mardi 25 juin 2024

À bas l'amour capitaliste, vive l'amour communiste !

(Problème des deux corps (2), la suite longuement attendue du premier opus)

Introduction – Qu'est-ce que l'amour

Il y a des gens qui n'auraient jamais été amoureux s'ils n'avaient jamais entendu parler de l'amour.
La Rochefoucauld, Réflexions ou Sentences et Maximes morales.

Le mot "amour" est tellement chargé d'idéologie qu'il serait vain d'en donner une définition au début de ce texte; cette définition risquerait d'être comprise à l'envers par un lecteur qui y injecterait à son insu ses préjugés, chose quasiment inévitable tant la littérature est infectée de représentation fausses de l'amour et tant chaque individu en a été bombardé depuis le berceau.

Face à un tel problème, certains philosophes ont eu la tentation d'en donner une définition abstraite totalisante. Tels furent le cas de Platon et Spinoza. Mais contrairement aux définitions idéalistes de Platon – chez qui l'amour est le mouvement qui fait tendre l'esprit humain vers l'idée du beau (discours de Socrate dans son Banquet) –, ou Spinoza – chez qui l'amour est la joie associée à l'idée d'une cause extérieure (dans son Éthique), nous ne donnerons pas une définition abstraite de l'amour qui permet de s'exonérer de traiter le problème de l'aliénation de l'amour au capital, ou pour résumer à grands traits, sa conversion-destruction en marchandise. Bien au contraire, il s'agit de sauter à pieds joints dans cet aspect de la merde capitaliste pour en exposer toutes les déterminations contradictoires afin de les réduire en miettes et s'en libérer. Schopenhauer avait raison d'accuser Spinoza de cacher la poussière sous le tapis en accolant à "amour" une définition abstraite qui l'exonérait de traiter l'épineux problème de l'amour en tant que traduction idéologique de son attirance sexuelle animale, chose si spécifique à l'humain. Son analyse pessimiste de l'amour comme piège biologique de la volonté du futur bébé humain qui consomme le désir des adultes et une fois ceci fait leur fait subir un vieillissement accéléré plus un chiard à élever, est valable à condition de la considérer comme une description, malheureuse du pessimiste pleureur mégalo qu'est Schopenhauer, de l'amour dans le mode de production capitaliste (dans lequel, en dépit d'une amélioration de la tolérance ces dernières années, les couples sans enfants apparaissent toujours comme suspects).

Nous partirons de l'aspect le plus trivialement "bien connu" de l'amour. Chez les plus benêts, l'amour est perçu comme quelque chose d'immédiatement connu. Il n'y aurait pas besoin de le penser, mais seulement de le vivre et le ressentir, ce que font d'ailleurs les imbéciles heureux avec toute chose, subissant béatement la chose avec passivité plutôt que de fournir un effort conceptuel et pratique pour agir activement sur elle. Mais, de par son caractère bien connu, ce bien connu est en réalité non connu (Hegel, Phénoménologie de l'esprit). En effet, le caractère supposément "bien connu" d'une chose nous empêche de nous interroger sur elle, et par absence de pensée consciente élaborant de la connaissance, s'auto-nie et en fait une chose non connue. Il en résulte, ce qui est pire que l'ignorance consciente d'elle-même, l'illusion de la connaissance qui produit toujours des représentations inversées de la réalité. Toutefois, pour s'affranchir de ce "bien connu" non connu, il faut l'analyser tel qu'il apparaît dans l'idéologie dominante et en démontrer son caractère contradictoire, afin de faire émerger rationnellement le concept vrai de la chose comme nécessaire. Ce n'est qu'après ces longs développements que l'on peut affirmer avec certitude une chose comme connue.

Ainsi donc, nous partirons de l'amour selon son aspect le plus trivial, mièvre, niais, pour ce qui est de la symbolique, incluant l'aspect juridique lié au contrat de mariage comme consécration sociale suprême de la niaiserie volontaire des individus formant le couple. Nous partons donc de l'aspect le plus triste de la restriction du "couple amoureux", en excluant volontairement l'amour filial (plus généralement familial), l'amour admiratif, l'amour amical, l'amour de l'art, etc., car la pensée bourgeoise dans toute sa médiocrité s'interdit toute totalisation. Platon et Spinoza, dans leur génie spéculatif (quoique la définition de Spinoza convient très bien au libéralisme libertaire consommatoire), avaient aperçu cette totalité mais de manière abstraite, sans donner les moyens concrets de l'atteindre en partant du réel. Il faut dire que, dans leur génie spéculatif idéaliste (conditionné par leur statut social privilégié qui les exonérait de s'inquiéter de leur subsistance matérielle), ces deux grands esprits étaient déjà affranchis des contraintes de pesanteur de l'idéologie dominante, ce qui a eu le défaut de les amener à penser tellement loin en dehors de celle-ci que leurs propositions étaient incapables d'affranchir réellement le plus grand nombre de cette prison idéologique en proposant un concept révolutionnaire de l'amour.

Comme toute chose en ce bas-monde, l'amour est conditionné par l'état de la lutte des classes, et sa forme idéologique dominante est celle de la classe dominante, constituée aujourd'hui par la bourgeoisie qui possède les grands moyens de production et d'échange. Les bipèdes ailés tenteront de donner une définition communiste de l'amour pour rendre ses ailes à Éros et le libérer de sa prison thanatique du capital.

En rappelant que le communisme n'est pas un idéal à atteindre, mais le mouvement réel d'auto-abolition  nécrologique du capital par ses propres contradictions dont l'élément positif concret qui le nie est l'émergence du prolétariat, nous essaierons à la fin de ce texte d'évoquer à grands traits à quoi peut ressembler l'amour communiste aujourd'hui, au sein du tumulte de la lutte contre le capitalisme – toute entreprise visant à inventer les marmites du futur communiste est vaine à ce jour.

La dé-finition communiste de l'amour ne pourra donc émerger qu'à la fin du développement de son concept.

1 Le mariage est l'aliénation de l'amour par l’État.

Dans nos pays de monogames, se marier c'est diviser ses droits de moitié, et doubler ses devoirs.
Arthur Schopenhauer, Parerga et Paralipomena.

1.1 Aliénation de la Loi par le Capital

Aliénation : rendre quelque chose qui était en soi extérieur à soi; expropriation (volontaire ou non) d'une valeur d'usage ou d'une valeur d'échange. L'aliénation a souvent lieu dans un processus d'échange: dans le processus d'achat, j'aliène mon argent en échange d'une marchandise qui a une valeur d'usage (c'est-à-dire une utilité concrète) – dans le processus de vente, c'est le contraire.

La bureaucratie étatique aliène l'amour au couple en échange de quelques garanties économiques pendant la durée du contrat du mariage, et règle aussi les rapports économiques après sa rupture. C'est donc en cédant l'amour à l’État que les deux membres du couples se déclarent unis par les liens pécuniaires du contrat de mariage, qui, fondamentalement, n'a rien de différent d'un contrat de vente. En effet, les deux individus se déclarent propriétaires l'un de l'autre (la propriété n'est rien d'autre que le droit de jouissance exclusive reconnue par l’État, et c'est exactement ce dont il est question dans le contrat du couple exclusif), aliénant ainsi la liberté de leur désir pour que l’État leur garantisse de l'argent et de la sécurité en échange implicitement d'un "réarmement démographique de la France" (Travail, Famille, Patrie, tout ça tout ça).

De même que toute loi n'a de caractère qu'essentiellement négatif pour réprimer et limiter la liberté humaine (si les humains l'appliquaient spontanément, cette loi serait superflue), de même pour le mariage qui, à grands traits, n'a réellement de sens que par le divorce aujourd'hui. On pourrait objecter que la Loi, tout comme le Mariage, procède de l'affirmation positive d'une volonté collective qui refléterait la volonté générale, dont le stade suprême de l'objectivité se vérifierait dans l'existence de l'État-nation. Telle est la pensée "républicaine" classique qu'on peut retrouver par exemple chez Hegel dans ses Principes de la philosophie du droit, voire même avant lui chez Rousseau dans son Contrat social. Toutefois, ces visions font abstraction du moteur de l'histoire: la lutte des classes, moteur essentiellement négatif. Ce qui se fait passer pour la "volonté générale" n'est en fait que le résultat de la volonté de la classe dominante, celle qui possède les grands moyens de production et d'échange, et qui façonne le monde politique à son image. Ainsi, dans une version parfaitement assumée de la domination bourgeoise, Voltaire le fortuné affirmait cyniquement que "L'esprit d'une nation réside toujours dans le petit nombre qui fait travailler le grand, est nourri par lui et le gouverne". La loi sert essentiellement à limiter le mouvement des classes dirigées pour qu'il reste bien dans le cadre de l'exploitation au profit de la classe dirigeante. Elle est donc bien négative. C'est pour cela que Marx avait prévu, à l'issue de l'affrontement ultime entre bourgeoisie et prolétariat, une phase transitoire où l’État prendrait la forme de la dictature du prolétariat, où celui-ci adopterait des lois répressives pour interdire à la bourgeoisie de reprendre le pouvoir, le temps d'opérer les transformations nécessaires de la première phase du communisme. Durant cette phase, avec la liquidation terminale de la bourgeoisie, les derniers conflits entre bourgeois et prolétaires finiront par s'apaiser, donc la négativité de cet État deviendrait progressivement superflue et serait remplacée par la libre association des producteurs qui s'auto-organiseront. Ainsi s'achèvera la préhistoire humaine constituée essentiellement de négativité.

De même que la Loi est essentiellement négative, il en va de même pour le mariage: il ne se définit que négativement, notamment par le divorce et les restrictions de liberté de l'amour, aliénation de laquelle les éléments du couple peuvent tirer un profit pécuniaire, légal et sécuritaire. En définissant l'amour exclusivement par rapport à son être-pour-autrui qu'est sa négation (surtout le divorce), il nie par là son être-pour-soi et auto-détruit sa substance – dans le meilleur des cas, il ne reste donc qu'un amour abstrait, formel, et donc faux (car non total), qui singe le mythe de l'amour du couple bourgeois idéal martelé depuis le berceau dans les divers contes et films ; dans le pire des cas, le mariage transforme l'amour en un spectre épuisé qui ne subsiste guère que par quelques lignes dans un contrat jauni par le temps, et les membres du couples finissent par à peine se tolérer dans leur fausse vie ennuyante.

1.2 L'institution comme support du mythe amoureux

La bourgeoisie, qui déclarait que l'amour était une "affaire privée", savait utiliser en fait ses normes morales pour guider l'amour dans la voie qui servait le mieux ses intérêts de classe.
[...]
Pendant des millénaires, une culture fondée sur l'instinct de propriété a inculqué aux homme la conviction que le sentiment de l'amour avait lui aussi, comme base, le principe de propriété. L'idéologie bourgeoise a fourré dans la tête des gens l'idée que l'amour, y compris l'amour réciproque, donnait le droit de posséder entièrement et sans partage le cœur de l'être aimé.
Alexandra Kollontaï, Marxisme et révolution sexuelle.

Dans sa mythologie ("et ils vécurent heureux, etc."), l'amour du mariage capitaliste est vrai... mais il est "vrai du capital", donc faux par essence, car tout ce qu'affirme le capital est faux. Cet amour est vrai du fétichisme de la consécration sociale nationale capitaliste. Au sein de cette idéologie dominante, les individus cherchent à se faire valider leur amour par le tampon de l’État tout comme un billet de banque a besoin de la validation de la Banque Centrale pour avoir le droit de servir de valeur d'échange. De même, nos fétichistes des diplômes se plaisent à frimer d'une performance passée de soumission volontaire à une autorité nationale universitaire bureaucratique. Tout amour qui cherche une validation national-capitaliste est donc faux par définition.

L'amour comme face idéologique de l'attirance sexuelle appartient à la sphère micro-sociale. Mais, dans un monde où toute l'existence humaine est soumise à la marchandise et à sa valeur d'échange, le capital a besoin de protéger les cellules familiales par un contrat reconnu par l’État, qui, une fois ceci fait, peut donner moult avantages pécuniaires directs ou indirects aux mariés (on pense à ces margoulins de profs qui planifient leurs mariages pour gagner des "points" dans les processus de "mutations" – "mutation" signifie déplacement de poste, par exemple un prof ne peut pas aller bosser en Corse facilement car il y a trop de demande, il a donc besoin de "points" pour se démarquer; le motif de "rapprochement de conjoint" offre un avantage considérable pour pouvoir muter où l'on souhaite). Le mariage n'est donc pas du tout un acte désintéressé d'amour, c'est au contraire une manière d'optimiser la non dilapidation du patrimoine familial.

Il faut bien remarquer que le "mariage d'amour" est une institution relativement récente. 

Pendant l'ère féodale, les familles paysannes étaient extrêmement solides parce qu'elles étaient le principal pôle de production matérielle: les outils, les vêtements, la maison, la nourriture, etc., tout cela était produit au sein même de la famille. Il y avait une division naturelle des tâches: l'homme allait faire les travaux physiques et la femme faisait les travaux qui nécessitaient moins de force, non pas parce que les mecs étaient spécialement machos (ça serait anachronique), mais parce que c'était une nécessité de survie (le machisme c'est la persistance idéologique de cette division des tâches alors qu'avec la technologie contemporaine, cela n'a plus aucun sens de diviser la quasi-totalité des travaux en fonction du sexe). Le modèle "éternel" de la famille était celui du mariage arrangé dans une perspective économique, parce qu'il n'y avait pas d'autre choix pour survivre. Dans ce cas-là, l'idée même de divorce était impensable, parce que se séparer de la famille, c'était synonyme de mourir de faim.

Avant l'avènement de la bourgeoisie pendant la Révolution Industrielle, de même que pour la paysannerie, chaque mariage noble ne servait qu'à arranger les politiques et économies des familles; il était de notoriété publique que les couples nobles ne s'aimaient pas et voyaient moult autres concubins et courtisanes pour éviter de se faire chier dans leur couple arrangé par leurs parents. Cependant, la noblesse ne maîtrisait pas l'art d'accumuler du capital comme la bourgeoisie, et dilapidait tout pour justifier symboliquement leur statut social de "privilégié" (les courtisanes, c'est pas gratuit). 

Mais, petit à petit, avec le développement de la production capitaliste, tout cela a été bouleversé, et même détruit. Dans Marxisme et révolution sexuelle Alexandra Kollontaï a démontré que le mariage d'amour avec les couples exclusifs était la forme familiale qui optimisait l'accumulation capitaliste. En effet, le noble ne comprend pas l'art d'accumuler du capital et dilapide tout en payant ses courtisanes, alors que le couple bourgeois qui s' "aime" peut accumuler le capital dans la cellule familiale sans le disperser. De plus, les bourgeois vont faire la morale en disant qu'il ne faut pas faire trop d'enfants... mais tout ça c'est juste pour éviter de disperser l'héritage, tout en faisant la morale aux pauvres qui se reproduisent toujours trop aux yeux des riches.
Par ailleurs, chez les paysans, il devenait de plus en plus rentable d'acheter des outils sur le marché plutôt que de les produire soi-même, et de plus, la paysannerie était de plus en plus contrainte de devenir la classe ouvrière, déplacée et bousculée sans cesse par la production capitaliste. Le modèle familial paysan s'est donc progressivement éteint (aujourd'hui plus personne n'entend parler de mariage arrangé par les parents en France). 

De là, le "mariage d'amour" et la "fidélité" apparaissent comme de fantastiques subterfuges idéologiques qui permettent de justifier moralement la non dilapidation de l'héritage et du patrimoine (ce qui n'empêche pas les familles les plus fortunées de faire des écarts plus ou moins cachés à cette règle tout en dénigrant publiquement ceux qui ne la suivent pas, évidemment).

Ainsi, alors que dans les sociétés archaïques, le patriarche aux multiples compagnes (déclarées ou non, par droit de cuissage ou non) domine, le couple exclusif marié apparaît comme la forme familiale qui optimise le mode de production capitaliste dans son ère industrielle, et son mythe de l'amour bourgeois est la forme idéologique qui lui correspond le mieux et la justifie moralement – c'est aussi pour cela que cette forme familiale a du plomb dans l'aile dans les vieilles démocraties capitalistes qui ont suicidé leur industrie, nous y reviendrons plus bas. On peut au moins reconnaître à cette forme historique de l'amour d'avoir progressivement évolué vers une égalité relative entre les hommes et les femmes (toutefois, dans sa version ultime, l'idéologie du capital s'accommode très bien revendications de second ordre comme le féminisme et l'écologie: le régime Macron a même fabriqué des ministères portant ces noms ; en revanche, un "ministère de la collectivisation des moyens de production par les travailleurs" serait impensable au sein d'un régime capitaliste).

À titre d'information, remarquons tout de même que l'évolution historique du mariage a changé de forme dans son aliénation. Les premières versions du mariage étaient là pour affirmer la domination patriarcale de l'homme sur la femme, en lui donnant d'énormes avantages juridiques sur son épouse. Difficile d'imaginer un amour vrai lorsque son époux entretient les mêmes rapports avec soi qu'un patron sur son ouvrier. Dans les dernières versions, l'amour a un caractère négatif égalisateur, puisqu'en cas de divorce, l'individu le plus riche du couple doit compenser la diminution du niveau de vie du plus pauvre en lui versant une prestation compensatoire. Le contrat de mariage apparaît donc comme une protection des membres les plus démunis en cas de non-amour.
Dans les deux cas, le mariage sert de prison économique et juridique en cas de non-amour, et sa réalité ne se fait sentir que ou bien pour optimiser avantages pécuniaires du couple en cas d'amour aliéné par le capital, ou bien lorsque l'amour a disparu (sous la forme de peine de mort pour la femme en cas d'adultère dans les sociétés archaïques, sous la forme de prestations compensatoires dans les sociétés modernes). C'est plus une différence de degré que de nature, et cette évolution ne nie en rien que le mariage détruit l'amour et le convertit en simple contrat de vente. Dans la société communiste, puisque la notion de "plus riche" ou "plus pauvre" ainsi que l'aléa économique sont annihilés, la notion même de prestation compensatoire devient superflue. Dans nos sociétés actuelles, il faut voir cela comme une micro-correction sur les inégalités qu'opère le capital, des "aides" justifiant la "théorie du ruissellement" (en réalité il s'agit de maintenir la paix sociale en donnant le minimum vital aux travailleurs, ce que le capital a toujours fait). Les communistes, plutôt que de corriger partiellement l'inégalité une fois qu'elle a déjà été opérée, la combattent en l'empêchant d'exister à sa racine (relire nos commentaires sur le programme du Nouveau Front prétendument Populaire).

1.3 Cas du couple exclusif non marié

Le couple exclusif non marié n'est pas bien différent du couple marié. Le couple exclusif non marié (et qui n'a pas vocation à se marier) pressent le problème d'aliénation qui a lieu dans le mariage, mais n'a pas réussi à en détruire le problème principal: celui de la jalousie.

Ici il ne s'agit pas de la jalousie en tant que peur d'abandon – chose commune à toute l'humanité dont la quête angoissée de reconnaissance traverse l'histoire bien au delà du mode de production capitaliste – mais de la jalousie en tant qu'angoisse narcissique pathologique de ne pas être l'unique objet d'attention et de désir de l'être aimé. La jalousie comme cas particulier de volonté de ne pas partager sa marchandise, d'avoir l'exclusivité sur la propriété d'une chose, ici l'objet de son désir. Puisque l'immense majorité de la population ne peut pas être propriétaire exclusif de grandes choses et envie ce privilège de la bourgeoisie, il leur faut, pour compenser ce manque, un droit exclusif sur quelque chose de grand: les sentiments et le corps d'un individu, fétiche phallique à peine dissimulé qui leur permet de refouler leur malheur dû à l'aliénation de leur vraie vie par le capital – un processus finalement très freudien. Derrière la détresse de leur sentiment de jalousie, c'est la détresse de leur individualité détruite et névrosée à l'infini par les frustrations du capitalisme qui s'exprime.

Le couple non marié singe le couple marié en prétendant s'en distinguer par l'absence de contrat étatique. Ce qui est déjà un pas vers l'émancipation, mais les couples qui durent sans finir par céder au mariage sont extrêmement rares; la plupart du temps, les individus enchaînent de manière industrielle les couples exclusifs non mariés dans leurs jeunes années, ils ne servent qu'à simuler avec plus ou moins de sincérité ce qui deviendra finalement "la bonne personne", "l'âme sœur", "l'autre moitié", ou autre vocabulaire sordide relevant de l'eschatologie la plus trivialement stupide.

La jalousie et le désir de possessivité singe inconsciemment la propriété capitaliste du corps et de l'âme de l'autre sacralisée par le mariage. Cet amour-là est donc restreint à sa version la plus bornée du couple exclusif dans son essence, sauf qu'elle en reste au stade du pacte de couple (implicitement ou explicitement énoncé par les deux parties) sans aboutir au stade suprême de la consécration nationale: le contrat de mariage du couple.

1.4 La séduction, publicité mensongère de la marchandise amoureuse

Dans toutes ces mascarades, la séduction apparaît comme le moyen communicationnel de mettre en évidence la valeur d'usage de son propre capital amoureux, afin de convaincre l'autre d'engager le contrat de vente (le mariage). La séduction n'est donc que la première partie chronologique de l'aliénation de l'amour par le capital. Elle agit exactement de la même manière trompeuse que la publicité, elle fait preuve de nombreux subterfuges. Alors qu'autrefois, il fallait convaincre rationnellement la famille de l'époux que le mariage était objectivement intéressant pour des raisons pécuniaires, dans le mode de production capitaliste, il faut mentir pour que la marchandise amoureuse apparaisse comme disposant de propriétés magiques. En cela, la marchandise de l'amour ne se distingue en rien de la marchandise capitaliste: son secret réside dans son fétichisme, qui lui seul permet d'opérer le saut-périlleux arrière de la marchandise et permet de convertir des valeurs d'usages incommensurables en valeurs d'échanges quantifiables et comparables comme une substance unique. Il faut attribuer une propriété mystique à cette étiquette contenant un chiffre, de là toutes les impostures à prétentions scientifiques des économistes bourgeois. Mais aussi, de là tout le marché publicitaire qui justifie la valeur d'échange en valorisant de manière falsifiée la valeur d'usage.

Cette opération de publicité de soi-même peut apparaître de manière plus ou moins raffinée. Pour ce qui est du "raffinement", la littérature romanesque dégueule d'exemples innombrables. Toutefois, si un bon vendeur peut nous convaincre d'acheter de manière très agréable et subtile et nous tromper sans heurter notre sens du goût, a contrario certaines publicités sont ultra agressives et grossières. Ainsi en va-t-il des siffleurs de rue, des gros lourds, mais aussi des comportements grotesques que l'on peut observer en "boîte de nuit" (ici au moins les deux parties sont consentantes pour perdre leur humanité) ou pire, sur des applications de rencontres qui procèdent à une mise en vitrine sordide de la viande à baiser élevée en batterie industrielle.  

Mais dans les deux cas, le résultat est le même: une fois le très excitant processus de séduction terminé, on se fait quand même sacrément chier, puisqu'on découvre la réalité tristement banale et ennuyante que l'individu cachait derrière son masque de séduction.

2 Critique de l'amour gauchiste
2.1 "ou bien le plan cul, ou bien le couple"

Certains libertaires anarchisants ont donc pensé qu'il était plus malin de préférer multiplier les "plans culs" par rapport à l'ennuyeux couple capitaliste. Leur vie ne se résume qu'à une seule doctrine: jouir sans entraves, sans se soucier de rien d'autre ni des sentiments de l'autre. Le plan cul est la forme cybernétique ultime du capital, la destruction de tout ce qui est beau et humain dans l'amour, la déshumanisation de soi et de l'autre dans un acte purement bestial.

Chez l'humain, la biologie n'est pas que biologie. La biologie humaine est déjà sociale et spirituelle – non pas au sens religieux, mais scientifique du terme: des expériences ont montré que des bébés humains auxquels on donne les apports nutritionnels nécessaires sans lien affectif (le social) et langagier (le spirituel au sens d'extension du conceptuel) dès les premiers jours finissent immanquablement par se laisser mourir. De même, faire l'amour est infiniment plus riche et spirituel que baiser pendant un plan cul, où il est fait abstraction de toute tendresse et admiration du corps de l'autre comme sujet. Lors du plan cul, on ne fait pas l'amour, on pénètre un bout de viande considéré inerte qui est délaissée comme une marchandise usée après quelques coïts pour passer à la suivante. C'est le stade ultime du libéralisme libertaire où la jouissance immédiate est poussée à son stade ultime pulsionnel qui nie toute pensée; l'individu est réduit à la pure "machine désirante" sans esprit de Foucault et Deleuze les libéraux, et l'acte d'amour se réduit finalement à de la robinetterie triviale. Le plan cul est la destruction achevée de l'amour par le capital dans son stade le plus dépravé et décadent. La biologie humaine est annihilée par cet acte cybernétique en dessous de la bestialité, ces plans culs ressemblent plus à l'expression de pulsions de morts qu'à des actes d'amour. Le plan cul est l'assassinat d'Eros par Thanatos, héros du capital. L'érotisme est nié et est converti en pornographie "live", à tel point que nos esprits égarés par la pornographie omniprésente du capital sont devenus incapables de distinguer l'érotisme de la pornographie. Cela a des répercutions catastrophiques sur la vie sexuelle des plus jeunes, dont la construction a été bousillée à la racine.

Le plan cul est en outre facilité par plein de dispositifs disposés par le capital, que ce soient les boîtes de nuit ou les applications de rencontre, lieux conçus pour que s'exprime la bestialité cybernétique du capital, qui a converti le désir en marchandise dont la liste des valeurs d'usages est directement mise à disposition des consommateurs (taille, âge, genre.s.x, passions, etc.), tuant ainsi l'aléa réel de la rencontre et le convertissant en des algorithmes qui optimisent les profits de ses patrons en détruisant l'amour de ses clients victimes. Ainsi, tous ces bipèdes privés d'ailes par la pesanteur de Thanatos "swipent" des profils de manière frénétique et addictive, dans une masturbation infinie de son petit écran qui est devenu une prothèse machinique de soumission volontaire au divin marché des réseaux asociaux. Ces réseaux nous ont rendus non seulement jamais aussi connectés, mais aussi jamais aussi seuls (un autre article serait nécessaire pour détailler ce paradoxe). De même, les individus réduits à des machines désirantes dont il faut régler les problèmes de robinetterie, n'ont jamais été aussi seuls sentimentalement qu'en utilisant ces gigantesques marchés de destruction de l'amour. C'est d'ailleurs ici que la séduction atteint son paroxysme comme destruction de l'amour, quand ces pauvres privés d'amour s'affichent sur les vitrines des grandes surfaces numériques du capital.

Sans s'en douter, nos culs en plans font preuve d'un conformisme navrant dans leurs premières années de jeunes adultes, en baisant dans tous les sens, "sans sentiments", pour "profiter", et lorsqu'ils ont fait une indigestion à force de tremper leur beignet dans mille sauces différentes, ils finissent gentiment par se ranger dans un petit couple à mourir d'ennui, qu'ils appellent "relation SÉRIEUSE" (ils vont jusqu'à revendiquer de se faire chier, et ce y compris dans leurs critères de recherche sur les applications de rencontre!), se marient, font des chiards, achètent une maison, un chien ou un chat, et partent dans leurs petites vacances navrantes dans leur voiture "espace", et cela indéfiniment jusqu'à ce que les chiards grandissent, et après cela, face au vide existentiel, ou bien finissent leur vie en se faisant chier devant les "scènes de ménage" sur M6 en s'auto-moquant narcissiquement d'eux-mêmes, soit prennent le courage de divorcer, sortant ainsi de plusieurs décennies de torpeur existentielle.

La pensée binaire cybernétique du capital enferme donc toute relation qui inclut de mettre la saucisse dans le sandwich dans deux cases uniques: ou bien le plan cul, ou bien le couple exclusif. La pensée bourgeoise bornée ne peut concevoir autre chose, et dans son stade d'ignorance totale, affirme avec d'autant plus de certitude qu'il n'y a que ces deux possibilités-là. Et cela serait vrai si le capitalisme était un mode de production éternel non animé par une lutte des classes terrible qui l'amènera inexorablement à sa chute: dans la vision restreinte à ce mode de production, en effet ces deux variants sont les seuls réellement possibles; cependant, décrire le mode de production capitaliste comme éternel est totalement inexact – cela n'empêche pas les économistes libéraux de l'affirmer à longueur de temps, ils sont payés pour cela. De même, restreindre l'amour dans ces deux versions falsifiées est un clou supplémentaire enfoncé dans le cercueil de la pensée critique. Mais la lave bouillante du volcan de la lutte des classes est plus forte que ces misérables petits clous rouillés, la crise du capital se fait de plus en plus sentir, et les deux pôles de la pensée binaire du capital ont de plus en plus de mal à justifier leur réalité.

Ainsi, déjà aujourd'hui, il existe des formes d'amour qui se présentent comme des alternatives à la binarité bourgeoise.

2.2 Polyamour, couple libre, et autres foutaises gauchistes

Certains libertaires, très souvent de gauche, ou alors de grands bourgeois ayant les moyens d'acheter ce genre de possibilités pour paraître plus "branché" et "disruptif", se sont donc pensés plus malins que les précédents en inventant diverses manières de vivre des relations amoureuses, qui se présentent comme alternatives à l'amour capitaliste.

Et ils sont effectivement plus malins que les autres. Premièrement, parce qu'au sein du règne hégémonique de la binarité cybernétique du capital, il faut une certaine audace pour braver ce carcan de l'amour et oser tester différents modes d'amour; avec ce genre d'essais, on est très souvent confronté à l'incompréhension face à la non-pensée détruite par la propagande dominante ("ou bien le plan cul sordide, ou bien la relation sérieuse chiante du couple exclusif"). Cependant, cette rebellitude est souvent une posture confortable de transgression qui, au fond, ne révolutionne pas grand chose.

Cette "dépravation" sexuelle et relationnelle généralisée (vue la forme bourgeoise minable de l'amour de laquelle on part, le terme "dépravation" n'est même pas un reproche...) ne procède que de l'état de dépravation et de décadence des vieilles démocraties capitalistes, seuls lieux où l'on observe réellement ce genre de pratiques, de plus en plus fréquentes au sein de la petite bourgeoisie intellectuelle branchée. La désindustrialisation de ces vieux pays et le partage en couille généralisé de leurs économies, politiques, idéologies, a fait partir en couille leurs mœurs et a fait perdre le sens de la famille bourgeoise traditionnelle. Ainsi, puisque toute idée de grandeur supra-individuelle a disparue, il ne reste aux petits bourgeois désorientés que leurs yeux pour pleurer et leur narcissisme à satisfaire. Face à leur désir sexuel qui a perdu sa spiritualité nationaliste bourgeoise, ces pauvres gauchistes cherchent diverses justifications morales et idéologiques pour satisfaire leur libido débordante. C'est alors que foisonnent de multiples formes amoureuses individualistes (ainsi le "polyamour", les "couples libres", "pansexualisme", et moult autres variants qu'il serait vain de tenter d'énumérer, le temps de le faire, de nouveaux seraient inventés). Ces formes amoureuses alternatives n'ont aucune autre justification qu'elles-mêmes, procèdent de la pensée circulaire de l'amour comme valable en soi et pour soi, et comme pure satisfaction optimale de ses besoins sexuels et sentimentaux. On justifie une forme amoureuse parce que sa subjectivité narcissique pathologique "le ressent ainsi", et cela suffit comme justification. Ces gauchistes-là n'ont donc guère de différences avec les imbéciles heureux qui se contentent de subir leurs ressentis; bien souvent, ces formes amoureuses s'opèrent par conformisme avec leur groupe d'amis désorientés, car elles se présentent comme une manière plus optimale de satisfaire ses pulsions libidinales et ont même parfois l'intérêt d'offrir des relations sentimentales plus riches car inédites.

Ce genre de formes amoureuses alternatives a souvent lieu chez les plus jeunes gauchistes (abstraction faite de la très grosse bourgeoisie décadente ultra minoritaire). Mais, lorsque ces jeunes gauchistes prennent de l'âge, la pression matérielle de la vie se fait sentir. L'insertion dans le marché du travail et les responsabilités matérielles exercent une trop grande pression sur les individus pour leur laisser le temps et l'énergie de faire des expériences amoureuses alternatives comme lorsqu'ils étaient jeunes. Alors ils finissent tous par se contenter d'un conjoint moyen, se marier, avoir des gosses, acheter une maison qui sera le tombeau de leur vraie vie définitivement révolue (et aussi renoncer à leurs idées de jeunesse et voter sagement Macron après avoir été trotskyste ou anarchiste). Et éventuellement divorcer après s'être rendu compte de la vanité de tout cela.

Dans la régression constante des vieilles démocraties capitalistes, on observe depuis un peu plus de dix ans une chute de la démographie. Le nombre de divorces explose. Les mariages sont de plus en plus rares et on lieu de plus en plus tard dans la vie. La culture et la maturité générales régressent à tel point que les individus restent des adolescents pratiquement toute leur vie. La dépravation amoureuse subjectiviste narcissique apparaît comme une forme de repli sur soi des individus face à l'immense désorientation que provoquent les crises économiques, politiques, et (donc) spirituelles des vieux états capitalistes dépravés et décadents, dont l'auto-destruction est la seule issue possible.

Il est important de mentionner que les individus exerçant ces formes alternatives d'amour le font sans nécessairement prendre conscience du cadre historique dans lequel cela s'impose et subissent leurs tests d'amours alternatives plus qu'ils n'en sont acteurs conscients – ce fut le cas de vos serviteurs ailés il y a de nombreuses années, lorsqu'ils avaient encore un peu de duvet à la place de ces vieilles plumes abîmées par les tempêtes passées. Dans les vains tumultes des amours alternatives, au fond, il en va surtout de problèmes subjectifs et subjectivistes, marque du repli narcissique des individus face à la dépravation généralisée du monde. Il faut dire que de manière très générale, depuis la chute de l'URSS, ce qui donnait du sens à la lutte contre le capitalisme a majoritairement disparu des esprits critiques, et donc nos jeunes rebelles d'aujourd'hui n'ont plus que des revendications négatives.

Mais sans affirmation positive du communisme, le capitalisme ne sera jamais détruit et les anarchoïdes rebelles dépressifs sont condamnés à errer indéfiniment dans leur narcissisme malade.

3 La libre association, l'amour communiste

Dans cette société nouvelle, collectiviste sur le plan spirituel et émotionnel, Éros occupera, sur fond d'unité joyeuse et de fraternité de tous les membres d'une collectivité travailleuse et créatrice, une place d'honneur, en tant que sentiment apte à décupler la joie des hommes.
Alexandra Kollontaï, Marxisme et révolution sexuelle.
3.1 Construire le communisme

La totalité de la vie humaine est conditionnée par le mode de production dont le mouvement réel est conditionné par la lutte des classes. Il en va donc de même pour l'amour. Ainsi, penser l'amour en faisant abstraction de l'état du rapport de force entre bourgeoisie et prolétariat n'avance pas à grand chose. Tel était le cas de notre texte de jeunesse de fin 2016, tel est le cas de toutes les formes d'amour exposées dans les sections précédentes.

Pour reconstruire le communisme, il faut sortir des égarements dans lesquels la gauche (il nous faudrait critiquer cette notion de "gauche" un jour) s'est enfermée, et dont le capital jubile aujourd'hui. Ces égarements se résument en diverses stratégies d'évitement du problème de fond, depuis la chute de l'URSS, le communisme comme victoire positive contre le capitalisme a été refoulé au sein de la pensée critique (même certains partis trotskystes, comme le NPA, ont refoulé le communisme comme des "tendances" intérieures à leur mouvement, qui elles-mêmes forment des scissions infinies, bref, le trotskysme dans toute sa splendeur clownesque). Depuis ce refoulement, la plupart des forces à prétentions progressistes ont perdu l'espoir de sortir véritablement du capitalisme, et partent dans des théories un peu fumeuses que le capital n'hésite pas à financer à l'université: intersectionnalités, écologismes, études ultra abstraite du marxisme (où souvent on va déterrer le "jeune Marx" gauchiste en mettant en exergue des textes non publiés et en prenant bien soin de ne pas tenir compte de ce qu'il a publié de son vivant), théories du genre, etc. Cela nous évoque un bon calembour: vous connaissez la différence entre la théorie et la pratique ? Eh bien, en théorie, il n'y en a pas.

Le capital peut donc dormir sur ses deux oreilles avec une gauche qui se présente ou bien comme réactionnaire en répétant religieusement les textes de Marx sans appliquer sa méthode pour comprendre le présent historique et se vautre lamentablement dès qu'il s'agit d'analyser des situations concrètes telles que la nocivité de l'Union Européenne pour les travailleurs (tels les partis comme LO), ou d'autres partis gauchisants qui prennent bien soin de ne jamais parler de la lutte des classes comme moteur principal de l'histoire, mais se focalisent indéfiniment sur des luttes de second ordre (féminisme, "théorie" du genre, écologie, intersectionnalité, zèbres...) sans en faire une lecture de classe. On voit en le résultat minable aujourd'hui.

Pour construire positivement le communisme, il faut cesser toutes les pleurnicheries, notamment dans le syndicalisme contemporain où il n'y a que des revendications négatives ou infaisables (le programme du NFP en est un cas d'école).

Concrètement, il y a certains grands axes d'affirmations positives irrécupérables par le MEDEF ni l'extrême droite qui doivent faire partie des revendications principales de tout militant communiste. Partant du principe que notre existence se produit socialement, la théorie communiste part du principe que l'homme est un animal socialisant par essence. La valorisation sociale égalitaire par le travail et l'arrêt de son aliénation par le capital est l'axe ontologique principal de la théorie communiste. De manière très succincte, un programme communiste aujourd'hui pourrait contenir cette série de mesures positives (à ajuster en fonction des circonstances historiques):

- Sortie de l'UE et de l'Euro. Création d'une monnaie nationale gérée par des caisses de cotisations (voir plus bas). Nationalisation et fusion de toutes les banques en une banque nationale unique. Gestion de cette banque par des syndicats de travailleurs élus et révocables, en étroite collaboration avec le gouvernement.
- Sortie de l'OTAN. Renégociation de tous les traités internationaux diplomatiques et commerciaux sur des bases internationalistes et communistes. Refonder la diplomatie française sur des bases de non-alignement aux empires et d'auto-détermination des peuples.
- Expropriation de la propriété foncière et attribution des revenus fonciers à l'État. Saisir tous les logements vides et les convertir en logements sociaux.
- Suppression de l'héritage au delà d'une certaine valeur monétaire du patrimoine.
- Augmenter significativement les salaires ainsi que les cotisations pour créer des caisses d'investissement et de salaires gérées par des comités élus et révocables de travailleurs.
- Interdire l'existence des dividendes des actionnaires; interdire tout revenu supérieur au salaire maximum des travailleurs.
- Obligation pour tous de travailler pour la collectivité; diminution progressive de ce temps de travail. Réduction significative des écarts maximaux de salaires. Aménagements salariaux respectant la dignité pour ceux ne pouvant que partiellement ou pas travailler.
- Investir massivement dans la production et la recherche d'énergie nucléaire (fission et fusion).
- Sur cette base-là, créer un commissariat de la planification industrielle pour rattraper notre retard sur les secteurs stratégiques, notamment en informatique.
- Exproprier les grands propriétaires de moyens de production; nationalisation dans un premier temps, sans aucune contrepartie financière pour les actionnaires ni les grands propriétaires, envoyer l'armée si nécessaire. Céder progressivement ces entreprises à un contrôle par les syndicats.
- Augmenter la partie non marchande de la production de services, non seulement pour la partie déjà existante (soin, instruction, services publics déjà existants), mais en outre sortir du marché d'autres secteurs (transports en commun, consommation privée d'énergie jusqu'à un certain point, alimentation, etc.), dans un premier temps par une nationalisation et un plafonnement des prix, puis transition progressive vers la gratuité via l'augmentation des cotisations sociales. Cette partie non marchande est gérée par des comités de travailleurs élus et révocables. Donc notamment, suppression des corps d'inspections pour les professeurs, remplacement par les syndicats.
- Abolition de l'armée et de la police au service du capital. Création d'une police et d'une armée populaires sur base du volontariat, avec une formation exigeante tant physique qu'intellectuelle; l'armée et la police se voient augmentées de missions d'intérêts généraux qui sortent de la pure répression ou défense nationale (par ex. nettoyage des rues, pompiers, aide aux personnes handicapées, etc.). Augmentation du budget de l'armée.
- Rendre l'instruction manuelle, sportive et intellectuelle obligatoire et égalitaire pour tous les jeunes, et gratuitement accessible pour tous à tous les âges. Refonder tous les programmes scolaires pour préparer les individus au communisme.
 

Tel quel, hors de son contexte et dans un article qui n'était pas censé traiter du communisme en tant que tel, une telle liste apparaît comme totalement utopique, mais permet au moins de donner une boussole pour orienter la pensée du politique, puisque le politique conditionne la vie en général (si vous ne vous occupez pas de politique, le politique s'occupera de vous sans vous demander votre avis).

3.2 Prémisses de l'amour vrai au sein de l'amour faux

Dans l'individualisme bourgeois, il est remarquable de constater que "la famille, et en particulier mon amour, passe avant mon travail". Tant qu'ils n'en viennent pas à mourir de faim (et encore!) la réussite et la satisfaction micro-sociale d'amour passe avant la totalité politique, qui pourtant les détermine matériellement à pouvoir exister plus ou moins sereinement dans cet univers micro-social. Cette manière fausse de vivre est vraie dans le capital, car en effet, l'accumulation de merde que constitue le rapport capitaliste est si répugnante que tout ce qui permet d'y échapper dans le micro-social semble meilleur. Mais pourquoi cela semble-t-il meilleur?

Parce que l'amour, ou on pourrait dire son expérience vécue subjectivement comme réussie dans un premier temps, c'est le communisme réussi à l'échelle micro-sociale. En dépit de toutes les aliénations de l'amour par le capital, on peut lire dans l'amour des premiers temps la réussite d'une expérience micro-sociale où tout se partage en transparence, qu'il s'agisse des plaisirs, de l'intimité, mais aussi des tâches pénibles, et in fine d'une partie du patrimoine. Même au sein de l'aliénation du capitalisme, l'amour peut être compris au moins partiellement comme une réalisation effective du communisme à très petite échelle.

En réalité, lorsque deux individus amoureux vivent l'expérience subjective la plus agréable de leur vie, c'est le communisme à l'échelle micro-sociale qu'ils aiment, sans le savoir. "Le communisme est le naturalisme achevé", écrivait Marx. Mais comme le capital annihile l'humanité générique des travailleurs, ceux-ci refoulent leur énergie dans des expériences subjectives micro-sociales au sein desquelles ils peuvent réaliser partiellement leur humanité sans que les entraves capitalistes ne vienne trop les déranger dans un premier temps; ainsi l'amour se restreint à la famille, au conjoint, et à de rares amis proches (ce qui en soi est déjà une extension du concept d'amour par rapport à la définition bourgeoise bornée du couple), parce que le capital n'a pas encore tout dévoré dans l'humanité. Pourtant, on peut remarquer que cette restriction micro-sociale de l'amour ou l'immédiatement proche est préférable à l'autre correspond parfaitement bien à l'état économique de concurrence entre tous, où toute altérité est vue a priori comme une force ennemie à détruire. Le stade ultime de cette idéologie est le racisme. Le Pen père disait lui-même sur les plateaux télé qu'il est normal que je préfère ma femme à mon voisin, mon voisin à mon concitoyen, mon concitoyen à l'étranger.

Le communisme est donc la nature humaine sociale égalitaire pour l'instant inachevée de par l'entrave capitaliste. L'amour n'est qu'une conséquence logique de la réalisation du communisme, pour l'instant restreint à de très rares moments à l'échelle à peine inter-subjective. Avec le progrès du communisme, l'amour gagne en intensité et en extensivité, et ce d'autant plus qu'à un moment donné de la lutte des classes victorieuse, s'opère une inversion logique et pratique.

3.2 L'amour comme résultat effectif du communisme victorieux

Cette inversion, Alexandra Kollontaï l'a théorisée et observée (dans Marxisme et révolution sexuelle) au sein du prolétariat de la jeune Union Soviétique victorieuse. En effet, alors que dans la société capitaliste, la priorité est donnée à la vie subjective du micro-social et de la réussite personnelle contre tous les dangers terribles du monde capitaliste, au sein du prolétariat victorieux, c'est le contraire qui est vrai. Au sein même des subjectivités des travailleurs, la construction positive et victorieuse du communisme devient prioritaire sur la réussite purement individuelle. Car les individus prennent conscience du caractère social de leur existence et désirent participer à la totalité. Cela ne supprime en rien leur subjectivité ni leur épanouissement personnel, mais leur donne une autre forme. Les relations amoureuses finissent par aller de soi, au sein de la lutte contre le capitalisme et la construction du communisme. C'est dans cette totalisation humanisante que des individus peuvent se rencontrer et s'aimer. De même que les producteurs décident librement de s'associer pour produire leur existence, de même des individus décident librement de s'associer pour vivre des expériences subjectives et sexuelles, ainsi que pour élever de futurs petits communistes, etc.

Mais avec la disparition de la propriété privée des grands moyens de production, disparaît du même coup la nécessité du mariage, et donc du couple exclusif. Cela aussi Alexandra Kollontaï en avait observé les prémisses dans la jeune société communiste. La nécessité de conserver le patrimoine au sein d'un couple s'étant annihilée, la possessivité et le désir d'exclusivité finissent par disparaître d'eux-mêmes. De même, l'amour et même l'acte sexuel seront dédramatisés et moins vécues comme des expériences traumatiques (notamment au moment des ruptures), puisque l'amour ne sera plus une ressource rare objet d'une terrible concurrence, mais l'état normal de l'abondance du communisme.

Évidemment, dans un premier temps, tout cela est fort difficile, en plein tumulte de la lutte contre le capitalisme. En effet, les formes idéologiques et les pulsions capitalistes mettront du temps à disparaître. Il est très vraisemblable qu'aujourd'hui, même un communiste sincère pâlira d'angoisse s'il découvre ne pas être l'unique objet de désir de son conjoint. Pourtant, cela entre en contradiction avec les principes d'abolition de propriété privée et l'absence de nécessité économique de l'exclusivité du couple dans le communisme. Mais ce dernier élément lui-même entre encore en contradiction avec le fait qu'aujourd'hui, jusqu'à preuve du contraire, on vit encore dans le capitalisme, et que l'immense majorité de nos concitoyens adoptent encore le modèle du couple exclusif et qu'il sera extrêmement pénible de leur expliquer notre manière éventuellement différente de voir les choses. Alors quoi, on cède à la facilité et on abdique l'amour au capital? Dilemme quasiment impossible aujourd'hui (toutefois les bipèdes ailés ont choisi leur camp depuis fort longtemps).

À peine a-t-il reconstruit de jeunes ailes fragiles, qu'Éros doit tenter de maintenir le cap en plein milieu d'une tempête! De même que les premières expériences communistes, Éros subira plusieurs échecs dans ses tentatives de s'envoler. Il est vraisemblable qu'Éros mettra plusieurs siècles avant de pouvoir maintenir solidement son cap.

Il ne faut toutefois pas être pessimiste, que ce soit à l'échelle d'une vie humaine ou même à long terme. En effet, même à l'échelle d'une vie humaine, le tumulte, le fracas, l'angoisse, et les échecs de ces expériences subjectives ratées des diverses tentatives d'amour communiste constituent le long chemin vers l'amour vrai – a contrario, la réussite de l'amour vrai du capital consacre la fausseté de cet amour (de la marchandise). De nombreuses leçons peuvent en être tirées. À l'échelle historique, au sein de laquelle la durée d'une vie humaine n'est qu'un battement de cils, les choses évolueront dans le bon sens. Au fur et à mesure que le communisme s'affermira, la jalousie disparaîtra progressivement et les individus feront preuve de moins en moins de hargne lorsqu'ils ne seront plus l'objet exclusif du désir de leur conjoint; d'abord parce que cet aspect de leur vie leur apparaîtra comme secondaire par rapport à la construction du communisme et comme mis en perspective de la totalité sociale du groupe communiste. 

Ensuite, il est vraisemblable que la définition même de l'amour gagne en extensivité. L'amour universel de l'humanité finira par supplanter l'amour restreint à une micro-poignée d'individus. En effet, si dans le capitalisme, la globalité de l'humanité se présente comme un énorme gros tas de merde malade, dans le communisme, l'humanité victorieuse sur elle-même apparaîtra comme absolument admirable. L'amour d'un individu se présentera comme un cas particulier de l'amour de l'humanité, et le communisme se présentera alors comme l'humanisme achevé. De là, rien ne semble indiquer qu'aux yeux d'un individu, un seul individu puisse surpasser tous les autres en évaluation subjective de valeur, et donc rien de logique ne semble imposer l'exclusivité. Mieux, il est vraisemblable que les individus éprouveront de la joie de constater que leur être aimé puisse prendre du plaisir avec quelqu'un, puisqu'eux-mêmes ne seront pas en manque affectif.

Une objection classique constitue le fait d'élever des enfants; après tout, l'engendrement biologique d'un individu se fait à partir du corps d'une femme fécondée par le corps d'un homme (pas désolé pour cette balle perdue, les idéologues du genre, on en reparlera dans un prochain article, peut-être). Cela est biologiquement vrai, mais socialement faux. Même s'il est indéniable que le bébé humain  a biologiquement un rapport social privilégié avec sa mère pendant les premières années, le bébé humain est en vérité élevé par la société toute entière, qu'il s'agisse de crèches et autres services publics, mais aussi les oncles, les grands-parents qui aident les deux parents largement submergés et rendus souvent dépressifs par la quantité considérable de travail que demande d'élever un jeune enfant. Au contraire, avec des familles étendues à plus de deux individus, dans une stricte liberté d'association et décision d'éducation collective, il est vraisemblable que l'éducation du jeune individu soit grandement facilitée. Bien qu'il soit vraisemblable que l'enfant garde provisoirement une mère et un père, la force symbolique de domination totale de ces deux éléments sur l'enfant finira par diminuer avec le temps et se diluer au sein des individus affectivement proches des pères et mères biologiques.

De telle sorte que la famille, telle que conçue par la bourgeoisie pour optimiser l'accumulation familiale de capital, sera naturellement abolie par le communisme.

4 Conclusion

Au fond, puisque l'amour apparaît comme une conséquence logique du communisme, militer pour un amour communiste est vain, autant militer directement pour le communisme tout court, on perdra moins de temps. Oui, tout ça pour dire qu'en fait on s'en fout pas mal de l'amour, c'est secondaire par rapport à la lutte des classes contre le capital. On peut trouver des communistes sincères en couples exclusifs, voire même mariés, vu l'état d'avancement catastrophique du communisme, franchement, on n'est pas à ça près. Fidèle au principe de priorité de la lutte des classes par rapport à son petit confort inter-subjectif, les bipèdes déclarent qu'il vaut mieux un type marié qui a bien lu le Capital qu'un anarchoïde écolo polyamoureux – même si finalement, à aucun des deux les bipèdes ailés ne reconnaissent le caractère réellement communiste!

Donc, vive l'amour communiste, mais d'abord et surtout, vive le communisme!

Les bipèdes ailés

vendredi 21 juin 2024

Comme la gauche sait qu'elle va perdre, elle promet n'importe quoi.

En juin 2024, suite à la "victoire" du RN aux élections européennes, Emmanuel Macron dissout l'Assemblée Nationale et organise des élections législatives anticipées. Comme le RN est annoncé vainqueur dans les sondages, divers partis de gauche se rassemblent et forment le "Nouveau Front Populaire".

Les bipèdes ailés sont des esprits libres et donc ne donnent pas de consigne de vote. Au lieu de cela, nous proposons une analyse de la situation de l'actualité électorale immédiate, et après cela nous donnerons notre position politique, justifiée rationnellement. Nous espérons que cet humble texte pourra éclairer les lecteurs et vivifier un peu leur agir politique.

1. Contexte politique de la "gauche unie"

1.1 La traitrise, une tradition dans l'union de la gauche

Pour tout individu ayant de la culture politique française et des convictions d'égalité et de justice sociale, les termes "union de la gauche" lui hérissent le poil de répulsion. Nous en avons connu trois exemples dans le dernier demi-siècle qui devraient nous avoir vacciné définitivement si nous avions quelques notions d'histoire.

1° François Mitterrand. Alors chef du Parti Socialiste (PS), lors de son élection à la présidence de la république, soutenue au second tour par un Parti Communiste Français (PCF) puissant (15% au premier tour), tous les naïfs pensaient que "ça y est, avec Mitterrand au pouvoir, on va enfin détruire le capitalisme". Mais déjà enfermé dans le carcan de l'Union Européenne (UE), le gouvernement de Mitterrand (incluant Jacques Delors, un libéral européiste ministre des finances) sera l'artisan du "tournant de la rigueur", dont une des causes essentielles, déjà, était l'appartenance de la France au Système monétaire européen. Ensuite, Michel Rocard continuera cette opération de destruction des conquêtes sociales en attaquant les réformes du Conseil National de la Résistance mises en place quelques années après la Libération par les communistes et les syndicalistes de la CGT (lire les livres de Bernard Friot pour plus de renseignements sur cette période).
N'oublions pas que Jean-Luc "Mélangeons" est un ardent miterrandien encore aujourd'hui.

2° Lionel Jospin, premier ministre sous Chirac, régime de cohabitation après la dissolution de l'Assemblée nationale par Chirac. On a donc ici un scénario très semblable à ce que promet le Nouveau Front Populaire (NFP) aujourd'hui. Pour défendre son bilan, les militants du Parti Socialiste (PS) réfutent souvent que "oui, mais les 35h". Nous nous contenterons ici de citer Martine Aubry, la principale artisane de cette arnaque du PS :

"Nous avions profité de la loi sur les 35h pour offrir aux entreprises de nouvelles baisses de charges.
[...]
Nous avons posé un principe : la réduction du temps de travail devait se faire sans augmentation des coûts salariaux. Ainsi, l'accroissement mécanique du coût horaire du travail (compte tenu du maintien des salaires) devait être financé peu ou prou en trois tiers : un tiers de gains de productivité, un tiers d'aides, un tiers de modération salariale. Cet objectif a été tenu, avec toutefois des gains de productivité un peu supérieurs et une modération salariale inférieure, les aides représentant bien le tiers de la compensation des coûts horaires. Les 35 heures n'ont donc pas eu d'impact négatif sur les coûts salariaux. Les coûts salariaux ont baissé de 10 % entre 1996 et 2002, grâce aux allégements de charges et aux gains de productivité."

Les 35h n'ont donc pas coûté un centime au capital, et ont continué de participer au vidage des caisses de cotisations sociales et donc à la casse du service public. On peut dire que les 35h ont servi à baisser le salaire socialisé.
Mais surtout, il faut rappeler que Lionel Jospin a privatisé plus que la droite n'aurait jamais osé le faire ! Tels furent France Telecom, Thomson Multimédia, le GAN, le CIC, les AGF, Société marseillaise de crédit, RMC, Air France, Crédit lyonnais, Eramet, Aérospatiale-Matra, EADS Banque Hervet.

3° François Hollande. On peut aussi parler d'union de la gauche ici, car les formations de gauches les plus représentatives électoralement (surtout Mélenchon) ont appelé à voter Hollande au second tour des présidentielles, tout comme Mitterrand en 1981.
Sans même mentionner la loi Travail, il suffit de mentionner que le monstre macronnien qui nous gouverne depuis plus de sept années est issu du gouvernement qui dirigeait la France sous la présidence de Hollande (il en fut le ministre des finances), et que sa politique est dans la plus stricte continuité de ce qu'a initié la présidence de Hollande.

En résumé, on peut citer Franck Lepage, ironisant sur la langue de bois : "on ne dit plus un nain, on dit une personne de petite taille. Pareil, on ne dit plus un socialiste, on dit une personne de petite conviction."

Il est par ailleurs très ironique de constater que François Hollande lui-même se présente comme candidat du NFP. Il fallait l'oser !!


1.2 Prétendre combattre ce dont ils sont historiquement la cause

La gauche libérale libertaire d'aujourd'hui se présente, tout comme Macron depuis une petite décennie, comme le barrage contre l'extrême droite. Mais il ne faut pas oublier que cette gauche capitaliste est le principal artisan du succès de l'extrême droite depuis plus d'une trentaine d'années. Commençons par mentionner que François Mitterrand, le roi des rats opportunistes, a milité à l'Action Française dans les années 30, a participé activement au régime de Pétain pendant l'occupation ; lorsque le vent avait tourné et soufflait vers la gauche, en bonne girouette il s'est revendiqué plus révolutionnaire que les plus communistes des communistes, ce qui a fini par l'amener au pouvoir. C'est pendant les deux mandats de Mitterrand que le Parti Communiste Français s'est "rénové" ; c'est la période où Robert Hue (macronniste aujourd'hui) dirige ce parti et lui fait renier absolument tous ses principes. À l'issue des mandats de Mitterrand, la gauche (PS comme PCF) a totalement abandonné le prolétariat, qui, par rage et protestation, commence à se diriger vers l'extrême droite.
On attribue aussi à Mitterrand la tactique de favoriser l'extrême droite pour déstabiliser la droite dite "républicaine" en instituant le scrutin proportionnel en 1986.

Pour continuer, toutes les casses sociales dont la gauche gouvernementale est responsable (la prétendue "deuxième gauche" que Jean-Pierre Garnier appelle très justement "la deuxième droite"), ont largement contribué à ce que le prolétariat perde confiance en la gauche et se laisse séduire par la démagogie de l'extrême droite.

Le PCF porte également une grande responsabilité en ayant renié tous ses principes, et en ayant détruit toutes ses écoles de formation au marxisme par lesquelles ce parti était capable de former des ouvriers quasiment illettrées jusqu'à un haut degré de culture ; des cours de philosophie, d'histoire, de littérature, de droit, etc., étaient organisés par le parti et ont permis d'emmener des ouvriers à des postes de ministres. On peut citer le cas emblêmatique d'Ambroise Croizat, ouvrier métallurgiste, militant de la CGT, qui fut ministre communiste du travail et qui fut le nom auquel on associe en 1946 l'abrogation de l'abattement systématique de 10% du salaire des femmes, ainsi que l'unification de la Sécurité Sociale et donc la grande amélioration du système de santé à la française qui fut un des meilleurs du monde jusqu'à l'introduction récente des logiques de privatisation (de même, lire les ouvrages de Bernard Friot pour se renseigner sur cette période).

"Sans théorie révolutionnaire, pas de pratique révolutionnaire", écrivait Lénine. On peut constater à quel point l'absence totale de culture politique du prolétariat aujourd'hui le conduit dans l'impasse absolue du vote de l'extrême droite. Cette abdication, la gauche en est largement responsable. C'est précisément en abandonnant les préoccupations "bassement matérielles" (faut vraiment pas avoir de problèmes de fric pour parler comme ça) et en se concentrant sur des problèmes de riches, les questions dites "sociétales" comme le "mariage pour tous" et autres problèmes n'ayant de liens qu'avec la subjectivité narcissique pathologique du petit bourgeois qui s'emmerde dans sa petite vie misérable de rabougri inutile, que la gauche s'est rendue insupportable aux yeux du prolétariat. La gauche libérale libertaire est donc le principal champ de force qui pousse le prolétariat dans les bras de l'extrême droite. Comme disaient les bolcheviques, "on élimine d'abord les traîtres, ensuite les ennemis !"

N'oublions pas que c'est suite au mandat de Hollande et de ses gouvernements "de gauche unie" que l'extrême droite est arrivée au second tour des présidentielles. N'oublions pas non plus que, déjà en 2002, à la fin du gouvernement Jospin, l'extrême droite arriva également au second tour. Et cette même gauche nous offre le triste spectacle de prétendre nous défendre de ce dont elle est la cause.

2. Points les plus critiques du programme 

Nous n'allons pas commenter le programme du NFP dans son intégralité ni dans l'ordre chronologique, mais dans l'ordre logique. En effet, certaines mesures pourraient susciter l'adhésion (comme les hausses de salaires et plus généralement l'amélioration du "service public"), mais étant en contradiction avec d'autres éléments, pour une critique éclairée il convient de mettre en relation les éléments contradictoires dont il a bien été pris soin d'éviter de les mettre à côté dans la brochure du NFP.

Le programme complet est disponible ici.

Le premier problème de ce programme, c'est qu'il est totalement incompatible avec l'appartenance à l'Union Européenne (UE). Pour exemple, la réforme des retraites de Macron a été commandée par les Grandes Orientations de Politique Économique (GOPÉ) émanant directement de la Commission Européenne, qui est en quelque sorte le Politburo dictatorial élu par personne qui prend les décisions pour les États. La non application des GOPÉ équivaut à des sanctions financières totalement dissuasives pour les États, dont ils ne peuvent échapper puisque leur monnaie dépend de la Banque Centrale Européenne (en tout cas c'est le cas de la France qui appartient à la zone Euro). Si les syndicats faisaient leur travail correctement, plutôt que d'être à la ramasse de l'agenda de leur ennemi gouvernemental, ils gagneraient un temps d'avance en mettant en avant la critique des GOPÉ avant même que le gouvernement n'annonce ses réformes qui n'en sont que des copiés-collés. Nous invitons nos lecteurs à se renseigner là-dessus et à aller lire régulièrement la publication des GOPÉ.

Le cas de Jean-Luc Mélangeons est particulièrement intéressant ; lorsque la critique de l'UE était à la mode il y a une petite décennie, il prétendait qu'arrivé au pouvoir, il sortirait de l'UE s'il ne parvenait pas à modifier les traités, c'était son fameux "plan B" du programme de la France Insoumise (FI) en 2017. Cette partie fondamentale du programme qui lui donnait un peu de consistance a mystérieusement disparu avant 2019 lorsqu'il s'agissait de séduire la petite bourgeoisie intellectuelle afin de gagner quelques sièges aux élections européennes. On n'en a alors plus jamais entendu parler. Quelques années à peine après leur échec aux élections de 2017, lorsqu'on reprochait aux militants de la FI d'être euro-sceptiques, ceux-ci baissaient lamentablement leur froc devant la médiacratie en avouant que "mais non, c'était une blague, on n'a jamais voulu sortir de l'UE", devenant ainsi tout-à-fait acceptables par le système capitaliste. La marchandise politique FI devint alors bfmtv-compatible, et Jean-Luc Mélangeons prouva une fois de plus qu'il n'était qu'une girouette opportuniste alignée dans le sens du vent politique du moment.

Tout militant un minimum renseigné sur l'UE sait que cette institution a été créé par et pour les capitalistes (lire à ce propos les ouvrages d'Annie Lacroix-Riz, par ex. aux origines du carcan européen). Le libre-échangisme est inscrit dans la constitution même de l'UE, et la modification des traités auxquels les États membres ont adhéré contient le modèle économique capitaliste qui nous a mené d'abord à la crise économique, puis la crise sociale, et enfin la crise politique actuelle dont l'extrême droite se présente démagogiquement comme une solution de sortie pour le prolétariat, mais est en réalité une solution pour le grand capital, comme cela s'est déjà produit à de nombreuses reprises dans l'histoire (l'exemple le plus emblématique est ce fameux peintre autrichien, "Monsieur Hitler" qui paraissait si respectable aux grands industriels français dans les années 30). 

Analysons le paragraphe le plus important du programme qui concerne l'Europe (en fin de programme pour que personne ne le lise évidemment, p. 22 et 23).

Refuser le pacte de stabilité budgétaire
• Proposer un pacte européen pour le climat et l’urgence sociale
• Proposer une réforme de la Politique agricole commune (PAC)
• Mettre fin aux traités de libre-échange
• Instaurer un protectionnisme écologique et social aux frontières de l’Europe
• Adopter un mécanisme d’harmonisation sociale par le haut entre les États pour mettre fin aux politiques de dumping social et fiscal
• Réindustrialiser l’Europe : numérique, industrie du médicament, énergie, etc.
• Instaurer une règle verte pour prioriser des investissements verts
• Taxer les plus riches au niveau européen pour augmenter les ressources propres du budget de l’Union européenne
• Généraliser de la taxation des superprofits au niveau européen
• Modifier le droit de la concurrence en Europe pour garantir le droit de monopole public au niveau national
• Passer au vote à la majorité qualifiée au conseil pour les questions fiscales

Conformément à ce que nos groupes ont voté à l’Assemblée nationale, nous refuserons, pour l’application de notre contrat de législature, le pacte budgétaire, le droit de la concurrence lorsqu’il remet en cause les services publics et nous rejetterons les traités de libre-échange.

Autant de vœux pieux. Ce programme a été rédigé comme si le gouvernement français pouvait donner des ordres à l'Union Européenne, alors que dans le droit européen et aussi dans la pratique concrète, c'est exactement le contraire qui a lieu. Ce programme est inapplicable dans le cadre de la constitution et des traités actuels de l'Union Européenne, et on a déjà eu de nombreux exemples où lorsque la gauche était au pouvoir, elle a tenté de négocier des modifications de traités et est revenue la queue entre les jambes et a immédiatement déclaré l'austérité (Mitterrand, le gouvernement Jospin, Hollande, Tsipras en Grèce...).
De plus, pour modifier ces traités capitalistes, il faut l'unanimité de tous les Etats membres. Si on prend ce programme au sérieux un instant (en faisant abstraction que ce sont des promesses démagogiques), il s'agit d'un véritable bouleversement des traités qui est proposé, et il est strictement impossible que l'unanimité des États membres n'accepte ces mesures -- condition nécessaire à la modification des traités, qui sont donc de fait inchangeables.

En vérité on pourrait s'arrêter là. Le programme de Mitterrand de 81 était déjà plus offensif que celui du nouveau front bobolétaire, avec les résultats que l'on sait (la rigueur, la destruction du PCF et la montée du FN). Il n'y a donc strictement rien à attendre du NFP, le pire scénario serait qu'ils arrivent au pouvoir ("heureusement", les risques sont faibles ; cependant les autres partis ne valent pas mieux).
Étant donné les circonstances actuelles des politiques libérales au pouvoir dans les autres États membres de l'UE, et étant donnée la Commission européenne actuelle, et si on imagine raisonnablement que l'esprit général des prochains GOPÉ va poursuivre la même direction que les précédents, il est totalement illusoire de croire que les 27 États-membres vont accepter les "propositions" du NFP de transformation de l'UE. Bien au contraire, on peut s'attendre avec certitude que le tout sera refusé en bloc, et l'éventuel premier ministre de gauche reviendra la queue entre les jambes comme tous les autres pour annoncer un plan de "restructuration", de "rigueur", etc.

"Changer l'europe", "faire l'europe sociale" sont des mensonges électoraux gauchistes qui ont déjà mené de nombreux pays à la catastrophe. Pour un programme communiste, revendiquer la sortie de l'UE, de l'Euro et de l'OTAN est un minimum vital nécessaire à partir duquel on peut commencer à réfléchir à de véritables actions -- évidemment, ces mesures sont absentes du programme du NFP.

3. Volet international

Ici on a affaire à un fantastique "en même temps". D'un côté, le NFP revendique le soutien à la Palestine et la critique de la politique sionniste (donc une certaine critique de la soumission à Washington), et de l'autre côté, on a ceci :

Défendre l’Ukraine et la paix sur le continent européen
Pour faire échec à la guerre d’agression de Vladimir Poutine, et qu’il réponde de ses crimes devant la justice internationale: défendre indéfectiblement la souveraineté et la liberté du peuple ukrainien ainsi que l’intégrité de ses frontières, par la livraison d’armes nécessaires, l’annulation de sa dette extérieure, la saisie des avoirs des oligarques qui contribuent à l’effort de guerre russe dans le cadre permis par le droit international, l’envoi de casques bleus pour sécuriser les centrales nucléaires, dans un contexte international de tensions et de guerre sur le continent européen et œuvrer au retour de la paix

Donc le NFP baisse son froc devant l'OTAN et s'aligne sous les ordres de Washington. Jusqu'ici on a rarement vu une situation où l'envoi d'armes contribuait à rétablir la paix, surtout lorsqu'on envoie ces armes à un camp dont la défaite est inéluctable. En outre, accuser le dirigeant de la première puissance nucléaire du monde de criminel n'est pas la stratégie la plus diplomate ni moins encore qualifiable de pacifiste. Mais le pire, c'est que ce paragraphe sous-entend une adhésion au récit atlantiste de la guerre en Ukraine, qui aurait prétendument commencé en 2022. C'est en vérité à partir de 2014 que l’État ukrainien a commencé à bombarder les régions rusophones de l'Ukraine, région dont la majorité de la population était russe avant l'éclatement de l'Union Soviétique en mille morceaux. Les naïfs ignorent (contrairement aux démagogues du NFP) que Poutine réalise une action très modérée par rapport à ce que revendique une grande partie du peuple russe (régions russophones de l'Ukraine incluses) : en particulier, le Parti Communiste Russe revendique l'intervention de la Russie depuis bien avant 2022 ! Et de très nombreux russes revendiquent une mobilisation générale de la Russie.

Une position raisonnable pour la France aurait été de ne pas prendre parti dans ce conflit, afin de pouvoir devenir un intermédiaire crédible pour les deux parties du conflit et proposer des négociations qui pourraient réellement amener à la paix. Bien au contraire, l'exportation des "valeurs morales" d'un pays à l'international est le meilleur moyen de déclencher une guerre ; en réalité, les guerres "pour les valeurs" n'ont rien de différent des croisades religieuses. Si les nombreux pays de l'OTAN n'avaient pas envoyé moult armes à l'Ukraine, la guerre serait finie depuis longtemps, les régions russophones auraient rejoint la Russie et l'Ukraine serait déjà en train d'être reconstruite et démilitarisée. En continuant de fournir des armes à l'Ukraine, non seulement le NFP ne se distingue pas d'un iota de la politique macronnienne, mais en plus refuse de faire un premier pas vers la paix. Quand le NFP prononce le mot "paix", il faut donc comprendre : extension de l'empire atlantiste sans résistance des États non alignés.

Le NFP veut donc poursuivre cette guerre indéfiniment jusqu'à ce que l'Europe soit détruite, ce qui fera un concurrent de moins à l'oncle Sam, très satisfait de cette affaire.

4. Les mesures illusoires en question

Il nous ment, il nous ment. S'il a l'air aussi sincère, c'est parce qu'il nous ment franchement.
(Fabulous Troubadors, Il nous ment)

De manière générale, dans ce programme, de très nombreuses promesses de services publics gratuits sont faites (cantines, transports, logements sociaux, etc) ; si l'on prend tout cela au sérieux, il faut donc s'attendre à une véritable diarrhée de pognon venant de l'État qui, sans contrepartie dans la production réelle, aggraverait considérablement l'inflation (sans même parler du fait que ces mesures seraient inapplicables, voir nos commentaires plus haut sur l'UE). Mais on ne trouve presque rien sur cette contrepartie productive dans le domaine industriel ou agricole à part des mesures très vagues. Voici l'essence de ces mesures :

• Engager un plan de reconstruction industrielle pour mettre fin à la dépendance de la France et de l’Europe dans les domaines stratégiques (semi-conducteurs, médicaments, technologies de pointe, voitures électriques, panneaux solaires, etc).

On peut déjà constater la désinvolture du "etc" qui trahit le manque de sérieux du NFP sur les considérations industrielles. Dans les domaines évoqués, nous avons déjà pris un retard considérable face à d'autres pays, n'investir que dans ces secteurs jusqu'à revenir à niveau prendrait de très nombreuses années avant qu'on puisse en récolter les fruits, en tout cas ce serait très insuffisant comme contrepartie productive à toute la création monétaire nécessaire aux autres réformes promises. Bien que, sur le principe, il ne soit pas absurde d'investir dans ces secteurs, il y a quelques domaines où nous sommes déjà des leaders mondiaux et où le programme est totalement silencieux : à commencer par l'énergie nucléaire ! Dans leur programme sur la production d'énergie, on trouve plein de trucs à la mode bien "écolos", mais rien sur l'énergie la plus rentable et qui ne produit quasiment pas de CO2. Rien sur l'industrialisation des processus d'optimisation de production déjà connus et qui permettraient de réduire considérablement les déchets nucléaires, et rien non plus sur la recherche sur la fusion nucléaire. Rien donc sur des investissements industriels absolument prioritaires pour affermir nos points forts tout en baissant les factures d'électricité de la population, ainsi que les coûts généraux de toute la production, ce qui permettrait de ralentir réellement l'inflation.

Le problème, c'est que par opportunisme et démagogie, le NFP est bien obligé de ne pas froisser les écolos anti-nucléaires (et donc anti-hausse des salaires, et donc finalement pas si éloignés du MEDEF). 

Rien non plus sur l'aviation alors qu'Airbus a un leadership mondial dans ce domaine et un pôle français très actif.

Sans développer nos points forts comme point d'appui pour le reste, il est totalement illusoire d'espérer développer l'industrie dans les secteurs où on a déjà du retard suffisamment rapidement pour contrebalancer monétairement les investissements publics promis.

Globalement, en plus d'avoir un plan industriel rédigé à l'arrache et sans cohérence globale, on ne trouve rien sur le financement de toute cette production, on peut donc s'attendre à des "investissements magiques" de types keynésiens, or on sait que ce type de financement est une bombe à retardement lorsqu'il n'y a pas de contrepartie productive à toute cette création de monnaie. Alors certes, le NFP promet de taxer le capital. Cependant, taxer le capital n'est pas du tout une mesure anti-capitaliste. En effet, si c'était le cas, cette mesure se contredirait dans sa logique même : s'il n'y avait plus de capital, alors il n'y aurait aucun fond à taxer pour financer le service public, et les caisses seraient vides !

Le fondement idéologique de la taxation des profits, c'est la répartition "plus juste" de la valeur produite entre le capital et le travail. Déjà, Marx répondait à ce genre de mesure stupide (critique du programme de Gotha, 1875) :

    Qu'est-ce que le « partage équitable » ?
    Les bourgeois ne soutiennent-ils pas que le partage actuel est « équitable » ? Et, en fait, sur la base du mode actuel de production, n'est-ce pas le seul partage « équitable » ? Les rapports économiques sont-ils réglés par des idées juridiques ou n'est-ce pas, à l'inverse, les rapports juridiques qui naissent des rapports économiques ? Les socialistes des sectes n'ont-ils pas, eux aussi, les conceptions les plus diverses de ce partage « équitable » ?

    [...]

    Je me suis particulièrement étendu sur le « produit intégral du travail », ainsi que sur le « droit égal », le « partage équitable », afin de montrer combien criminelle est l'entreprise de ceux qui, d'une part, veulent imposer derechef à notre Parti, comme des dogmes, des conceptions qui ont signifié quelque chose à une certaine époque, mais ne sont plus aujourd'hui qu'une phraséologie désuète, et d'autre part, faussent la conception réaliste inculquée à grand'peine au Parti, mais aujourd'hui bien enracinée en lui, et cela à l'aide des fariboles d'une idéologie juridique ou autre, si familières aux démocrates et aux socialistes français.

    Abstraction faite de ce qui vient d'être dit, c'était de toute façon une erreur que de faire tant de cas de ce qu'on nomme le partage, et de mettre sur lui l'accent.

    A toute époque, la répartition des objets de consommation n'est que la conséquence de la manière dont sont distribuées les conditions de la production elles-mêmes. Mais cette distribution est un caractère du mode de production lui-même. Le mode de production capitaliste, par exemple, consiste en ceci que les conditions matérielles de production sont attribuées aux non-travailleurs sous forme de propriété capitaliste et de propriété foncière, tandis que la masse ne possède que les conditions personnelles de production : la force de travail. Si les éléments de la production sont distribués de la sorte, la répartition actuelle des objets de consommation s'ensuit d'elle-même. Que les conditions matérielles de la production soient la propriété collective des travailleurs eux-mêmes, une répartition des objets de consommation différente de celle d'aujourd'hui s'ensuivra pareillement. Le socialisme vulgaire (et par lui, à son tour, une fraction de la démocratie) a hérité des économistes bourgeois l'habitude de considérer et de traiter la répartition comme une chose indépendante du mode de production et de représenter pour cette raison le socialisme comme tournant essentiellement autour de la répartition. Les rapports réels ayant été depuis longtemps élucidés, à quoi bon revenir en arrière ?

Les mesures économiques et sociales de ce programme, en plus de ne rien changer aux rapports de production capitalistes, sont donc inapplicables en pratique, et ne sont que de fausses promesses démagogiques pour attirer les naïfs de gauche dans les urnes. 

Un moyen communiste de financer l'investissement, c'est l'augmentation des cotisations sociales (donc l'augmentation du salaire socialisé), via l'augmentation du taux de toutes les cotisations déjà existantes, ainsi que la création de nouvelles cotisations pour créer des caisses d'investissements, qui pourraient être gérées par les travailleurs eux-mêmes en lien avec un commissariat au plan industriel. Cette mesure viendrait ponctionner directement la valeur produite pour la socialiser sans qu'elle ne passe par les portefeuilles des capitalistes. Quand on est communiste, on ne revendique pas de taxer le capital, on revendique de l'assécher en coupant son revenu en le prenant à la racine : au moment de la production de plus-value. Or, il se trouve que la seule mention d'augmentation des cotisations dans le programme est celle pour les caisses des retraites ; à part abroger la réforme des retraites, le NFP ne propose aucune manière réellement pérenne de financer ses réformes, en tout cas rien qui ne fasse vraiment peur à la bourgeoisie (on sait tous que les capitalistes sont les experts absolus de l'évasion fiscale), ni rien qui ne puisse financer les réformes promises.

Dans la section intitulée "l'été des bifurcations, les 100 premiers jours" -- ce qui nous amène donc à un petit tiers d'année, les promesses y seraient donc tenues d'ici début octobre si le NFP arrivait au pouvoir -- nous lisons tout un tas de promesses utopiques infaisables (cf. nos explications antérieures) dont l'unique but est de piéger l'électeur naïf. Évidemment, ces promesses arrivent au début du programme pour aguicher le chaland.
On peut se limiter à une seule d'entre elles : 

• Réduire les effectifs par classe pour faire mieux que la moyenne européenne de 19 élèves

Et ce dans les 100 premiers jours ! Donc le NFP nous affirme sans sourciller que d'ici début octobre, quasiment à la rentrée prochaine, les classes contiendront au plus 19 élèves!!!
 
Un tel mensonge est scandaleux quand on connaît les conditions de travail difficiles des professeurs aujourd'hui. Cela fait plusieurs années que l’État a du mal à recruter, que les classes sont surchargées à une trentaine d'élèves au collège et 35 élèves au lycée, et en 100 jours à peine, on promettrait donc quasiment de doubler l'effectif des professeurs ? À moins qu'on ne déscolarise quasiment la moitié des élèves...
Quelle démagogie ! On se moque du monde !

5. Que faire ?

Aujourd'hui en France, les partis politiques fonctionnent comme des entreprises avec un chiffre d'affaire et une comptabilité à maintenir dans le vert, dont les campagnes électorales constituent les campagnes publicitaires. Cette "union de la gauche" est le meilleur moyen pour tous ces partis qui se détestent mutuellement de maximiser leur nombre de sièges à l'Assemblée Nationale, et donc le pognon qu'ils recevront de l'État après les élections -- ce qui inclut non seulement des subventions mais aussi le remboursement des campagnes électorales. "Comme par hasard", alors que le RN était annoncé au second tour de l'élection présidentielle de 2022, les partis de gauche n'ont pas proposé leur union ! Tout simplement parce qu'en fonction des résultats à la présidentielle, il y a du pognon non partageable entre partis à se faire, donc chaque parti a objectivement intérêt à présenter son candidat. Le projet n'est donc pas politique, il est trivialement pécuniaire. Tout comme la NUPES aux législatives de 2022, le NFP éclatera aussitôt après les élections en différents groupes de ces différents partis.
On peut résumer toute cette mascarade du spectacle de la marchandise électorale à une maximisation du profit de ces entreprises capitalistes dont les électeurs sont les dindons de la farce.

De même, le RN, sentant le vent de la victoire souffler dans ses voiles, a renié toutes ses promesses alléchantes (abrogation de la réforme des retraites, pour ne citer que cela) pour éviter d'avoir à se justifier après les élections lorsqu'ils poursuivront les politiques libérales de leur clone Macron. Sur la face opposée de la même pièce, le NFP sachant qu'il va perdre, peut promettre n'importe quoi pour transformer son programme en énorme piège à cons dans le but de gagner le plus de sièges possibles, afin de s'assurer une défaite économiquement très confortable et en particulier payer tout un tas de branleurs de députés à brasser du vent en étant payés 6000€/mois. Leur stratégie immonde consiste à tirer sur les cordes affectives de leurs électeurs naïfs en créant un mélange émotionnel d'espérance illusoire et de peur du fascisme pourtant déjà là avec Macron le pétainiste et Darmanin le queutard.

Face à cette situation, quelle est la position des bipèdes ailés ? Plus généralement, quelle devrait être la position d'un authentique communiste lecteur de Marx ?

Notre réponse est : ABSTENTION! Les bipèdes ailés refusent de participer à ce sinistre spectacle de la marchandise électorale. Nous ne donnerons aucun crédit à aucun de ces partis qui sont tous les ennemis du prolétariat. Nous continuerons de fabriquer des oiseaux en papier avec nos cartes électorales!
 
 

 
Face à cette revendication, je vois déjà les endormis, qui usuellement, dans leur torpeur consommatoire de jouissance sans entrave et dans leur fausse vie misérable et narcissique aliénée par le capital, lors d'un rêve agité, croient se réveiller une fois tous les cinq ans pour aller accomplir leur devoir électoral, participant ainsi au rituel qui consacre leur soumission volontaire à la démocratie capitaliste. Ceux-là même viennent prêcher leur bonne morale une fois par quinquennat ; ces hordes de perroquets terrorisés crient toutes en chœur aujourd'hui: "il faut voter NFP! il faut voter NFP!" Mais nous autres n'avons aucune leçon de morale à recevoir de ces voteurs soumis.

Si, à ce stade de la lecture, vous objectez : "oui, mais alors que faire si en définitive, on ne va pas voter?" c'est que votre culture politique et militante est identique à celle d'un lapin de trois semaines -- ou, ce qui revient au même, d'un militant du PCF en 2024. Dans ce cas, à la question que faire, pour vous, nous répondons: apprendre, apprendre, apprendre. Vous en avez bien besoin!

Pour ce faire, plutôt que de vous lancer à corps perdu dans l'action aveugle en distribuant des tracts stupides pour aller voter NFP, il est pour vous plus que temps de vous abstenir de faire n'importe quoi, et au lieu de cela, lire, lire, lire. Voici donc un petit guide de lecture politique et philosophique pour vous déniaiser.
De rien.

Les bipèdes ailés