samedi 29 août 2020

Racisme, anti-racisme, internationalisme prolétarien

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1- Le racisme nationaliste, forme idéologique de l'impérialisme

Le racisme est une doctrine politique qui repose sur des postulats simples, que ses adhérents en aient conscience ou non. Ces postulats sont les suivants.

1. L'humanité est divisée en plusieurs races déterminées biologiquement.
2. Ces races ne peuvent pas cohabiter ensemble, et donc se mènent une lutte naturelle pour la vie.
3. Parmi ces races, il y en a une qui est supérieure : la race blanche.
4. La race blanche mène une lutte non seulement pour rester pure sous peine de dégénérer, mais aussi pour rétablir l'ordre naturel qui est sa domination sur les autres races.

Si cette forme explicitement naturaliste de racisme a pu prospérer jusqu’au 20ème siècle, aujourd'hui le racisme est rarement exprimé de manière si explicite. La plupart du temps, il prend plutôt une forme identitaire nationaliste qui modifie les postulats précédents de la façon suivante.

1. L'humanité est divisée culturellement en nations déterminées historiquement.
2. Pour qu'une nation prospère, il est impératif qu'elle soit imperméable aux autres, car chaque nation mène une lutte pour maintenir son identité et prospérer contre les autres, il y a donc une lutte des nations.
3. Le mélange culturel provoqué par l'immigration implique une dégénérescence de la nation qui finit par perdre son identité.
4. Le peuple d'une nation a donc intérêt à lutter pour se purifier en luttant contre l'immigration, sous peine de dégénérer, afin de retrouver son identité nationale originelle qui a été pervertie par le mélange des cultures.

Dans le régime nazi, la politique nationaliste et impérialiste était justifiée ontologiquement par le racisme. Le racisme est la forme idéologique qui correspond le plus naturellement au nationalisme, c'est pour cette raison que tant de nationalistes sont également racistes.

Le racisme est la forme idéologique relative à l'impérialisme. C'est tout simplement la naturalisation de l'impérialisme, qui correspond aux rapports sociaux internationaux où une nation en exploite une autre. Cette forme idéologique justifie l’exploitation des nations africaines et asiatiques par les nations européennes. Le racisme est donc nécessairement aussi nationaliste – cette règle trouve une exception avec le "continentalisme" des zélotes de l'UE qui n'ont de cesse de parler de la "menace russe" ou du "totalitarisme chinois" (ou tout ce qui n'est pas compatible avec le capitalisme). La bourgeoisie et la petite bourgeoisie sont beaucoup plus sensibles à ce continentalisme que le prolétariat, qui est plus sensible au nationalisme. On peut expliquer ce continentalisme par le fait qu’aujourd’hui, le capital financiarisé est transnational. Or, l’Union Européenne est l’organe politique qui soumet les nations à ce capital trans-nationalisé, et permet aux bourgeoisies européennes de s’organiser en empire – toutefois, ce projet de trans-nationalisation du capital subit ses propres contradictions car la production s’organise encore majoritairement aux échelles nationales, et la domination des Etats-Unis sur l’UE provoque des conflits intra-européens ; il faut également noter l’importance croissante du capitalisme asiatique avec lequel les capitaux européens sont tentés de s’allier. Quoiqu’il en soit, la petite bourgeoisie reçoit quelques miettes de ce profit capitalistique transnational, et tant qu’elle n’a pas conscience de l’imminence de son passage au prolétariat, elle se vend à la réaction. Pire, elle peut être d’autant plus zélote de l’UE qu’elle se sent menacée pour récupérer quelques miettes du capital, car elle croit (souvent à raison, pour l’instant) que sa monstration de sa servitude au capital lui donne des avantages matériels que peuvent perdre ceux qui ne se sont pas montrés suffisamment soumis.
Le soutien de l’Union Européenne contre le monde asiatique et africain relève d’une autre forme de nationalisme plus subtil, qui a beaucoup à voir avec le soutien au régime nazi pendant les années 30-40 – bien qu’il soit traversé de moult contradictions : d’un côté, l’argent n’a pas d’odeur et les capitalistes sont souvent obligés de faire des traités avec les chinois, et de l’autre côté, étant également propriétaires des grands médias d’informations, ils n’ont de cesse de produire une propagande grotesque contre la Chine et la Russie. De plus, malgré l’UE, les nations européennes continuent de servir leurs propres intérêts, y compris capitalistiques. Bref, l’UE apparaît comme une structure politique très instable et qui tient surtout par les intérêts capitalistiques trans-nationaux renforcés par la servitude volontaire de la grande majorité de la petite bourgeoisie.
Il se trouve qu’aujourd’hui l’Allemagne est la nation qui a le plus de puissance capitalistique au sein de l’UE. L’Allemagne est systématiquement le pays qui exige des autres qu’ils paient leurs dettes étatiques en diminuant les prestations sociales et en privatisant l’industrie. Ainsi, le soutien de l’UE du point de vue du peuple Allemand est identique au nationalisme impérialiste paternaliste. Dans les autres nations, le soutien de l’UE par les bourgeois ne constitue pas un nationalisme, mais bien au contraire une trahison vis à vis de leur propre nation au profit de l’Allemagne, voire des US (pendant la domination de l’Europe par les nazis, cela prenait la forme de la collaboration massive de la bourgeoisie). Et bien entendu, la petite bourgeoisie réactionnaire suit pour avoir quelques miettes (qu’elle obtient souvent pour l’instant). Ainsi, au sein de l’UE, la plupart des bourgeoisies ne sont pas nationalistes mais bien au contraire tentent de soumettre les nations au joug de l’UE. Il en résulte qu’au sein de l’UE, la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie est identique à la défense de leurs nations respectives contre l’UE.

Pendant l'époque coloniale, le racisme nationaliste prenait la forme d'un nationalisme expansionniste, dont la forme la plus célèbre est la revendication d'un "espace vital" dans le régime nazi auxquels se sont soumis tous les grands capitalistes européens, ce qui n’est pas sans rappeler la soumission des grands capitalistes à l’UE largement dominée par l’Allemagne et les US de nos jours. Aujourd'hui, les vieilles démocraties capitalistes n'ont plus la même vigueur que pendant leur phase d'industrialisation, et les contradictions du développement du capitalisme commencent à montrer de sérieux signes de faiblesse du côté des vieux pays capitalistes. En effet, comme le montrait déjà Lénine dans "l'impérialisme", les vieilles démocraties capitalistes sont arrivé à un point de décomposition tel que les capitalistes ont intérêt à annihiler la production industrielle. Pendant que les vieilles démocraties capitalistes déclinent, a contrario, des pays qui étaient autrefois sous tutelle commencent à monter en puissance et menacent sérieusement l'ordre impérialiste. Sous le coup de cette menace directe de concurrence, aujourd'hui, le racisme nationaliste prend la forme d'un repli des nations sur elles-mêmes. L’Allemagne fait exception et, dans son nationalisme expansif, tente d’étendre son influence au sein de l’UE. L’Allemagne a même pris la forme philanthropique de la grande maison d’accueil des migrants il y a quelques années. On sait aujourd’hui que la population Allemande est vieillissante. Le pays manquant de main d’œuvre peu qualifiée, l’arrivée de tous ces migrants a été une grande opportunité pour le capitalisme allemand car ils ont pu constituer une force de travail peu qualifiée très peu onéreuse (certains travaux étaient payés pas loin de 2€/h). Mais cette main d’œuvre entrant en concurrence avec le prolétariat Allemand, l’extrême-droite a encore augmenté son influence ces dernières années. Le nationalisme allemand prend donc une forme duale : d’un côté l’impérialisme à la forme philanthropique qui veut exploiter la main d’œuvre étrangère et étendre son influence sur l’UE, de l’autre côté le nationalisme à la forme néo-nazifiante et explicitement raciste en réaction au premier.

Le racisme nationaliste (ou le nationalisme seul) est une idéologie réactionnaire, car il postule un état idéal passé de pureté culturelle nationale, et cet état idéal a été corrompu à cause de l'impureté des étrangers immigrés qui tentent de "grand-remplacer" notre identité par la leur en menant une lutte culturelle. Il y a donc un primat du culturel (ou des identités, cela revient au même) au détriment du rapport social dans cette conception. Le nationalisme est donc un idéalisme réactionnaire. Mais cela ne suffit pas à le disqualifier, encore faut-il montrer que cette conception est erronée. Ce n'est en réalité pas très difficile.

D'abord, tout historien sait très bien que la "pureté de l'identité nationale" n'existe pas, que chaque nation est intrinsèquement impure depuis qu'elle s'est constituée. La moralité objective, c'est-à-dire l'État comme résultat de la volonté d'un peuple, exprime la synthèse totale de toutes les contradictions qui s'y meuvent, et en particulier, plusieurs identités acceptent d'y cohabiter malgré leurs désaccords car l'État rend possible la liberté subjective, notamment religieuse, superstitieuse, d'opinion politique.

Ensuite, tout individu capable d'analyser les rapports économiques entre les pays se rendra très vite compte que les idéologies dominantes qui peuvent exister au sein d'une nation à propos d'une autre sont surdéterminées par les rapports économiques. Ainsi, il arrive souvent que lorsqu'un pays contient beaucoup de pétrole, ou se développe jusqu'à devenir un potentiel concurrent sérieux, ou refuse souverainement les contrats de libre-échange avec les vieilles démocraties capitalistes, ou pire, adopte souverainement une politique intérieure différente du capitalisme et risque de donner des idées aux autres, les vieilles démocraties capitalistes se mettent subitement à concevoir que ce pays est une abominable dictature totalitaire qu'il faut sauver des griffes de son tyran à coups de canons – le résultat d’une telle politique interventionniste est toujours désastreux pour les populations concernées, cf. par exemple les guerres en Irak dont on sait aujourd’hui que les motifs revendiqués étaient des mensonges de propagande états-uniennes. Les fluctuations des idéologies interventionnistes qui condamnent tel ou tel peuple au sein des vieilles démocraties capitalistes correspondent très exactement à la dynamique de ces rapports économiques et des intérêts impérialistes qui en découlent. C'est pour cette raison, par exemple, que depuis quelques mois que la Chine a montré qu'elle était capable de faire face à une épidémie, qu'elle produit à peu près tous les équipements médicaux du monde, que depuis plusieurs années elle monte en puissance, la propagande anti-chinoise la plus grotesque et mensongère a lieu dans nos vieilles démocraties capitalistes.
Les nationalistes pseudo-républicains comme Valls ou même le Pen fille ont rarement manqué une occasion de faire montre de leur nationalisme culturel. Ils expliquent les problèmes dits culturels par une naturalisation des cultures. Ce raisonnement circulaire qui se mord la queue trouve sa résolution interne dans la posture morale dite « républicaine », et va jusqu’à condamner toute tentative d’explication rationnelle et (donc) sociale des phénomènes identitaires, ce qui est tout-à-fait normal. En effet, de telles analyses montrent une corrélation parfaite entre les zones abandonnées par l’État et les zones où des communautés identitaires se forment, et même montrent une aggravation depuis que la politique de la répression a remplacé la politique d’investissement social. Nous sommes donc entrés dans un cercle vicieux : plus les zones communautaires rejettent l’État, plus l’appareil d’État les réprime, et le développement de la production capitaliste aggravant la situation sociale de ce prolétariat, plus ces zones rejettent l’État. Pourtant, malgré l’évidence de cette imposture, une grande partie de la petite bourgeoisie et même du prolétariat accepte le discours nationaliste qui affirme que les problèmes ne sont pas sociaux, mais culturels. Que les problèmes ne peuvent pas se résoudre par des politiques sociales fortes, mais par l’éradication des formes culturelles et religieuses dites « incompatibles avec la République ». Cela permet au capital de continuer d’augmenter son profit en aggravant les conditions matérielles d’une partie de la classe ouvrière  (loi générale d’accumulation du capital, cf. le Capital livre 1) contre laquelle l’autre partie est éduquée à être raciste. Lorsque l’État ne résout pas les problèmes matériels substantiels du prolétariat, celui-ci a tendance à chercher des solutions dans le communautarisme localisant. Il est donc logique qu’en ces temps de privatisation à tout va et de destruction du modèle social français commandé par les GOPÉ (Grandes Orientations de Politique Économique) rédigées dans des bureaux de l’UE, les Bretons, les Corses, les Occitans, certaines communautés musulmanes, bref les identitaires, rejettent la République, car celle-ci n’est plus sociale, mais prend la forme du bras armé du capital.

Ainsi, l'analyse des dynamiques économiques géopolitiques et des intérêts objectifs qui en découlent permet d'expliquer l'évolution des idéologies nationalistes et racistes. A contrario, le point de vue nationaliste et/ou raciste, qui est pur naturalisme et moralisme, ne permet pas de rendre raison de ces fluctuations idéologiques sur quelle identité doit prétendument être combattue, puisqu’il naturalise cette lutte et en fait une structure figée.

2- Le racisme dans les classes populaires

L'idéologie dominante est l'idéologie de la classe dominante (cf. l’Idéologie Allemande de Marx & Engels, ou le Capital). La classe dominante est la classe bourgeoise, qui tend à naturaliser les rapports sociaux capitalistes et à imposer ce point de vue à toute la population pour se maintenir comme classe dirigeante le plus longtemps possible, c’est-à-dire d’exprimer les lois du développement de la production capitaliste non pas comme des lois historiquement déterminées et délimitées dans le temps, mais comme des lois éternelles valables depuis toujours et pour toujours sans qu’elles ne soient modifiables par le politique.
C'est pourquoi la majorité de la population pense que le capitalisme est l'état naturel des sociétés modernes et qu'il est impossible d'en sortir. De ce point de vue, les lois inhérentes du capitalisme sont perçues comme des fatalités historiques. Notamment, dans le capitalisme en phase terminale d'impérialisme sénile, pour continuer d'accumuler du capital, la bourgeoisie est contrainte de supprimer progressivement de nombreux secteurs de production (voir livre 3 du Capital, ou l'Impérialisme de Lénine). 

Comme cette lecture phénoménale du développement sénile de la production-circulation-consommation du capitalisme est dominante, elle est également partagée par une grande partie du prolétariat. Ainsi, le travail disponible est considéré comme une quantité limité à ce qui valorise du capital. En outre, en raison de la baisse tendancielle du taux de profit et du stade de décomposition de l'impérialisme, cette quantité limitée tend à baisser relativement à la population et à engendrer de plus en plus de ce que Marx appelle "l'armée de réserve du prolétariat", c’est-à-dire la partie de la population qui est éjectée du système productif et qui ne peut pas travailler. Dans le Capital (livre 1), Marx montre que l’existence de cette armée de réserve et son accroissement est indissociable du mode de production capitaliste et sert de bras de levier à la bourgeoisie pour imposer ses conditions de travail au prolétariat en les mettant en concurrence les uns contre les autres pour vendre leur force de travail sur le marché.

Cette forme idéologique peut prendre plusieurs formes, et selon les circonstances, la plus adéquate au maintien du capitalisme sera "sélectionnée naturellement" (cf. Les veaux et les choses, de Dominique Mazuet, à paraître en septembre aux éditions Delga), le racisme n’est qu’un cas parmi d’autres de ces formes idéologiques. Pour comprendre le racisme dans les classes populaires, il faut se demander comment un prolétaire considère l'étranger ou l'individu d'ethnie différente de lui, lorsque ce prolétaire adopte l'idéologie dominante. Il considère l’étranger tout simplement comme un concurrent sur le marché du travail. Or, la concurrence sur le marché du travail est nécessairement de plus en plus rude dans le développement "naturel" du capitalisme contemporain. Si on admet que le capitalisme est indépassable, le prolétaire a donc objectivement intérêt à être raciste et nationaliste pour servir ses intérêts individuels et survivre à la concurrence sur le marché du travail. Voilà pourquoi les partisans du libéralisme, forme idéologique du capitalisme, ne pourront jamais lutter efficacement contre le racisme, quelles que soient leurs intentions anti-racistes. 

Ce schéma de pensée qui considère que l'autre (au sens très général) est toujours un concurrent sur le marché du travail, est le fondement de toutes les idéologies identitaires : féminisme identitaire (ou « néo-féminisme » selon Annie le Brun1), misogynie, homophobie, identitarisme homosexuel, intersectionnalité, idéologie queer, etc. Leur principe ontologique consiste à considérer l'altérité comme principe de l’oppression d’une identité par l’autre, et les différentes identités se mènent des luttes idéologiques et culturelles déterminées par la concurrence sur le marché du travail. En effet, si l'on admet que le capitalisme est indépassable, chaque groupe social identitaire a objectivement intérêt à mener une lutte contre tous les autres. De proche en proche, en intersectionnant chaque identité et par passage à la limite, on aboutit à un atomisme démocritéen social où chaque individu est une singularité autonome "et en même temps" en concurrence avec tous les autres. On recouvre l'individualisme absolu postulé par le libéralisme.

Il est donc manifeste que le racisme et/ou le nationalisme (ou toute forme de posture identitaire) ne peuvent pas se constituer comme critique rationnelle du capitalisme, puisqu'ils appartiennent au libéralisme, forme idéologique du capitalisme. En vertu de la "loi générale de l'accumulation du capital" (cf. le Capital livre 1), le racisme s'inscrit dans une idéologie qui adhère au développement historique de ce qui nuit objectivement à l'ensemble du prolétariat, quelque soit sa couleur, son origine, son identité, etc.

3- L'anti-racisme identitaire, symétrique du racisme

L'anti-racisme identitaire repose sur exactement les mêmes postulats que ceux du racisme ou du nationalisme (excepté le postulat 3 qui affirme la supériorité d'une race sur les autres). Qu’on se situe du côté des racistes pro-blancs ou des antiracistes identitaires qui dénoncent le « privilège blanc structurel » et l’oppression des « racisés », le postulat de lutte irréductible et structurelle entre les identités est le même. Les anti-racistes identitaires conçoivent le racisme comme structurel et immuable dans la société car ils adoptent une posture relativiste irrationaliste où chaque groupe identitaire a sa vérité intersubjective et ne peut que l’opposer à celle des autres dans une lutte – en outre, ce relativisme tend naturellement vers l’individualisme bourgeois. La seule différence entre le racisme et l’anti-racisme identitaire est que les partisans de l’anti-racisme identitaire choisissent subjectivement et moralement de se situer en faveur des groupes dits "racisés", mais abstraction faite de leur posture morale, ils ont la même vision du monde que les racistes, et tout blanc est essentiellement accusé de « racisme structurel » et tout noir est forcément « racisé » quelles que soient leurs classes sociales respectives. Chez les anti-racistes identitaire comme chez les racistes, il y a un primat de l’identité au détriment du social, seule la posture morale change (Ce qu’a très bien montré avec humour l’Odieux Connard dans cette BD).
Montrer que les anti-racistes identitaires ont la même vision du monde que les racistes, et sachant que le racisme est une idéologie qui appartient au libéralisme impérialiste (Voir notamment les travaux de Chapoutot), suffit à démontrer que l'anti-racisme identitaire est une idéologie qui appartient au libéralisme et donc ne peut se constituer comme critique du capitalisme. En effet, les anti-racistes identitaires sont des libéraux en tant qu’ils admettent que le conflit des identités est indépassable et sur-détermine – au mieux est indépendant de, ou a une relation obscure d’intersection avec – la lutte des classes. Bien que certains se revendiquent anti-capitalistes, ils se dégonflent systématiquement lorsqu’une action véritablement subversive (car) universelle est proposée. Les antiracistes identitaires ont l’universalité en horreur. On n’est pas forcément à un stade aussi avancé de la religion libérale que chez les intersectionnels, mais le relativisme culturel, le rejet intégral de l’universalisme, et surtout le rejet de l’État-nation, même sous forme potentielle de République sociale, sont les propriétés de l’idéologie libérale.

Pire que cela, l'anti-racisme identitaire contribue à renforcer le racisme ou le nationalisme au sein des classes populaires.
Le prolétariat est la seule classe sociale dont les intérêts convergent objectivement vers une abolition du capitalisme. Depuis un peu moins de cinquante ans, les forces politiques revendiquées "de gauche" ou "progressistes" ont complètement abandonné la lutte des classes comme primat conceptuel. Lorsque des opportunités comme le mouvement BLM se présentent, ces forces politiques "de gauche" adoptent des postures morales anti-racistes et utilisent le vocabulaire intersectionnel et (donc) libéral. On entend parler de "privilège blanc", on revendique les quotas ethniques, etc. Bref, dans toute cette expression idéologique, et c'est la clef de l’anti-racisme identitaire, c’est toujours le prolétaire blanc qui est visé. En effet, contrairement au petit-bourgeois (blanc ou noir peu importe), il n'a pas adopté la posture morale adéquate d'anti-racisme identitaire et n'a pas avoué qu'il avait des "privilèges" (fussent-ils blancs). Le prolétaire blanc n'a donc strictement aucun intérêt à rejoindre les formations politiques qui adhèrent à l'anti-racisme identitaire, car leurs revendications ne peuvent qu’aggraver sa situation matérielle et ne considèrent le progrès social général qu'à la marge voire pas du tout. Les formations politiques qui expriment un progrès social universel par l'abolition du capitalisme ayant complètement disparu du paysage politique français, une seule force politique apparaît comme objectivement favorable au prolétaire blanc : l'extrême-droite, car elle promet une liquidation de toutes les identités concurrentes sur le marché du travail.

4- Comment lutter efficacement contre le racisme

Nous avons vu que le développement du capitalisme menait nécessairement à la lutte entre les groupes identitaires, qui n'est autre que la concurrence sur le marché entre différents groupes. L'anti-racisme identitaire s'inscrit dans cette forme idéologique libérale. Il est voué à l'échec de son objectif anti-raciste. En revanche, une critique raisonnée du capitalisme et du libéralisme aboutit à la conclusion que tous les prolétaires ont objectivement intérêt à se constituer comme classe sociale révolutionnaire unifiée (cf. la conclusion du Manifeste, mais aussi toute l’œuvre de Marx...). 

L'internationalisme prolétarien est la prise de conscience pratique de ces intérêts objectifs communs. C'est le passage de la posture identitaire qui rejette la classe sociale à la marge, à la posture de classe qui rejette les différences identitaires à la marge (cf. le gilet jaune Bachir).
Par exemple, les luttes sociales dans un pays exploité par un empire capitaliste profitent également aux travailleurs de cet empire capitaliste, car tout progrès social dans le pays exploité rend la délocalisation de la production moins profitable pour le capitaliste impérial. Mais de même, les luttes sociales révolutionnaires au sein d'un pays impérialiste nuisent également au capitaliste impérial car il perd progressivement la main sur la production et ne peut plus la délocaliser dans un pays exploité, et cela profite donc aux travailleurs de ce pays exploité. Les prolétaires de la nation exploitante et de la nation exploitée ont donc le même intérêt objectif : exproprier la bourgeoisie impérialiste et prendre le contrôle sur la production dans leurs pays respectifs, et ont donc intérêt à s’entraider dans leurs luttes selon les circonstances et les opportunités.
L’internationalisme prend aussi la forme d’une alliance entre les prolétaires d’une nation et les travailleurs immigrés au sein de cette même nation. Au lieu de se considérer comme adversaires sur le marché du travail, les deux groupes sociaux prennent conscience que leur principal ennemi est le capitaliste qui diminue le travail disponible et utilise l’immigration comme bras de levier pour baisser les salaires en mettant en concurrence ces deux groupes sociaux. Cette alliance profite aux travailleurs immigrés comme aux travailleurs du pays car plus les travailleurs sont nombreux à mener la lutte, plus la victoire est facile et plus on peut arracher à la bourgeoisie l’application des revendications sociales. À l’opposé, le racisme chez les travailleurs et l’anti-racisme identitaire permettent au capitalisme de se maintenir plus longtemps car ils détournent la lutte prolétarienne de son ennemi principal et le prolétariat mène une guerre civile en son propre sein qui l’affaiblit considérablement.

Par ailleurs, la prise de conscience que le travail n’est limité que par le stade sénile du capitalisme implique que les travailleurs immigrés ne sont pas un problème pour notre pays, mais une opportunité de produire plus. À condition de sortir du capitalisme dans son stade sénile impérialiste et (donc) écologiste (voir Les veaux et les choses) et de planifier l’économie en menant des projets industriels ambitieux qui nécessitent beaucoup de main d’œuvre. Notons toutefois que la lutte contre l’impérialisme a aussi pour résultat de diminuer les flux migratoires non choisis. La misère engendrée par l’impérialisme est la cause principale des réfugiés politiques ou des migrants qui fuient la misère de leur pays pour trouver du travail ailleurs, ce qui prive ces pays dans des situations déjà catastrophiques de la force de travail nécessaire pour améliorer la situation. Quand un pays absorbe tous les ingénieurs, les médecins, etc. d’un pays détruit par l’impérialisme, cela contribue à aggraver la misère de ce pays.
Quoiqu’il en soit, la lutte efficace contre le racisme s’attaque aux racines matérielles de cette idéologie : l’impérialisme.

Dans cette camaraderie internationaliste qui se construit dans la lutte contre le capitalisme, le racisme est aboli. Au lieu de se replier dans leurs identités et de rejeter toute altérité, les travailleurs se confrontent à cette altérité et s’en enrichissent, notamment en échangeant leurs cultures populaires respectives et leurs stratégies de luttes sociales.
L'internationalisme est la synthèse de classe entre les prolétariats des différentes nations, mais il n'abolit pas les nations. En effet, pour être efficace, la lutte du prolétariat internationaliste tient compte des spécificités historiques de chaque nation. Mener la lutte des classes en France ne se fait pas de la même façon qu’en Corée du Sud. Nier cette spécificité relève d'un universalisme abstrait et indifférencié. C'est croire qu'il suffit d'appliquer des recettes toutes faites sur chaque situation dont on trouverait le secret dans les textes de Marx ou tout autre prétendu prophète. Au contraire, l’internationalisme prolétarien est un universalisme concret et différencié.
Le résultat de la lutte des classes se décide par le politique dans la synthèse positive entre les contradictions en jeu. Cette synthèse s’exprime dans la moralité objective, c’est-à-dire les institutions, dont l'instance suprême décisive est l'État-nation. L’État-nation est l’unité suprême de la moralité objective, c’est à cette échelle et aucune autre que les lois sont décidées et appliquées (voir les Principes de la philosophie du droit de Hegel). Par exemple, les décisions législatives prises par l’État Français concernent tout le peuple Français et seulement le peuple Français. On a vu récemment que l’Union Européenne n’avait aucune souveraineté sur la stratégie géopolitique des nations. Cette tentative d’institution supranationale n’a de cesse de montrer son échec – mais ce n’est pas le sujet ici.
L’histoire n’a montré aucun exemple de fusion de nations qui prend une forme différente de la conquête guerrière impériale. L’internationalisme prolétarien conserve l’existence des nations et s’exprime comme la coopération souveraine des prolétariats des différentes nations – lorsque le prolétariat d’une nation a réussi sa révolution sociale, cela prend la forme d’une coopération entre cette nation elle-même et les prolétariats des autres nations. De même que deux individus qui s’enrichissent mutuellement de leur rencontre ne fusionnent pas en un seul individu, deux nations qui coopèrent ne fusionnent pas en une seule. De même que l’individu est une singularité indivisible (un « atome » épicurien, c’est-à-dire qui contient en lui l’inclinaison vers l’altérité, chez Marx), la nation est la totalisation singulière et historiquement déterminée de la volonté d’un peuple et de ce fait est souveraine et indivisible.

 

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