dimanche 22 juillet 2018

Liberté égale libération

Les Orientaux savaient qu'un seul est libre. Les Grecs surent que quelques uns sont libres. Les modernes savent que tous sont libres.
Hegel

1- En finir avec la critique
 
    Renoncer au postulat du libre arbitre formulé dans toute sa médiocrité philosophique d'un idéalisme honteux très largement revendiqué par l’intelligentsia bourgeoise n'implique pas de renoncer à la liberté comme concept. L'hypocrisie de la bourgeoisie n'admet aucune limite lorsqu'il s'agit de masquer le lourd carcan des classes sociales et la violence du capital, derrière une caution morale de libre arbitre et de responsabilité individuelle. Nous en avons maintes fois effectué la démonstration, nous autres philosophes, sociologues, et économistes, bref, nous autres dialecticiens et matérialistes. Ajoutons pour en finir avec la critique du libre arbitre, que tout matérialiste qui se respecte ne peut admettre l'existence d'une conscience individuelle libre qui pourrait, telle un empire dans un empire, prendre des décisions indépendantes du monde matériel mais pouvant - par un saut-périlleux arrière logique - influer sur lui.

    De là, nos contradicteurs nous répondent souvent que le renoncement au libre arbitre est un pessimisme. Que, sans liberté de conscience individuelle, à quoi bon agir si l'individu est nié ? À quoi bon quoi que ce soit puisque tout est déjà déterminé à  l'avance ? Nous avons déjà nié ces affirmations sous-entendues par ces questions rhétoriques. Ajoutons que, comme l'écrivait l'un de ses fondateurs, Marx, le matérialisme historique et dialectique est une philosophie révolutionnaire. Par sa méthode, elle dévoile les contradictions de l'ordre établi, et en extrapolant ces contradictions, elle expose comment leur mouvement peut les surmonter elles-mêmes, comment la dynamique grandissante et houleuse de ces contradictions peut s'auto-résoudre en subvertissant l'ordre établi, le remplaçant par un ordre nouveau qui nie l'ancien, et qui, en s'établissant positivement, nie la négation. Marx a montré les contradictions de fond du capitalisme et en a ébauché l'émancipation réelle et empirique déjà à l’œuvre,  le communisme, fils haï et parricide du capitalisme. Il n'est alors guère étonnant de voir l’intelligentsia bourgeoise, aliénée jusqu'à l'os par l'idéologie dominante capitaliste dont le fondement philosophique principal est le postulat d'existence du libre arbitre, rétorquer aux matérialistes que l'abandon du libre arbitre est un pessimisme. C'est une réponse de classe. Nous autres révolutionnaires, leur répondons : oui, l'abandon du libre arbitre est une mauvaise nouvelle pour la classe réactionnaire qu'est la bourgeoisie, il est logique que vous la perceviez comme un pessimisme. Mais, l'abandon du libre arbitre, remplacé et subverti par le matérialisme dialectique, constitue dans son développement et son mouvement une force capable de pétrir et former toute la classe révolutionnaire d'un optimisme intarissable et d'une joie profonde et authentique, car révolutionnaire.

2- Le sens de l'histoire : la liberté

    Quelle est la cause première de l'action politique ? Quel est le sens général de l'histoire dans son développement ? Quel est le but de l'histoire ? L'émancipation collective. Un mouvement tendanciel vers la liberté. En admettant que la lutte des classes soit le cœur de l'histoire, ce moteur mettant en mouvement cyclique les objets en présence, la liberté en est l’œil perçant capable de donner la direction générale du mouvement dont la force motrice est la lutte des classes. La liberté est le principe conceptuel de l'histoire de l'humanité.

    Il s'agit d'un lent processus de libération des humains de l'empire de la nécessité. Cette libération s'opère d'abord par l'intellection de cette nécessité, donc à partir de celle-ci, jusqu'à ce que cette nécessité se transforme en son contraire et devienne liberté. En effet, au fur et à mesure que se développent les forces productives, les civilisations mettent au point des outils de plus en plus sophistiqués. La compréhension des phénomènes naturels - l'intellection de la nécessité - implique le développement de techniques qui permettent aux humains de dominer la nature plutôt que de se faire dominer par elle. La liberté dont nous parlons n'est pas cette bizarrerie des intellectuels bourgeois qui imaginent une liberté idéaliste totalement abstraite de la nécessité matérielle (le libre arbitre). La liberté dont nous parlons est concrète car elle se construit au sein même de la nécessité matérielle sans la nier. L'intellection de la nécessité a libéré les humains de la nature sur eux. Alors, la liberté n'est plus seulement l'intellection de la nécessité, elle en devient la vérité et le principe même à la base de son mouvement.

    Cette libération matérielle ouvre de nouvelles possibilités. Des degrés de liberté sont relâchés. Alors qu'à l'aube de l'humanité, seule la nécessité matérielle et la survie pure guidaient les embryons de civilisation (à quelques rares moments de spiritualité près), grâce au développement d'une rationalisation des techniques de survie - agriculture, élevage, architecture, stockage -, les humains purent dégager du temps pour que quelques uns d'entre eux se demandassent : "que puis-je savoir ?" et surtout "que dois-je faire ?". Les deux questions fondamentales de la philosophie naquirent dans une civilisation où quelques uns étaient libres - les deux dixièmes de citoyens Grecs. Se poser ces questions suppose une liberté pratique. Alors que chez les Orientaux Antiques, seul le Pharaon (ou l'Empereur d'Extrême Orient), était libre, et sa liberté reposait sur la servilité matériellement nécessaire de tous les autres, ce qui garantissait la stabilité politique et la vie de ces civilisations. Les humains n'avaient pas à se demander "que dois-je faire ?", cette question était hors-sujet, tous savaient quoi faire : il fallait construire la pyramide du Pharaon, ou produire l'agriculture, etc., bref, la nécessité régnait sur tous, sauf Pharaon. Ainsi se développa l'histoire des civilisations. Les Orientaux savaient qu'un seul est libre (Pharaon). Puis, les Grecs surent que quelques uns sont libres : les citoyens grecs. Platon, qui fut le philosophe de son temps, magnifia cette découverte dans sa République, où il y décrivait comment une aristocratie de philosophes libres régneraient sur le reste des humains, et ce règne heureux rendrait toute la cité heureuse. Mais à présent, nous autres modernes, savons que tous sont libres : tel est ce qu'affirme la devise des Lumières de la Révolution Française : liberté, comme principe premier, égalité, comme moyen de réalisation de cette liberté, et fraternité, le mode de vie rendu possible par les deux premiers concepts. Mais cette liberté n'est pour le moment qu'abstraite, car l'exploitation et l'accumulation capitalistes réduisent la liberté à une oligarchie bourgeoise propriétaire des moyens de production et rentière du travail de tous. D'où le mouvement communiste, abolition réelle déjà à l’œuvre du capitalisme.

    La liberté n'est pas qu'une valeur morale subjective qu'on peut se contenter d'agiter comme un fétiche spirituel et individuel. Elle est le principe à la base des grands mouvements historiques, de tous les craquements révolutionnaires. Si Hegel a compris le principe du mouvement de l'histoire, Marx en a compris son mécanisme matériel. Voici entre autres ce qu'il écrit dans la préface à la Contribution à la critique de l'économie politique :
            Le résultat général auquel j'arrivai et qui, une fois acquis, servit de fil conducteur à mes études, peut brièvement se formuler ainsi : dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rap­ports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui corres­pondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives maté­rielles. L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s'élève une superstructure juridique et politique et à la­quel­le correspondent des formes de conscience sociales déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience. À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une époque de révolution sociale. Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement toute l'énorme superstructure. Lorsqu'on considère de tels bouleversements, il faut toujours distin­guer entre le bouleversement matériel - qu'on peut constater d'une manière scientifiquement rigoureuse - des conditions de production économiques et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le mènent jusqu'au bout. Pas plus qu'on ne juge un individu sur l'idée qu'il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de boule­ver­se­ment sur sa conscience de soi; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle, par le conflit qui existe entre les forces productives socia­les et les rapports de production. Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu'elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s'y substituent avant que les conditions d'existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société. C'est pourquoi l'humanité ne se pose jamais que des problèmes qu'elle peut résoudre, car, à y regarder de plus près, il se trouvera toujours, que le problème lui-même ne surgit que là où les conditions matérielles pour le résoudre existent déjà ou du moins sont en voie de devenir. À grands traits, les modes de production asiatique, antique, féodal et bourgeois moderne peuvent être qualifiés d'époques progressives de la formation sociale économique. Les rap­ports de production bourgeois sont la dernière forme contradictoire du processus de produc­tion sociale, contradictoire non pas dans le sens d'une contradiction individuelle, mais d'une contradiction qui naît des conditions d'existence sociale des individus; cependant les forces productives qui se développent au sein de la société bourgeoise créent en même temps les conditions matérielles pour résoudre cette contradiction. Avec cette formation sociale s'achè­ve donc la préhistoire de la société humaine.
   

    Tel est l'enchaînement politique. Alors qu'une certaine forme de rapports de production a été libératrice (par exemple les rapports de production capitalistes par rapport aux rapports de production féodaux), lorsqu'ils perdurent trop, ils en deviennent une entrave et donc une force politique réactionnaire. Aujourd'hui, le capitalisme en est arrivé à un stade de pourrissement sans précédent qui bloque le développement progressiste des forces productives. Bizarrement, depuis quelques décennies, on n'entend plus parler de "progrès" en ce qui concerne la technologie, mais seulement d'"innovation". Il faut innover à tout prix, peu importe que cela aboutisse à du progrès ou non. Puisque tout ce qui compte, c'est de vendre pour faire du profit. Les capitalistes eux-mêmes admettent qu'ils ne sont plus vecteurs de progrès. Contrairement à une croyance répandue, le capitalisme n'est pas productiviste. Le processus d'accumulation, dans le stade actuel, implique nécessairement une grève d'investissement des capitaux qui se traduit par une destruction massive de l'appareil industriel des pays capitalistes avancés et par un chômage de masse.  Le mouvement communiste a pour mission historique de libérer le travail de la violence capitaliste par l'appropriation collective des moyens de production et en affectant à chaque personne un statut politique de producteur, de telle sorte que nous soyons maîtres sur la production, nous autres, producteurs librement associés. La maîtrise collective de la production aboutira à une intellection de la nécessité des phénomènes sociaux, industriels et économiques, qui se traduira par une liberté vis à vis d'eux. Les civilisations humaines pourront s'auto-déterminer plutôt que d'être soumises à la nécessité de la violence capitaliste sur laquelle nous n'avons aucune maîtrise (la "main invisible du marché" à laquelle il faut obéir, sous peine d'aller en enfer.)

    Aujourd'hui, les forces productives existantes rendent matériellement possible une liberté bien supérieure pour l'ensemble de l'humanité. Les rapports de production capitalistes bloquent cette libération depuis plus d'un siècle et demi. Les forces productives sont entrées en contradiction avec les rapports de production, ce qui implique nécessairement un mouvement révolutionnaire d'émancipation. Ce mouvement est chaotique et lent. En effet, la bourgeoisie, classe révolutionnaire qui a réussi, a mis plusieurs siècles à renverser le mode de production féodal, économiquement, avant de consacrer cela politiquement et idéologiquement, en 1789. Et même après cette date, la féodalité a su déployer des forces réactionnaires considérables puisqu'il y eut plusieurs restaurations de régimes politiques anti-républicains. Mais globalement, aujourd'hui, nous retenons de cette période les mouvements de libération. Les tentatives de retour en arrière ne pouvaient qu'échouer à long terme car elles étaient contraire au principe du mouvement historique : la liberté. Depuis quarante ans environ, nous vivons la même chose, un recul historique semblable à la restauration féodale, qui aujourd'hui se traduit par une restauration capitaliste (qu'on appelle faussement néolibéralisme). À l'échelle d'une vie humaine, c'est considérablement long et déprimant, mais à l'échelle historique ce sera quasi-négligeable. Nous savons que le mode de production communiste est plus efficient et libérateur que le mode de production capitaliste. Pour cela il suffit de considérer ce à quoi a abouti le grand mouvement communiste en France depuis la Libération (les mots en disent long) en 1945 jusqu'aux années 80. Prenons pour exemple la Sécurité Sociale mise en place en 1946 par Ambroise Croizat, ministre communiste, ainsi que les militants communistes de la CGT. Cette Sécurité Sociale dont le capital a encore du mal à se débarrasser fonctionne par mutualisation de la valeur économique grâce à la cotisation salariale, qui reconnaît que les soignants, les parents, les chômeurs et les retraités produisent de la valeur économique. Le travail est émancipé du capital car sa définition l'excède. Le mode de production commence à être subverti car des nouvelles formes de production hors du capitalisme émergent. De plus, les caisses de cotisation étaient gérées par les travailleurs eux-mêmes via les syndicats. Chacun peut mesurer aujourd'hui à quel point la Sécurité Sociale en mode de production communiste est libératrice des nécessités et des risques biologiques, comparé aux mutuelles privées capitalistes. La catastrophe hospitalière contemporaine mise en place par les réactionnaires capitalistes, qui résulte de la destruction planifiée des conquêtes du CNR et des partenariats publics-privés, est sans appel.

3- Vivre selon le concept, aujourd'hui : liberté égale libération

    La liberté ne peut exister que dans un processus dynamique de libération. Si elle est affirmée comme existante en tant qu'objet bien défini, alors elle se nie elle-même car devient prisonnière de son être et de sa nécessité objective. Tel est le fondement de l'imposture bourgeoise, qui prend pour prétexte l'existence déjà réalisée de la liberté de tout individu pour justifier tous les obstacles qu'elle tente d'opposer à tout mouvement de libération du capital. Le processus d'émancipation est un mouvement infini semblable à la traque infinie des masques. (Re)lire Et les esprits libres tuèrent le libre arbitre. Les humains, une fois émancipés du carcan capitaliste, ne suivront pas moins un mouvement dicté par la nécessité matérielle. Ils chercheront de nouvelles voies vers l'émancipation. De nouveaux défis s'imposeront à eux, mais ils ne seront pas revenus au point de départ car ils se seront déjà débarrassés du carcan capitaliste. Toutes les contraintes violentes de ce mode de production seront abolies et les humains pourront se donner de nouveaux défis historiques à affronter. Quels seront ces défis ? Nul ne le sait aujourd'hui, la matière historique présente ne permet pas encore de le deviner. Mais cet inconnu n'est-il pas excitant ? Quel paysage se cache-t-il derrière le mur capitaliste ? Quelles seront les nouvelles contradictions de la société communiste que l'humanité aura la tâche de surmonter ?

    Les plus utopistes parmi les militants communistes trahissent leur idéalisme inavoué de la façon suivante : "le libre arbitre existe mais il est contrarié par le carcan capitaliste. Une fois ce carcan ôté, nous serons enfin libres et nous pourrons nous auto-déterminer dans la nouvelle société communiste. Ce sera alors la fin de l'histoire et des luttes politiques." Nous voudrions opposer à cette thèse ce qui suit. Même une fois le capitalisme totalement aboli et le communisme totalement à l’œuvre, les individus, quoi qu’émancipés du carcan capitaliste, immense progrès qu'il conviendra de saluer, n'en seront pas moins dans un mode social, ne continueront pas moins d'être influencés en permanence par leur environnement, ne se construiront pas moins en se nourrissant d'autrui. Bref, leur conscience ne continuera pas moins d'être le reflet du monde social dans lequel ils vivront. Cela n'enlève rien au progrès de l'humanité opérés par le communisme, au contraire. Tout communiste devrait se réjouir de pouvoir confronter sa production à la collectivité, de pouvoir s'imprégner du monde social dans lequel il vit, et même de revendiquer l'héritage culturel et social qui constitue son être, plutôt que de s'enfermer dans des bulles relativistes et individualistes comme nous pousse le capitalisme à le faire, ce qui, paradoxalement, incite à un conformisme déprimant. Mais quel bonheur que d'être subjugué, subverti et bouleversé par des camarades, et des maîtres, qui ont su mettre notre esprit en mouvement ! Laissons les robinsonnades du libre arbitre aux prétentieux qui croient possible leur auto-détermination indépendante du monde social, ce sont, philosophiquement parlant, des anarchoïdes de droite comme Nietzsche.

    Aujourd'hui, nous savons quelles sont les conditions matérielles, économiques, et politiques, de réalisation de la liberté. Notre mission historique est de faire rentrer ce possible dans le réel. Le réel est avant d'être en ce qu'il est possible. Le possible, c'est ce qui ne se contredit pas lui-même. Il est pensable donc susceptible de déterminer le vouloir et l'agir. De cette façon, les humains peuvent se fixer n'importe quel objectif. Les discours sur ce qui est possible sont très faciles, car on peut pousser très loin l'abstraction identique à soi et non contradictoire, donc pouvant être. Rien n'est plus vain que d'énoncer des possibles mais non encore réels ! Le possible est seulement possible, le réel l'excède par ses déterminations. L'utopisme est le meilleur moyen d'échapper au réel. Il faut concrétiser la possibilité, l'arracher à la subjectivité pour la faire entrer dans le réel. Telle est l'effectivité, l'agir avec efficience. Mais cela ne peut pas se faire à partir de rien. Il faut partir de ce qui est déjà là et le pousser à se généraliser. La vie selon le concept de liberté se développe dans l'histoire. L'affirmation de la liberté se connaît comme liberté réalisable qui a déjà commencé à se réaliser. Ce processus est toujours déjà commencé, puisque la liberté est le principe premier du mouvement de l'histoire. La liberté exige des conditions de réalité, déterminations de la liberté ; la liberté présuppose ces conditions pour ensuite les dépasser. La liberté motrice dépasse et repousse toujours plus loin ses déterminations. Sinon elle ne serait pas liberté.

    Il y a un déjà là communiste sur lequel s'appuyer pour se débarrasser du capitalisme. Depuis un siècle et demi de lutte des classes, alors que les critiques tous plus atterrés les uns que les autres pleurnichent sur la misère qu'opère le capitalisme, nous autres, bipèdes ailés révolutionnaires et optimistes, nous nous appliquons à épier l'émancipation sous toutes ses formes, nous scrutons l'histoire pour en rechercher quels sont les mouvements de progrès déjà à l’œuvre. Aujourd'hui, nous disposons de plein de conquêtes victorieuses de liberté que nos anciens nous ont légués comme héritage. Lorsque la liberté progresse, elle le fait de façon irréversible. Même les plus réactionnaires aujourd'hui n'oseraient pas revendiquer un retour aux conditions de travail de l'époque à laquelle Marx a rédigé son œuvre.

    Vivre selon le concept de liberté, aujourd'hui, consiste à épier l'émancipation et à œuvrer à sa réalisation toujours déjà commencée. Viennent les jours heureux de l'émancipation réelle et concrète qui abolira le capitalisme, viennent les jours heureux de la libération communiste à l’œuvre depuis déjà plus d'un siècle !

6 commentaires:

  1. La première partie étant plutôt claire et cohérente, mes commentaires et questions débuteront à la deuxième.
    Tout d'abord, on nous catapulte ici l'idée que la lutte des classes est le cœur de l'histoire, et qu'il faut l'admettre pour entendre la liberté comme principe de cette histoire. Je me demande donc, pourquoi place-t-on la lutte de classe au cœur de l'histoire, est-ce la définition d'Histoire qui implique cela ? (Qu'appelles-tu histoire ?) Ne pourrait-on pas imaginer une société sans classe ? Aurait-elle une histoire ? Ces hypothèses lointaines sont peut-être légèrement hors sujet, et nous amène sans doute à définir "classe". Mais ne soyons pas sectaires et acceptons de considérer nos digressions avec respect et sympathie.

    Un autre point me semble particulièrement intéressant. Un est libre, quelques uns, puis tous. La liberté serait-elle devenue un état manichéen ?
    La formulation de Hegel semble dire oui, pourtant une bonne liberté matérialiste bien honnête se définit par rapport à une nécessité. Alors l'état de liberté en général, ça ne peut-être qu'un assemblage de libertés et de contraintes, ce qui donne de vraies nuances. Quant à la liberté de Pharaon, on s'aperçoit vite que de nombreux hommes d'aujourd'hui sont plus émancipés des contraintes matérielles que lui en son temps. Pourtant ces hommes peuvent être complètement asservis par le capital aujourd'hui. Il me semble donc qu'il y a ainsi une petite faille dans la définition. Ou alors la liberté ne peut se mesurer que dans une époque donnée ? Ou à échelle sociale donnée ?
    Il est certain que considérer la liberté absolue n'a pas de sens. Hegel propose-t-il de caler comme état de "liberté" l'état de plus grande émancipation matériellement possible, en signifiant ainsi que, pour les Orientaux, seul Pharaon l'atteint, puis qu'ils sont quelques uns, etc ? Alors deux états de "liberté" à deux époques différentes ne signifient rien l'un par rapport à l'autre.

    N'est il pas, par ailleurs, légèrement idéaliste d'accuser les capitalistes de bloquer la libération ? La libération de la classe populaire est toujours à l’œuvre, et il est dans l'ordre des classes que le capitalisme s'y oppose, puisque il laissera, lui, un degré de liberté dans la bataille. Ne peut on pas dire que les capitalistes sont allés jusqu'à s'affranchir de la nécessité du travail, en exploitant le prolétariat ? Les forces productives ainsi vampirisées, il suffit de récolter ce que d'autres font pousser. Il va sans dire que cet état déséquilibré n'est pas stable, et qu'à long terme une homogénéisation des niveaux de liberté apparaît comme une nécessité physique, qui ne sera possible que par l'avènement d'un nouveau système de production - sans doute communiste.

    De même, je ne comprends pas le passage légèrement plus haut sur l'auto-détermination supposée des civilisation post-capitalistes. Cela me semble en contradiction directe avec ce qui précède. Si une société s'auto-déterminera un jour, alors la notre s'auto-détermine aujourd'hui, et si on considère qu'il n'y a pas d'empire dans un empire (Lao Zi propose une intéressante alternative chinoise aux mots du camarade Baruch : "le tao que l'on peut nommer n'est pas le tao", où on traduit "tao" par "principe", et on parvient à quelque chose qui dit que si un principe suit une loi plus globale, alors le premier principe n'est pas le principe général), alors personne ne s'auto-déterminera, jamais, même pas une société communiste bien élevée.

    (...)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. (... commentaire trop long refusé par ce blog ingrat)

      Sur la liberté comme processus dynamique : cela semble assez évident, la liberté ne peut exister que quand elle vient de dépasser la nécessité, car une fois cette nécessité effacée, la liberté n'a plus de raison d'être.
      C'est certainement une bonne leçon à retenir en ce qui concerne les revendications politiques que nous portons : notre but est l'émancipation de la nécessité, mais nous ne pouvons formuler que des demandes abstraites, fractions de cette émancipation, qui sont les pierres du chemin, mais ne doivent pas être considérées comme des fins en soi.
      Ainsi la sécurité sociale, le salaire à vie ou même la propriété d'usage des moyens de production sont des préoccupations de premier ordre aujourd'hui, mais gardons à l'esprit qu'ils ne sont que les parties matériellement concevables pour nos esprits du processus général. Enfin, de toutes façons, à l'échelle d'une vie, cela suffit bien...

      Bien à vous, camarade

      Supprimer
    2. Le fait énnoncé que la lutte des classes est le coeur de l'histoire, est une analyse matérialiste.
      Les hommes ont en tête des idées qui les font agir. Ces idées naissent
      des conditions d'existence matérielles dans lesquelles ils vivent. Ces conditions d'existence matérielles
      sont déterminées par la place sociale qu'ils occupent dans la société, c'est-à-dire par la classe à laquelle
      ils appartiennent, et les classes sont elles-mêmes déterminées par les conditions économiques dans lesquelles évolue la société.
      Ce qui détermine les conditions économiques et les classes qu'elles créent, ce sont les divisions du travail, qui n'ont d'ailleurs pas toujours existés. Dans les premiers stade de l'humanité, les produits crées étaient communs (dans la préhistoire par exemple).
      La premiere division du travail serait celle-ci:
      La division entre deux mode de production, le 1er qui est la chasse et la pêche, et le 2eme qui est l'élevage, qui donne naissance au tribus de pasteurs. Cette division amène à la première division de la société en classe: Les maitres (pasteurs) et les esclaves (tribus "sauvages").
      La deuxième division du travail est entre les agriculteur et les artisans (division entre l'agriculture et le métier), et la division en classe entre seigneurs et serfs.
      Et enfin, la troisième division du travail, qui est l'apparition des marchands, qui divisera la société entre bourgeois et prolétaires.
      Je ne m'attarderais pas sur les conditions économiques, ça serait un peu long.

      C'est un très gros résumé (de Politzer notament), que quelqu'un me dise si je me trompe ! Comment analyserais-tu l'histoire si tu n'es pas d'accord avec cette analyse ?(c'est une vrai question, pas une rhétorique) Et l'on peut voir que même sans classe, l'histoire est là (préhistoire, ou tout ce qui se passe avant l'élevage et la pêche). Si tu es matérialiste je ne vois pas quelle autre analyse tu pourrais avoir, mais je serais ravie d'en apprendre de nouvelle.

      Sur ton point suivant, un état d'émancipation total et complet me semble assez utopiste, mais dans la théorie, j'imagine que si au fur et à mesure des siècles, l'état de nécéssité est de plus en plus enlevé, alors il arrivera bien un jour où il atteindra zéro, mais pas sûr que l'humanité tienne jusque là (c'est possible, mais est-ce que ça deviendra réel?) Ce n'est sûrement pas pour tout de suite, surtout si, comme aujourd'hui, des retours en arrière arrivent périodiquement (et on serait alors dans la nuance, non?).
      (...)

      Supprimer
    3. (...)

      Je pense que tu ne compares pas les bonnes classe. Le pharaon faisait partie de la classe dominante, les hommes asservis que tu décris seront aujourd'hui plutôt de la classe dominée.
      Même pour nous aujourd'hui, on peut dire que seul le Pharaon était libre car comme le dit notre camarade, son peuple ne l'était pas, car il devait le servir, la nécessité regnait sur tous sauf sur le Pharaon.
      Deux états de liberté à deux époques différentes signifient que l'état de nécessité du plus grand nombre a augmenté au fil de l'histoire. Je pense que la tendance exponentielle est le lien entre les deux.
      De plus, nous savons que nous sommes libre, mais cette liberté est encore abstraite. Il faut la faire entrer dans le réel.
      Aujourd'hui, Nous pensons que chaque humain a droit à la liberté, si nous savons que la liberté pour tous est le principe du mouvement historique, alors nous savons qu'on est tous potentiellement libres. Il y a une poignée de siècles, le fait que la liberté soit réservée à des classes supérieures aristocratiques était communément admis, contrairement à aujourd'hui.

      Si la classe bourgeoise s'oppose à la libération de la classe populaire, c'est qu'elle la bloque, non ? Pourquoi serait-ce idéaliste de dire ça ? Les capitalistes, du point de vue de la nécessité du travail, sont en effet plus libre que les prolétaires. Mais, si eux sont libres, il est sûr qu'ils bloquent la liberté de la classe dominée, et si la liberté est bien tendencielle, alors elle arrivera chez ces derniers aussi.

      Bisous

      Supprimer
    4. Justifions l'affirmation suivante : La lutte des classes est le moteur de l'histoire. Notre camarade anonyme en a exposé une démonstration historique, matérialiste (et synthétique) correcte, aussi nous n'insisterons pas plus. L'extrait cité de Marx dans l'article donne aussi des éléments mécaniques de réponse. Essayons d'analyser l'extrait cité.

      Dans les premières phrases du texte, Marx donne les clefs de la compréhension du monde social. Le texte est si pur, clair et concis qu'il n'y a pas besoin d'ajouter quoi que ce soit là dessus. C'est le texte qui contient le plus de marxisme en le moins de mots. Il faut l'apprendre par coeur et le méditer tous les jours...
      Un développement sur les classes sociales sera l'objet d'articles ultérieurs (ou alors, il faut lire le Capital). En bref, pour aborder les classes sociales, il faut aborder la théorie de la valeur et les rapports de production de cette valeur, car c'est là dessus que se construisent les classes. La classe dirigeante est celle qui est propriétaire des moyens de production du mode de production dominant. La classe révolutionnaire est la classe qui est candidate au pouvoir sur la production dans une perspective de libération et qui a déjà commencé à produire autrement et mieux ("De formes de développement des forces productives qu'ils étaient ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une époque de révolution sociale. [...] jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s'y substituent avant que les conditions d'existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société."). Marx analyse donc les mouvements des sociétés humaines (l'histoire) en raison des rapports qu'entretiennent les forces productives, les rapports de productions, et les hyperstructures idéologiques, et de la dynamique à l'oeuvre entre ces structures ("À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants" etc.). Lorsque ces éléments sont en contradiction, il y a des mouvements de révolution. Les mouvements historiques, selon Marx, s'enchaînent majoritairement selon ce type de mécanisme, et c'est selon les lunettes de la lutte des classes que l'on peut analyser le monde social dans sa dynamique, à savoir la formation de nouvelles structures et la disparition des anciennes. De plus, Marx, comme Hegel, constate le progrès tendantiel de l'histoire : "À grands traits, les modes de production asiatique, antique, féodal et bourgeois moderne peuvent être qualifiés d'époques progressives de la formation sociale économique.".

      (...)

      Supprimer
    5. (...)

      Filons la métaphore du moteur. Il faut se représenter la contradiction entre forces productives et rapports de production comme deux forces de directions opposées mais n'appuyant pas sur le même point. Ces deux forces exercent un moment de forces (concept emprunté à la science physique), et le mouvement qui a tendance à en résulter est une rotation, ou encore une... révolution. Cette force rotative est la force motrice du navire historique. Voilà par quel mécanisme la lutte des classes peut être considérée comme moteur de l'histoire. La liberté, c'en est le gouvernail.
      La dialectique, dans son principe, considère que ce sont les forces contradictoires qui mettent les choses en mouvement. Sans considérer le couple principal de forces contradictoires, on ne saurait rendre raison des principaux mouvements historiques. Marx a identifié la lutte des classes comme la principale contradiction des sociétés humaines, donc comme principale force motrice.


      Radicule libre : Dire qu'une société est libre et s'auto-détermine librement est une abstraction aussi absurde que d'affirmer le libre arbitre. Cela nous ne le nions pas. Cependant, il est aussi difficile de nier qu'à considérer la transition entre une société où quelques oligarches capitalistes décident de l'essentiel, et un état-nation dont le peuple souverain met en place collectivement et consciemment les dynamiques sociales en utilisant les outils du communisme, il n'y ait un processus de libération.

      Ajoutons pour finir que Marx ne parle pas de fin de l'histoire, mais de fin de la préhistoire. "Les rapports de production bourgeois sont la dernière forme contradictoire du processus de production sociale, contradictoire non pas dans le sens d'une contradiction individuelle, mais d'une contradiction qui naît des conditions d'existence sociale des individus; cependant les forces productives qui se développent au sein de la société bourgeoise créent en même temps les conditions matérielles pour résoudre cette contradiction. Avec cette formation sociale s'achève donc la préhistoire de la société humaine.". Cette formule énigmatique semble indiquer que Marx a su rester un grand dialecticien jusqu'au bout. Il a su qu'il n'y aura pas de stade paroxyque et final de la liberté, fût-ce le communisme : car dans l'existence, la liberté serait prisonnière de son être et se nierait elle-même. La liberté ne peut être que libération toujours déjà là et toujours recommencée. Il n'y aura donc pas, camarade Anonyme, d'état où la nécessité sera réduite à néant parce que la liberté l'éliminerait en entrant dans le réel. Au contraire, au fur et à mesure que la liberté se développe, de nouvelles nécessités apparaissent, et les anciennes sont toujours là, car même si elles ont pris des formes de liberté elles sont toujours sous-jacentes. Par exemple, la libération de la contingence due aux phénomènes électromagnétiques ne nie pas les lois de l'électromagnétique. La maîtrise des ondes électromagnétiques à l'oeuvre dans un four micro-ondes ne contredit pas les équations de Maxwell : elle les réalise. Il en va de même pour les phénomènes sociaux. Généralisons : la liberté ne contredit pas la nécessité, elle la réalise puisqu'elle en est le principe même. Si les classes sociales dirparaissent, de nouvelles contradictions émergeront et un type radicalement nouveau de dynamique historique pourrait apparaître. Aujourd'hui, nul ne peut savoir de quoi il s'agira. Marx pense qu'il s'agira d'une ère nouvelle de l'humanité semblable au passage de la préhistoire à l'histoire. Hypothèse audacieuse digne du grand penseur qu'il fut.

      Supprimer