samedi 7 mai 2016

Vautour contemplant les vallées

Tiens, et si j'allais voler au dessus des villages ? Mangeons un peu de cadavre pourri que je conserve dans ce vieux coin, et allons-y.

Flap. Flap. Deux coups d'ailes dans des courants ascendants, trois vallées englouties, et mon oeil perçant scrute des bipèdes sans ailes dans un village.

Aujourd'hui, je les observe faire la queue autour d'un bâtiment où je lis "mairie". Drôle de mot, en tout cas il n'existe pas en Vautour.

Flap. Flap. Ma trajectoire épouse les formes du vent pour mieux me déplacer. Deux coups d'ailes dans les courants ascendants, trois vallées englouties, et mon oeil peut scruter un village plus grand encore.

À présent, j'observe encore ces bipèdes lourds faire la queue dans des bâtiments nommés tantôt "école", mais il y a aussi une "mairie". Drôles de choses. Je vole plus bas pour écouter ce qu'ils racontent. Je me pose sur les toits d'une église aux côtés d'une gargouille dont l'allure m'est semblable. J'écoute. Dans toutes les conversations, j'entends quelques noms. "Le Pen", "Hollande", "Sarkozy", ou un truc du genre. Sans doute d'autres mots humains. Tiens ? "Chef d'état". Je ne comprends pas ce que signifie "état". Mais, chef, ça m'évoque vaguement quelque chose. Allons voir ailleurs.

Flap. Flap. Le vent est bon aujourd'hui. Deux coups d'ailes, une plaine engloutie, et me voilà en ville. C'est assez nauséabond ici. La fragrance naturelle des cadavres moisis me manque. Mais ces bipèdes lourds m'intriguent tellement que je fais abstraction des odeurs mauvaises.

Oh ? Encore des gens s'agglomérant autour de mairies et écoles. Et encore ces mêmes mots. Les gens discutent de choses absolument incompréhensibles, j'ai entendu "économie", mais j'ai beau écouter, je n'y comprends strictement rien. Je vole encore un peu. Les bipèdes sans ailes semblent parler d'être gouvernés. Être gouverné, c'est un peu comme subir ce que fait le chef. Pourquoi font-ils cela ?

Flap. Flap. Deux coups d'ailes dans les courants ascendants créés par la chaleur de la ville, trois quartiers engloutis. Je scrute toujours.

Mais, que fait cet individu ? Il donne de la nourriture à un autre en échange d'un bout de papier ? Mais tu es bête ou quoi ? Garde-la pour toi cette nourriture ! Que vas-tu faire avec ce papier moche brillant dégueulasse ? Ce n'est pas comestible ! Attendez. Je scrute. Ah. En fait il a bien trop de nourriture pour lui seul. Quel étrange procédé. Créer trop de nourriture pour gagner des bouts de papiers en échange. Et ces autres humains ne chassent même pas, mais essayent de gagner des bouts de papier en faisant des trucs bizarres pour ensuite les échanger contre des repas. Donc, quiconque est incapable de créer de la nourriture voit son existence soumise à qui peut décider ou non lui donner ces morceaux de papiers. Mais. Qui serait assez stupide pour cesser de chasser et se soumettre aux lois arbitraires de ces machins rectangulaires ?

Flap. Flap. Deux coups d'ailes, trois quartiers engloutis. Je scrute encore un peu, pour voir.

Les gens discutent beaucoup de ces bouts de papiers qui dirigent leurs vies. Et le chef qu'ils choisiraient aurait en fait plus ou moins le pouvoir de décider comment sont distribués ces bouts de papier, qui peut en avoir plus que les autres, et plein d'autres choses que j'ai du mal à comprendre. Il est remarquable qu'autant d'humains se mettent d'accord pour être conditionnés par les décisions d'un seul d'entre eux. Ce système très autoritaire où un seul humain dirige la vie de tous les autres, ils le nomment "démocratie". Tiens, en fait on parle d'une équipe de dirigeants, "gouvernement" ça s'appelle. Bah. Cela ne change pas grand chose, au final si je comprends bien, une poignée d'individus décident de la vie de millions d'autres. Il faudrait vraiment être stupide pour accepter ça !

Flap. Flap. En deux coups d'ailes, je quitte la ville. Les bipèdes sans ailes y font des choses incensées qui m'effraient, et je ne supporte plus l'odeur.

Si les humains avaient des ailes, ils pourraient fuir ces folies.
Si les humains avaient des ailes, ils pourraient diriger eux-mêmes leurs trajectoires sur de longues distances sans que seuls quelques uns d'entre eux choisissent tout à leur place.
Si les humains avaient des ailes, ils pourraient voler assez haut, assez loin, assez longtemps, pour manger le plaisir de la solitude aérienne, sans se préoccuper des problèmes collectifs moraux afin de contempler des horizons plus lointains.
Si les humains avaient des ailes, ils pourraient chasser plus facilement leur nourriture, et n'auraient plus besoin de se soumettre à ces papiers moches bizarres.
Si les humains avaient des ailes, ils n'auraient plus besoin les uns des autres, et cesseraient de penser que ce qui est bon pour l'un d'entre eux l'est pour tous les autres et sous ce prétexte, cesseraient de l'imposer à un grand nombre.
Si les humains avaient des ailes, ils n'auraient plus besoin de politique.

Flap. Flap. Me revoilà dans mes montagnes. Je fais de grands cercles dans les courants ascendants pour élargir mon champ de vision.

La nature est clémente aujourd'hui. Un randonneur imprudent est tombé de cette falaise il y a quelques jours, juste assez pour pourrir un peu. Je me rapproche. Oooooh chic chic chic, cela fait plutôt quelques semaines en fait. Douce fragrance de pourriture humaine, cela me manquait. Ta chute ne sera pas vaine, digne voyageur dans la montagne. Ta chair pourrie me sustentera et me donnera plus de puissance pour voler plus haut et plus loin. Ce qui est mort nourrit ce qui est vivant.

Flap. Flap. Me voilà à nouveau dans ma tannière. 

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