on est guidés à agir, et qu''essayer de changer les choses ne mènera à rien. Je pense aussi, bien sur, à la déresponsabilisation de l'individu, puisqu'il n'a pas librement choisi sa manière d'agir...
    Et peut-être est-ce ainsi que cela fonctionne réellement. Mais comme qui dirait, toute vérité n'est pas bonne à dire. Comment l'Homme peut-il vivre sa vie, et vivre en société, sans penser un libre-arbitre (quand bien même celui-ci serait illusoire) ? Bien sûr, c'est un avis influencé par ma propre perception des choses, et d'aucuns pourraient trouver cette question idiote.
    Pour le reste, votre critique sur la contradiction performative de Nietzsche, qui pourrait effectivement s'appliquer à n'importe quel philosophe, m'aura fait sourire, puisqu'elle est tout à fait vrai. Mais j'aurais tendance à penser que cela fait partie du "contrat" d'être philosophe; car simplement observer comment le monde marche, ou relever les erreurs de ses pairs sur cette même réflexion, ne mène pas très loin. Pour avancer, constater est une étape, proposer une nouvelle réflexion et de nouvelles solutions en est une autre. Mais cela reste drôle (d'autant que je donne probablement trop de modestie aux travaux de ces chers philosophes).
    Je finirai (vous m'excuserez la longueur du commentaire je l'espère) sur la réflexion du "je" et du "nous", et au final, de la défense du communisme. Sans (trop) faire de blagues sur ce que l'Histoire nous a montré de ce type de régime, je retombe sur l'argument de la facilité d'une part ( "Je" ne fait rien, et ne décide de rien, c'est "nous" qui est responsable) et un problème, possible, de cercle vicieux : "nous" pense, mais "nous" est composé de "je", "je" ne veut penser qu'en "nous", et au final sur le long terme, personne ne pense plus rien. Qui plus est l'idée de bonheur collectif me fait penser à la réflexion utilitariste, dont les multiples critiques ont su pointer les éventuelles problématiques qu'une telle opinion peut soulever.
    Je m'arrête là (enfin). Je suis loin d'être experte en philosophie, mais ce sont là les quelques idées que votre article, très bien écrit au demeurant, m'a données.
    (Je vous remercie également du format PDF, ayant beaucoup de mal à lire le blanc sur noir).

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    1. Ce commentaire soulève des problématiques fondamentales que les bipèdes ailés traiteront dans des articles ultérieurs, nous n'écrirons que de brèves réponses sinon cela demanderait trop d'espace-temps.

      Sur les "savoirs et les joies plus subtiles". Pour faire très bref, il s'agit des sciences. Le savoir scientifique est en soi une jubilation. À quoi bon faire des sciences si ce n'est pour le plaisir de connaître, de découvrir, et de contempler la complexité du cosmos ? Cela est aussi applicable à l'esprit humain. Poser le libre arbitre interdit toute recherche en psychologie. Or, il y a une jubilation à comprendre les rouages de l'esprit humain.

      Sur le fatalisme, plusieurs articles seraient nécessaires. D'abord, le déterminisme n'implique pas le fatalisme, car déterministe ne signifie pas déterminable. L'exemple emblématique sont les systèmes chaotiques en science physique. Les équations qui régissent la dynamique de ces systèmes sont déterministes, mais il est impossible de déterminer précisément ce qu'il se passe au delà d'un certain temps quelle que soit la précision avec laquelle on connaît l'état initial du système. Le fameux "effet papillon". Et heureusement, sinon la recherche scientifique n'aurait plus de sens, tout serai déjà connu pour l'éternité. En bref, même un monde déterministe peut réserver de nombreuses surprises.

      Mais même dans le cadre du fatalisme il y a des choses à faire. Les Grecs étaient fatalistes, mais, pour citer encore le vieux Nietzsche : "l'artiste tragique n'est pas un pessimiste, il dit "oui" précisément à tout ce qui est problématique et terrible, il est dionysien." (Le crépuscule des idoles). Le classique "amor fati" permet de se projeter à plein corps dans l'existence et de s'accomplir soi-même avec une volonté absolue, sans avoir nullement besoin de s'affecter une liberté de conscience. On peut voir cela comme un amour du cosmos, ou du Dieu de Spinoza.
      Donnons-en un exemple avec le marxisme et le principe de lutte des classes. Il s'agit de comprendre la notion de sens de l'histoire, de classe révolutionnaire dont le destin est de subvertir la classe qui exploite. En ce sens le déterminisme voire même le fatalisme n'est pas un pessimisme. Mauvaise nouvelle : cela prendra plusieurs siècles. Bonne nouvelle : cela a commencé depuis plus d'un siècle. Il y a énormément à dire sur ce sujet. Marx et d'autres y ont consacré leurs vies et leurs œuvres. Pour des lectures plus récentes, les bipèdes ailés conseillent Bernard Friot. Des articles sur ce sujet apparaîtront.

      Pour répondre aux méditations sur "je" et "nous" il vaudrait mieux lire un article plus ancien, à propos de la notion de pourriture psychique ("Le génie du merle, ou ce que créer veut dire", voir bibliographie du pdf). Le thème de la responsabilité individuelle ou collective est trop important pour l'écorcher en quelques phrases ici, des articles apparaîtront.

      Nul besoin d'excuses, les commentaires longs sont plus que bienvenus.

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  4. Tout d'abord bravo pour cette magnifique construction philosophico-politico-culbuto, empreinte à la fois d'une logique implacable, d'une ironie mordante et d'une bonne dose de mauvaise foi utilisée juste ce qu'il faut pour la bonne cause. Mon seul commentaire serait qu'en vertu de ce retournement dialectillogique selon lequel celui qui se croit libre l'est finalement bien moins que celui qui sait ne pas l'être, le communiste primaire n'est il pas plus libéral qu'il le croit, voulant mettre au pouvoir un pseudo "nous" qui aura vite fait de se transformer en"je"? Hahaha

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