jeudi 18 juillet 2024

Chouette de Minerve autour de minuit

 Pour dire encore un mot sur la prétention d'enseigner comment doit être le monde, nous remarquons qu'en tout cas, la philosophie vient toujours trop tard. En tant que pensée du Monde, elle apparaît seulement lorsque la réalité a accompli et terminé son processus de formation. Ce que le concept enseigne, l'histoire le montre avec nécessité: c'est dans la maturité des êtres que l'idéal apparaît en face du réel et après avoir saisi le même monde dans sa substance, le reconstruit dans la forme d'un empire d'idées. Lorsque la philosophie peint sa grisaille dans la grisaille, une manifestation de la vie achève de vieillir. On ne peut pas la rajeunir avec du gris sur du gris, mais seulement la connaître. Ce n'est qu'au début du crépuscule que la chouette de Minerve prend son envol.

Hegel, préface des Principes de la philosophie du droit.

Bien dit, Hegel, mais Marx réalise et (donc) abolit la philosophie et te répond :

 Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe c'est de le transformer.

 La transformation récente du monde n'est toutefois pas de très bon aloi pour nos pauvres humains. 

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Enfin un peu d'obscurité. Le fracas du crétinisme électoral commence à s'apaiser à présent que la nuit tombe, on s'entend enfin penser. Je prends un envol silencieux, et me pose sur le toit du rêveur, et j'écoute ses songes.

Voilà un cas d'école, un de ces nombreux humains qui croit que s'abstenir de penser rend heureux; il ne veut pas "se prendre la tête", puisqu'au fond, "la vie c'est pas compliqué". Puis les années passent. Ces individus-là, lorsqu'ils ont dépassé la période de vie où la vigueur pouvait atteindre son maximum, ils se rendent compte du temps perdu dans les jouissances immédiates. Ils se retrouvent face à leur fausse vie minable à n'avoir rien accompli, accumulé aucune connaissance utile, aiguisé aucun discernement critique, et il ne leur reste que leurs yeux pour pleurer. Ce n'est alors qu'au crépuscule de leur vie qu'ils se décident enfin à tenter de donner des ailes à leur esprit de pesanteur incarcéré dans l'idéologie cybernétique consommatoire du capital. Mais il est déjà trop tard...

Il en va de même pour les nations, qui ne prennent conscience d'un danger que lorsqu'il est trop tard. Ainsi, les députés du Front Populaire ont-ils voté massivement les pleins pouvoirs à Pétain... Ce n'est qu'après l'horreur réalisée du nazisme que la Résistance et la Grande Guerre Patriotique soviétique ont pu liquider cela. Mais le mal avait déjà été fait, il était déjà trop tard pour le prévenir. Ce n'est qu'au crépuscule de l'humanité que les forces résistantes ont pu croître, et il aura fallu attendre la fin d'une longue nuit d'horreur pour que les forces communistes émergent à la Libération, que l'humanité renaisse de ses cendres pour produire, à l'aube, la Sécurité sociale, etc. Mais il semble qu'on soit arrivé à un nouveau crépuscule de cette période glorieuse.

Houuhouuuuu! Je sais que tu ne m'écouteras pas, humanité. En tout cas, pas encore. Si tu m'écoutes, humanité, c'est qu'il est déjà trop tard. Mais, il est déjà bientôt trop tard. Ou alors, trop tôt pour que tu m'écoutes? Je sais que je te suis désagréable à écouter, vieille humanité. Ta torpeur semi-confortable est trop lourde pour que tu daignes t'en réveiller. Tu t'es tant habituée à ce doux rêve de déni, tu t'es tant enfoncée dans ton ignorance au stade final de sa putréfaction, après le travail acharné de plus de cinquante ans des "maîtres ignorants", que tu t'es habituée à cette odeur putride d'accumulation idéologique rance et réchauffée. Lorsque tu entends mon cri, cela te réveille l'espace d'un instant; mais ce réveil est si désagréable que tu te rendors aussitôt, et prends ce réveil pour un rêve dans le rêve. Selon ta vigueur, tu peux le considérer comme un cauchemar, ou un rêve agité qui, à petite dose, te semble divertissant. Lorsque tu te réveilleras, il sera trop tard pour agir, l'incendie sera déjà tant avancé que ta maison aura déjà brûlée, avec tous tes amis. Tu devras fuir, subir, et attendre l'aube pour tout reconstruire. Il te faudra alors suivre en accéléré les rares individus qui ont fait le dur choix de ne pas dormir, te condamnant ainsi à la passivité. Mais ce sont toujours les minorités agissantes qui font franchir des bons de géants à l'histoire. La masse de l'humanité sert essentiellement de support au "développement des forces productives" pour rendre parfaitement mûre la contradiction entre celles-ci et les rapports de production.

"Humains, trop humains", comme disait l'autre fou égaré... Ah! quel spectacle!

Alors, en ignorant tout ce qui est terrible pour te préserver, tu te complais dans ton ignorance volontaire de toute vérité, à laquelle tu préfères la recherche de sens, quel qu'il soit, pourvu que tu en trouves un. Tu prétendras que transformer le monde est impossible, alors autant te concentrer sur ton moi narcissique et ton intersubjectivité immédiate, par pure lâcheté politique. Ta vie ressemble à une accumulation consommatoire d'expériences, de "kiffs", en niant toute réalité objective certaine, universelle, partagée par tous, partout, toujours, car tu fuis ce réel tant, aujourd'hui, dans le stade ultime de putréfaction du capital auto-suicidaire, ce réel te semble haïssable. D'où le retour de l'obscurantisme religieux et sectaire, des diverses "spiritualités" puériles comme l'astrologie ou les superstitions enfantines pour adultes (les "sorcières" des féministes...). Pour justifier moralement la fuite de la vérité, tu déclares alors qu'elle est "totalitaire", "simpliste", et en bon pédant ignorant, tu déclares sans aucun effort conceptuel de manière pédante et méprisante que "c'est plus compliqué que ça", afin de paraître plus malin que ton voisin. Combien est-il plus confortable de vivre dans l'ignorance volontaire en déclarant qu'il n'y a rien de vrai à trouver! 

J'ai planté quelques graines désagréables dans les rêves du dormeur. Mais tout cela est vain, à son réveil, il déclarera que ce n'était qu'un cauchemar stupide et repartira dans sa fausse vie aliénée.

J'ai assez veillé vainement sur les rêveurs à présent. Prenons un peu de hauteur et tentons d'attraper au vol des bribes oniriques. Écoute-donc mes derniers hululements avant ton réveil, humanité, pendant ma ronde autour de minuit... Il s'en trouvera sans doute quelques uns parmi vous capables de les creuser philosophiquement.

Houuuu! Houuuuuuu! Houuuuuuuuuu!

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L'art de la critique radicale du stade ultime de la décomposition du capital dans sa crise mondiale terminale de la baisse du taux de profit permet aux esprits vifs de sortir de la pure contemplation interprétative du monde et de rentrer dans l'histoire. La critique dialectique peut sortir de son mysticisme idéaliste pour devenir une arme révolutionnaire de destruction massive de la réaction.

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La "critique critique" rongeuse de l'art de la critique sied davantage aux rats universitaires satisfaits de la putréfaction du monde tel qu'il est aujourd'hui. Ils se nourrissent de ces déchets sans rien produire d'autre que de la branlette intellectuelle soporifique. On les trouve par milliers dans les facs de "sciences" humaines.

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L'ami de la connaissance prend de la distance du fracas infernal du crétinisme électoral (et plus généralement, du crétinisme des actualités journalistiques). Non pas pour s'éloigner des problèmes concrets en les fuyant dans ses abstractions adorées, mais au contraire pour s'éloigner de ce qui est abstrait, et alors aborder les véritables problèmes concrets. 

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La pensée abstraite: celle qui fait abstraction de la totalité du rapport social humain, de la totalité historique dans laquelle chaque individu évolue de façon déterminée. La pensée abstraite se déclara alors concrète, tel le lombric pensant que le millimètre cube de fumier immédiatement autour de son corps constituait la seule réalité "concrète" digne d'intérêt. N'importe quel bipède ailé n'en fait qu'une bouchée!

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La pensée concrète: pensée de la vérité comme totalité historique en mouvement, qui seule permet de donner une explication scientifique de chaque chose qui apparaît.

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Une pensée véritablement concrète a nécessairement déjà réalisé un détour vers l'abstraction. Un enfant qui observe un bœuf pour la première fois, bien que le voyant dans son entièreté, ne connaît pas véritablement cet animal. Le maître boucher, lui, connaît l'art de découper avec justesse le moindre organe de l'animal pour l'en abstraire de sa totalité organique et l'étudier en détail. Une fois cette dissection réalisée, le boucher totalise conceptuellement l'animal entier; c'est alors une totalité différentiée, en devenir (Hegel: le résultat n'est rien sans son devenir).

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Les élections sont l'imposture journalistique par excellence. La gauche et la droite sont des abstractions parlementaires vides très bien tolérées par le consensus capitaliste contemporain. Mais pendant que le tapage électoral distrait les esprits mous, la vieille taupe creuse, inlassablement...

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La maladie française: obsession de la démocratie et du mode de désignation du chef, au prix du contenu de ce que fait icelui (ainsi "nuit debout", ainsi le "RIC" des Gilets Jaunes, etc.). On en voit le résultat aujourd'hui. Cette maladie française, c'est la politique qui se regarde le nombril indéfiniment en ne traitant que des problèmes de représentation spectaculaire.

La démocratie pure est le stade juridique ultime, le dernier rempart "républicain" que le capital peut opposer au prolétariat. C'est le rituel de soumission à la dernière forme juridique du capital. Il est clair qu'à ce stade, la démocratie pure est l'ennemie du peuple.

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Le communisme, dans la dissolution naturelle de l'État, donne à la politique la possibilité de réaliser son dernier acte d'existence: s'occuper des problèmes concrets qui, en eux-mêmes, ne relèvent pas de la politique. Mais aujourd'hui, ces problèmes concrets sont coupés de la politique qui ne traite que de politique et pas de problèmes concrets. Ainsi: il faut dépolitiser la politique, mais politiser les problèmes concrets. Chose impossible dans le tapage électoral permanent.

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L'esprit ailé ne passe pas toute sa vie dans la tranquillité céleste. Il vogue à toutes les altitudes selon sa volonté, et peut s'il le souhaite passer du temps sur terre. L'esprit de pesanteur, lui, est condamné à ramper sur le sol et ne voit venir les problèmes que lorsqu'il est trop tard. Comment donner des ailes à son esprit? Une bonne cure de silence, de musique savante, de solitude, de saines lectures, de méditations philosophiques...

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Au XXe siècle, l'extrême gauche du capital a canalisé l'instinct primitif du prolétariat pour l'empêcher de se réaliser dans son concept. Affirmer le contraire, ce serait nier que ce qui est réel est rationnel, et que la chute finale du PCF était contenue dans ses prémisses et n'en a été que la conséquence logique. 

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En Europe: contrairement à Lénine, contrairement à ses prétentions, l'extrême gauche du capital du XXe siècle à nos jours a toujours été à l'arrière-garde du prolétariat, à la ramasse.

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Vladimir Illitch Lénine: génie trop en avance sur son temps, trop ambitieux, trop vif, volait à trop haute altitude. Aucun soviétique ne lui arrivait au petit orteil (pas plus Trotsky que Staline qui ne bittaient rien à la dialectique), d'où l'échec inéluctable de l'URSS. Ce n'est pas faute d'avoir tenté, au péril de sa santé, de former ses successeurs.

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Alexandra Domontovich-Kollontaï: magnifique révolutionnaire russe, ministre du travail sous Lénine dont les avancées réalisées pour le prolétariat et les femmes russes il y a plus d'un siècle en URSS feraient mourir de honte les syndicats et les féministes d'aujourd'hui; théoricienne géniale de la famille et des rapports hommes-femmes, conceptrice émouvante de l'amour communiste, en avance d'au moins deux siècles sur l'histoire humaine globale. Mais inférieure à Lénine dans ses analyse concrètes et stratégiques de la politique soviétique; chez Alexandra, Éros prenait trop de place et empêchait Minerve d'éclairer son discernement stratégique.

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Aujourd'hui en France, c'est l'extrême-droite du capital qui canalise l'instinct prolétaire et l'empêche de se réaliser conceptuellement. Il est absolument certain que la gauche continuera sa descente aux enfers jusqu'à son annihilation totale (déjà bien avancée, et sans qu'elle n'ait besoin d'aide pour cela). Seule bonne nouvelle pour nos bipèdes sans ailes: l'extrême droite du capital est encore plus nulle que l'extrême gauche du capital et sa chute sera plus rapide. En attendant, l'extrême-centre rafle la mise et déroule le même programme (celui du capital).

Évidemment, lorsque le prolétariat se rendra compte que l'extrême droite du capital n'était qu'un énorme piège à cons, il sera trop tard.

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Extrême nullité de l'extrême gauche du capital. Il suffit constater sa nullité conceptuelle originelle dans ses formations "marxistes" proposées aux ouvriers de l'époque (le manuel de Politzer), et la nullité du "marxisme français" théorique de la Libération (celui-là même dont Marx affirmait  déjà un siècle plus tôt que si c'était ça le marxisme, lui-même n'était pas marxiste), qui a continué sa décadence jusqu'à la French Theory (Althusser, Sève, Sartre, Foucault, Deleuze, Derrida, Rancière, Bourdieu, etc.), puis leurs continuateurs américains (Kimberley Crenshaw, etc.), accouchant de l'intersectionnalité, puis l'idéologie gauchiste contemporaine dans toute son ignorance crasse de sa propre généalogie réactionnaire du libéralisme libertaire. Seuls les bobos branchés rabougris qui veulent s'acheter une conscience morale, soutiennent la gauche aujourd'hui, sous sa forme de front populaire du capital; le prolétariat a abandonné cette gauche débile, mais pour aller de Charybde en Scylla: le voici à présent incarcéré dans la nullité de l'extrême droite débile du capital. 

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Intersectionnalité: abdication de la raison matérialiste au profit du sentiment essentialiste subjectiviste et inter-subjectiviste. Les individus ne sont pas jugés sur ce qu'ils font, mais sur ce qu'ils sont. L'être intersectionnel procède subjectivement et inter-subjectivement, mais n'accède jamais à ce qui est le plus important: l'être comme être social rapporté à la totalité du rapport social concret de production (donc relatif au faire et non à l'être). Le rapport social du faire, c'est le rapport de classe, comme rapport social de production matérielle nécessaire de l'existence humaine.

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Qu'il soit bien clair que toute lutte politique qui ne rapporte pas son objet à la lutte des classes du prolétariat contre la bourgeoisie est contre-révolutionnaire par essence. Le capital adore ces luttes de seconde zone, il va jusqu'à les financer.

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Impasse politique de l'intersectionnalité: impossibilité ontologique de totaliser concrètement la catégorie de minorité sans réaliser une boucherie sanguinaire qui ferait passer le peintre autrichien pour un enfant de chœur. Lorsque ce n'est pas ce dernier cas, haine nécessaire de l'universalité, et donc, refus par essence de la révolution victorieuse. Par essence, l'intersectionnalité politique est condamnée à rester confinée dans la minorité; seule façon de réussir pour elle: rejoindre la minorité ultime, la bourgeoisie. Ce qu'elle fait très bien...

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Genre homme/femme: idée et forme sociale du sexe. Seule cette conception du genre permet d'éviter les impasses intersectionnelles de sa prétendue théorie du genre qui procède de la pure abstraction narcissique et égotique d'un moi pur qui décrète son genre sans aucune détermination matérielle. La grande église kantienne du moi transcendantal qui dégénère dans sa décadence spectaculaire...

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Le genre comme idée et forme sociale du sexe a une forme juridique simple: elle tient compte des spécificités biologiques de la femme et de l'homme dans des cas très spécifique afin d'éviter la barbarie machiste. En tant que forme juridique, elle se distingue du sexe, sans pour autant s'en séparer (comme chez les "théoriciens"). Mais surtout, elle fait abstraction des préjugés culturels débiles de la marchandise sexuelle capitaliste qui meurtrit tant nos non binaires.

Dans nos sociétés avancées, aucune division sexuelle du travail n'est utile, sauf dans les métiers de confrontation directe, notamment dans le sport de haut niveau et certains arts militaires. Du reste, assurer aux femmes la sécurité physique, morale et matérielle, en particulier lorsqu'elles portent et élèvent un très jeune enfant, suffit amplement.

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Théorie du genre: le capital offre aux non binaires l' "émancipation" dans la marchandise du sexe liquéfié et décliné à l'infini. Moult profits capitalistes en perspective (remboursés par la Sécu qui plus est).

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Féminisme: offrir aux femmes l' "émancipation" dans la marchandise et lui offrir les postes convoités de la bourgeoisie réactionnaire. Voici ce que dit le féminisme dans sa version la plus réactionnaire: "femmes, vous aussi, exploitez le prolétariat comme les mecs!"

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Abolition du genre comme forme sociale implique restauration du droit biologique du plus fort, et donc, l'échec ultime de ce féminisme, qui était contenu dans son essence.

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Absolutisation du genre femme (l'étymologie de fémin-isme ne dit rien d'autre que cela) égal absolutisation des préjugés débiles de la marchandise femme (comme chez les "sorcières"...), et donc, l'échec ultime de ce féminisme, qui était contenu dans son essence. 

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Il est remarquable que la plupart des individus qui se déclarent féministes avant tout sont presque toujours les femmes branchées de la petite ou grande bourgeoisie. Femmes ouvrières, méfiez-vous de ces féministes! Il y a déjà plus d'un siècle, Alexandra Domontovich-Kollontaï vous avait prévenues que vous n'aviez absolument aucun intérêt en commun avec les femmes de la bourgeoisie...

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Plus généralement, l'absolutisation d'une minorité (comme toute doctrine en "-isme" qui n'est pas le communisme)  demande à ce que la partie dirige le tout. Contradiction avec la prétendue critique foucaldienne du pouvoir, ce même sophiste libéral de Foucault qui promouvait les minorités!

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Le prolétariat est la majorité opprimée par la minorité capitaliste. Seul le communisme, comme accession du prolétariat au pouvoir, est révolutionnaire. Alors, la majorité pourra oppresser la minorité jusqu'à sa disparition. Ainsi s'achèvera la première phase du communisme.

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"Ou bien l'émotion, ou bien la raison". Voilà le genre d'ineptie qu'on entend dans la psychologie binaire cybernétique du capital. Comme si la raison pouvait se réaliser sans passion, et comme si les émotions les plus subtiles étaient séparées de toute réflexion.
On crée alors des "profils MBTI" selon ce genre de dichotomie débile, et les esprits faibles se laissent enfermer dans ce genre de discours auto-performatif. Les profils prétendument "émotifs" renoncent à la raison et deviennent des êtres stupides mais charmants; les profils prétendument "penseurs" renoncent à leurs émotions et sombrent dans la cybernétique positiviste binaire du capital, annihilant ainsi toute pensée de la contradiction et se faisant les chiens de garde positivistes enragés de l'idéologie bourgeoise.

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La psychologie du capital (tout comme sa médecine), dans tout son positivisme sordide et morbide, c'est la destruction réalisée de la pensée critique. On a des "tables officielles" nominalistes avec des noms de maladies, et une liste de symptômes à cocher; c'est sur la connaissance par cœur débile de ces critères que sont évalués nos médecins "psychologues"; ils prennent alors un air ultra dogmatique comme si leurs critères étaient éternels – la seule chose éternelle en vérité, c'est la reconnaissance officielle et contractuelle de l'État bourgeois envers eux (leur diplôme), suite à leur soumission volontaire à ce test stupide qu'ils valorisent socialement en déclarant absolues leurs connaissances de la science capitaliste. Mais cinq ans plus tard, tous les noms et les critères ont déjà changé, et ce qui était vrai hier avec certitude est déclaré obsolète et ringard, et les nouvelles tables de vérités sont à nouveau déclarées certaines. 

Il n'y a qu'à voir comment le terme "autisme" regroupait des pathologies parfois opposées (d'une part, le gamin au regard vide et à la lèvre pendante incapable de prononcer une phrase, et d'autre part, ce triste génie mémoriel capable de résoudre de grands problèmes mathématiques en un battement de cils mais qui éprouve des difficultés de sociabilisation). On a récemment renommé cette catégorie sous le terme générique de "trouble du spectre autistique", avouant à moitié l'état d'ignorance "spectrale" de la science psychologique – il est vraisemblable que dans une dizaine d'année le terme générique "autisme" sera abandonné ou drastiquement modifié, lorsqu'on aura saisi sa nullité conceptuelle d'aujourd'hui. Mais cela n'empêche pas nos psychologues du capital d'affirmer avec certitude leurs diagnostics cybernétiques et se faire des couilles en or remboursées par la Sécu sur le dos des parents désespérés.

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La psychologie du capital a pour but d'individualiser la souffrance, comme si c'était l'individu qui était malade et non pas la merde du capital toute entière; justement, être malade au milieu de la crise globale est un signe d'instinct sain de réaction immunitaire psychologique, il faut au contraire être complètement fou (ou un gros bourge ou dans le déni) pour se sentir bien dans un océan de merde; la plupart de nos aliénés serrent les fessent en attendant que leur fausse vie se termine, et il n'y a que ceux qui n'ont pas les muscles fessiers assez puissants qui finissent chez le psy. Mais ce psy, au lieu de mettre en perspective dialectique, historique et révolutionnaire nos malades de l'esprit, leur file quelques médocs pour qu'ils filent droit et retournent valoriser du capital sans faire chier la bourgeoisie –  s'il ne les ruine pas dans une interminable thérapie contre-productive où on se contente d'explorer le narcissisme pathologique de la vie micro-sociale libidinale de l'individu sans jamais en explorer les déterminations existentielles totales et (donc) politiques.

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Pour guérir de votre "maladie mentale": révoltez-vous, camarades! Rien n'est plus vivifiant que la bagarre sous toutes ses formes.

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L'Éros ailé: ses ailes sont bien abîmées dans le royaume du fétichisme achevé de la marchandise, son royaume a été conquis par l'empire de Thanatos; l'amour s'est détruit dans la pulsion de mort machinique des corps qui baisent des corps dans la pornographie permanente du capital, sans vie spirituelle et érotique. Mais Éros est un phénix, il appartient à l'essence invincible de l'humanité principiellement communiste. Éros communiste comme amour universel total (donc spirituel et charnel) de ce qui est beau en l'homme; beauté meurtrie et enlaidie par le capital. Une laide beauté (ugly beauty dirait Thelonious Monk ?) qu'il nous faut guérir. Éros blessé, mais Éros immortel.

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Monstrueuse misanthropie que de n'aimer qu'un seul individu d'amour: cet amour exclusif est le mépris de tout le reste de l'humanité. C'est ce que vous ordonne le capital; pour l'instant, humains, pas assez humains (et non trop comme disait le moustachu), vous obéissez robotiquement dans votre écrasante majorité.

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Misanthropie érotique comme cas particulier de la misanthropie infinie du capital: concurrence contrainte et faussée (donc revendiquée libre et non faussée par le capital) de chacun contre tous. On en arrive à ne s'aimer que soi-même et son cercle micro-social, à condition qu'icelui participe à satisfaire notre narcissisme pathologique dont le fond de l'égo est infiniment meurtri et bousillé par la merde capitaliste. Philanthropie communiste enfouie en chacun, où dors-tu?

Cette misanthropie générique du capital est le fondement du racisme. Dans le capitalisme strict non renversé par le communisme, lorsque le conflit de classe est empêché, le prolétariat a objectivement intérêt à être raciste et à sauver sa place plutôt que celle de l'étranger. Cet intérêt est néanmoins un intérêt du capital, donc absurde dans son essence lorsque revendiqué par le prolétariat.

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Toute lutte antiraciste non communiste est donc une imposture. Elle monte sur ses grands chevaux et crie: "Prolétaire, n'as-tu pas honte? Admire ma morale républicaine, serre les fesses et meurs de faim."

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Les Arabes sont très bien accueillis en France... lorsqu'ils sont grands propriétaires de puits de pétrole. Eh oui, le racisme, c'est encore une question de classe. 

De même que pour toute minorité, l'arabe immigré précaire n'a aucun intérêt en commun avec l'arabe grand propriétaire. Cela est inconcevable pour l'intersectionnalité, qui préfère perdre son temps à compter les points de chaque axe de domination entre tous... Elle crie: "Prolétaire de tous les pays... étripez-vous!" Le capital jubile.

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Le communisme ailé comme matrice de toute élévation céleste. Pour lui rendre ses ailes, vivifier son esprit. Dans l'état de putréfaction idéologique, aujourd'hui, avec des organisations politiques et syndicales à la ramasse de leur mission historique, espérer un "sursaut final" et s'engager dans des luttes immédiates de manière passive est au mieux neutre, au pire contre-productif. Il faut bien plutôt "apprendre, apprendre, apprendre", et une fois ceci fait, l'apprendre aux autres, inlassablement; seule la critique radicale peut provoquer un sursaut véritablement révolutionnaire et sortir la masse de sa torpeur réactionnaire.

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"Dieu est mort"... Vraiment? Et le divin marché, et l'argent? Ne seraient-ce pas nos dieux contemporains?

Et ses innombrables temples de la marchandise, avec tous ses rituels? Et ses curées payés pour prêcher l'économie bourgeoise en permanence? "Les marchés sont inquiets", nous disent les économistes... Tout comme autrefois, ils craignent l'apocalypse de la fureur de Dieu!

Seul combat d'avant-garde véritablement laïque aujourd'hui: séparer l'État du MEDEF.

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La religion du capital achèvera bientôt de balayer toutes les religions archaïques qui personnifient leurs dieux. Seul le développement de la critique communiste et l'éducation à la science peuvent combattre l'obscurantisme des religions, ou plutôt, de la religion du capital.

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Toute passivité politique, tout "apolitisme", admet implicitement que l'état actuel du monde est convenable. L'apolitisme est réactionnaire par essence.

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Le doute pour le doute, l'irrationalisme philosophique, est la marque des esprits mous asservis au capital. L'unique mission historique de ces chiens de garde est d'empêcher au prolétariat de réaliser son instinct en concept. Comment empêcher le concept d'accoucher à peu de frais lorsqu'icelui fait de timides tentatives? Dire d'un air pédant: "c'est plus compliqué que ça", et l'accuser de dogmatisme.

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Si tout était relatif, il serait relatif que tout est relatif. Sceptiques, soyez cohérents avec votre doctrine: faites vœu de silence éternel.

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Quitte à choisir entre dogmatique et sceptique, il vaut encore mieux un dogmatique qui s'assume clairement (on pourrait même dire: courageusement). Il donne un point fixe à partir duquel on peut penser, fût-ce contradictoirement. Le sceptique éternel n'est rien d'autre qu'un nihiliste cynique qui jubile de la destruction de toute pensée voulant se faire jour. 

Toute vérité démarre sur une certitude, fût-elle ensuite contredite, doutée, modifiée, réfléchie dialectiquement. Rien ne peut émerger du doute pur; le doute est toujours déjà le doute de quelque chose d'affirmé.

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Au XIXe siècle: critique militante et indignation juste des conditions de vies inhumaines du prolétariat, notamment de par la dégradation de son environnement. L'ennemi, c'est le capitaliste.

Fin du XXe siècle jusqu'aujourd'hui: le "problème écologique" comme obscurantisme religieux où "la planète" passe d'objet à sujet. Il faut alors la sauver, et l'ennemi... c'est nous tous! La lutte des classes disparaît, et laisse place à une culpabilisation massive du prolétariat.

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Les écologistes affirment même parfois que les classes populaires consommeraient trop... Cependant, la seule mesure objective de la consommation, c'est le salaire. Mais alors, écologistes, ne seriez-vous pas d'accord pour militer, aux côtés du MEDEF, pour une baisse des salaires? Il faudrait savoir!

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Imposture scientifique climatique de l'église du GIEC dont la prêtresse suédoise chante la messe au monde entier avec son regard abyssal terrifiant. Imposture scientifique de modèles physiques justes dans leur abstraction calculatoire, mais nécessairement faux concrètement car déclarent fixe ce qui ne l'est pas: la lutte des classes. L'étude des dynamiques historiques supporte très mal la modélisation mathématique. Si la science physique est très performante pour étudier des objets, elle l'est beaucoup moins pour étudier des sujets... Seule la logique dialectique permet au sujet de se réfléchir pour s'observer lui-même.

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Écologie: stade ultime de la misanthropie dans l'adoration de la "nature". L'homme serait le problème absolu. Soyez cohérents, écologistes: au lieu de nous demander en permanence de moins vivre pour vous laisser plus de place, suicidez-vous.

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La planification industrielle intelligente et l'investissement massif dans le nucléaire sont les seules solutions qui évitent un génocide, et passent nécessairement par le communisme.

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Le Capital de Marx n'est pas un texte techniciste qui décrit l'économie du XIXè siècle. Le Capital est la matrice théorique qui expose non pas seulement la vie du capitalisme, son développement logique, rationnel, réel. Le Capital expose avec une rigueur impeccable non pas que la biologie, mais surtout la nécrologie auto-réalisée du capitalisme. C'est de sa mort certaine dont parle Marx.

Aux crétins universitaires branchés qui trouvent Marx ringard: Marx ne parle pas essentiellement du capital au XIXè siècle, il nous montre son développement nécessaire au XXè, XXIè, et même XXIIè siècle, si on le lit avec suffisamment d'intelligence. Le Capital est le missile le plus destructeur qui n'ait jamais été envoyé à la tronche de la bourgeoisie.

Ainsi, la baisse tendancielle du taux de profit, les crises, les guerres, la violence terminale absolue de la guerre de classe finale.

Vous ne me comprenez pas, lecteurs? Alors, sortez immédiatement de ce blog, et lisez, lisez, lisez, et relisez le Capital!

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Un bon aphorisme court met de longues années avant de s'accoucher par son auteur. Côté lecteur, il met de longues années à être digéré et réfléchi. En lui-même, l'aphorisme a peu de valeur conceptuelle. C'est la totalité des creusements philosophiques avant et après sa rédaction qui importent.

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Aphorismes de la chouette: slogans pour des cyborgs répétiteurs sans pensée, ou graines semées dans l'esprit critique du lecteur avisé? Humain qui me lis, rumine longuement ces graines, médite-les, contredis-les ou fais-les pleinement tiennes; si tu te contentes de les répéter mécaniquement, que s'abatte sur toi la colère de Minerve!

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L'aube vient. Ma ronde nocturne est terminée. Il est temps que je retourne auprès de toi, ma pauvre Minerve; l'absence de sagesse des hommes doit bien t'attrister: autrefois ils louaient ta sagesse, aujourd'hui, leur seul dieu est l'argent. Prends patience, ma chère Minerve... un jour, l'humanité louera l'humanité, tes enfants deviendront enfin indépendants et tu pourras reposer en paix.

jeudi 4 juillet 2024

Du vieux vautour contemplant les villes

En ce matin d'été, l'air frais siffle au dessus de ma tanière rocailleuse. Mon grand âge m'incite souvent à y rester par prudence, mais j'ai grignoté les derniers os du vieux cadavre en putréfaction que je conservais à mes côtés. Cette odeur de fermentation grisante me manque, alors je profite du beau temps pour m'élancer dans les airs, cherchant un autre repas.

Flap flap. Aujourd'hui, l'air est bon. Je prends rapidement de l'altitude en dépit de mes forces moindres que dans ma jeunesse, compensées par ma longue expérience du vol plané.


Depuis longtemps que je contemple les vallées, je n'ai compris que trop bien les habitudes des humains. Depuis quelques semaines, cette plèbe s'agite et m'amuse beaucoup, alors je ne résiste pas à retourner les voir avant de me concentrer sur la recherche de cadavre putride. On parle beaucoup d'élections ces derniers jours, cet ancien rituel par lequel ces bipèdes sans ailes consacrent leur soumission volontaire à cette vieille démocratie libérale qui les tue à petit feu. À petite dose, le spectacle de la marchandise électorale me divertit lorsque je m'ennuie à tourner en rond dans le ciel. Allez, pourquoi ne pas y jeter un œil pour une fois, mon estomac peut bien attendre quelques heures.

Flap flap. Les émanations de gaz des villes sont certes désagréables mais donnent des courants ascendants réguliers qui permettent de contrôler ma trajectoire presque sans efforts. Je peux bien tolérer cette odeur nauséabonde le temps d'une petite contemplation en direct du spectacle de la marchandise électorale. 

Oh oh oh, comme ils sont drôles, ces pauvres humains. À peine le premier tour des législatives est-il terminé qu'ils nous ressortent le coup du "barrage"! Ce prétendu barrage contre l'extrême droite est beaucoup moins efficace que celui de mes petits camarades castors qui eux, savent au moins retenir de l'eau par des constructions ingénieuses. Depuis plus de vingt ans que les chefs du libéralisme agitent le même fétiche de l'extrême droite, donnant la peur comme seul motif de vote à ces pauvres créatures qui marchent sur leurs jambes, icelle ne fait que prendre de la force politique et symbolique. Et ne voit-on pas ce spectacle burlesque de la gauche et du centre qui, tout en prétendant se combattre mutuellement, cèdent leurs places pour permettre à leur petit camarade de gagner contre l'extrême droite. Fabuleux stratagème pécuniaire pour garantir plus de sièges à l'Assemblée et donc plus de brouzoufs émanant de l'État pour leurs partis respectifs, tout en se drapant d'une belle morale républicaine qui ferait presque envier les castors si leur pragmatisme légendaire avait quelque défaillance. 

On a même ce bon vieux Eddy qui cède sa place au Parti Capitaliste Français (PCF). Ce n'est qu'un juste retour d'ascenseur, tant on se souvient que Bébert, ancien chef de ce même parti, avait appelé à voter Macron en 2017 au premier tour (qui nomma alors Eddy premier ministre). Ce petit jeu de ping-pong a beau être prévisible et répétitif, il n'en demeure pas moins toujours aussi drôle. 

Flap flap. Changeons de quartier et écoutons les émissions émanant des foyers des plus hauts immeubles. Tiens, qu'entends-je? Le Nouveau Parti Anticommuniste (NPA) a également rejoint le prétendument Nouveau Front prétendument Populaire. Le manque d'ambition politique de son programme pourra avoir été compensé par l'idéologie hitléro-trotskyste de soutien militaire à l'Ukraine, que ces clowns ont eu l'audace de qualifier de "lutte pour la paix", ainsi que son soutien à l'UE. Il est fort amusant que presque 30% des votants furent dupes de ce genre d'énormité. Mais bon, plus c'est gros plus ça passe... et en tout cas cela aura suffi à faire accourir ces petits trotskystes déprimés tant c'est conforme à leur idéologie délicieusement fétide.

Mais qu'entends-je? Ne serait-ce pas le vrombissement rutilant du scooter de Hollande, qui se serait précipité hors de sa niche dès lors qu'il a entendu l'appel de la soupe? Il a même été suivi de près par le collant Super-Glucksmann, l'agent de l'OTAN qui conseille les dictateurs libéraux de Georgie, et le visqueux DSK, qui, on le sait, s'intéresse beaucoup aux sort des femmes de ménage, tout en détruisant les économies des pays d'Afrique depuis le FMI. Même BH Heil appelle au barrage. Ceux-là même qui ont fabriqué le parti au pouvoir depuis plus de sept ans, qui croient-ils tromper en allant à gauche en opposition à La France En Marche? Pardon, juste En Marche, "La France en Marche" c'était le parti de Pétain. Difficile de s'y retrouver... Oh, mais, attendez. Non?!? Ces créatures qui marchent sur leurs jambes me surprendront toujours. Hollande est arrivé en tête de sa circo. Ah ah ah ah ! Bipèdes sans ailes, aujourd'hui vous me divertissez beaucoup.

Ce ballet est vraiment hilarant, je n'avais pas autant ri depuis longtemps. Pourtant, en dépit de ces masques dignes des grandes comédies burlesques, la plupart des humains sont dupes. À force de les observer, j'ai fini par comprendre que la seule leçon de l'Histoire que les hommes retiennent, c'est qu'ils n'en retiennent aucune.  

Ces créatures qui marchent sur leurs pieds n'ont toujours pas compris que ce sont les partis pour lesquels ils votent depuis plus de trente ans et leurs politiques qui engendrent le succès de ce qu'ils appellent "l'extrême droite". Ils ne comprennent pas que le premier est le terreau qui permet au second de pousser avec plus de vigueur. Ils ne comprennent toujours pas que le prix à payer de leur prétendu barrage au fascisme, c'est le fascisme lui-même; icelui a déjà fort bien progressé ces sept dernières années. Ces bipèdes sans ailes à la cervelle de moineau semblent avoir oublié l'hommage à Pétain fait par Macron le 11 novembre 2018; ils semblent avoir oublié que le RN est aussi libéral que Macron, et ils se fourrent le doigt dans l'œil (dont l'acuité laissait de toute façon à désirer) s'ils croient que ce vote permet d'exprimer un "ras-le-bol"; ils semblent avoir oublié que la folle flicaille s'est totalement débridée et continuera de les tabasser toujours plus, que ce soit le pétainiste centriste ou le pétainiste de droite qui gagne; ils semblent avoir oublié que la deuxième droite du PS aujourd'hui incarnée par le NFP est un clone raté de la première droite aujourd'hui incarnée par EM. 

Slogan du régime de Vichy

Ils font semblant d'ignorer qu'en allant voter pour des libéraux de gauche avec un programme infaisable car europhile et OTAN-compatible, ils ne feront que renforcer l'extrême droite; même le programme commun de Mitterrand était plus ambitieux, et pourtant, cela avait mené à la destruction des conquêtes sociales communistes de la Libération et au succès du FN de l'époque. Finalement, le pire scénario qui pourrait arriver à ces pauvres bipèdes, ce serait que le NFP gagne... suite à leur échec inéluctable, cela enfoncerait le dernier clou dans le cercueil de la gauche.

Heureusement que je ne vis pas parmi eux et que mes ailes me permettent de garder ma tranquillité céleste. Toutefois, je me demande bien ce qui se passera lors de ma prochaine visite de leurs cités folles. Oh, dans les grandes lignes et dans le fond, tout est tristement prévisible, mais la forme spectaculaire risque de nous réserver de croquignolesques surprises. Le seul suspense qui reste est de savoir quel masque prendra cette vieille démocratie libérale à la botte de l'UE et de l'OTAN, pour jouer exactement la même comédie.

Et pourtant, je ne me lasse pas de ce spectacle tragique. Comme le vieux moustachu fou, j'applaudis des deux mains et je dis "Encore !" à cette danse grossière; cependant, de par ma nature de vautour, je jouis de ne pas subir les conséquences réelles calamiteuses de ces gesticulations mondaines... Si je vivais parmi les humains, je serai exaspéré par la stupidité de mes semblables, leur tapage inepte permanent, et l'énergie gaspillée à appeler vainement à voter ceci ou cela, à tel point que je serais tenté de vivre en ermite, afin de me reposer l'esprit par de saines lectures, seule chose utile à faire en ces périodes où la crétinerie électorale domine toutes les discussions. Mais fort heureusement, je peux remercier ma vie de bipède ailé de m'avoir octroyé le privilège de la salutaire solitude depuis que j'ai quitté mon premier nid.

Flap flap. Mes longues ailes commencent à fatiguer, je retourne donc vers chez moi. Suivons les sentiers montagneux, on ne sait jamais, des fois que... Ah, voiiiiilà. Un mort en bas de la falaise. Tiens, un bout de papier a été laissé en haut?

"Adieu les fachos, j'en ai marre de votre monde pourri d'opportunistes décérébrés."

Comme je te comprends, digne voyageur des montagnes. Ton sacrifice ne sera pas vain. Le mort nourrit le vivant; demain, je volerai plus loin et plus haut.

Flap flap. Me revoilà dans ma tanière avec une belle réserve de cadavre. De quoi tenir au moins une bonne semaine.
 
P'têtre bien que je retournerai voir ce qu'il se passe chez les humains d'ici là.

mardi 25 juin 2024

À bas l'amour capitaliste, vive l'amour communiste !

(Problème des deux corps (2), la suite longuement attendue du premier opus)

Introduction – Qu'est-ce que l'amour

Il y a des gens qui n'auraient jamais été amoureux s'ils n'avaient jamais entendu parler de l'amour.
La Rochefoucauld, Réflexions ou Sentences et Maximes morales.

Le mot "amour" est tellement chargé d'idéologie qu'il serait vain d'en donner une définition au début de ce texte; cette définition risquerait d'être comprise à l'envers par un lecteur qui y injecterait à son insu ses préjugés, chose quasiment inévitable tant la littérature est infectée de représentation fausses de l'amour et tant chaque individu en a été bombardé depuis le berceau.

Face à un tel problème, certains philosophes ont eu la tentation d'en donner une définition abstraite totalisante. Tels furent le cas de Platon et Spinoza. Mais contrairement aux définitions idéalistes de Platon – chez qui l'amour est le mouvement qui fait tendre l'esprit humain vers l'idée du beau (discours de Socrate dans son Banquet) –, ou Spinoza – chez qui l'amour est la joie associée à l'idée d'une cause extérieure (dans son Éthique), nous ne donnerons pas une définition abstraite de l'amour qui permet de s'exonérer de traiter le problème de l'aliénation de l'amour au capital, ou pour résumer à grands traits, sa conversion-destruction en marchandise. Bien au contraire, il s'agit de sauter à pieds joints dans cet aspect de la merde capitaliste pour en exposer toutes les déterminations contradictoires afin de les réduire en miettes et s'en libérer. Schopenhauer avait raison d'accuser Spinoza de cacher la poussière sous le tapis en accolant à "amour" une définition abstraite qui l'exonérait de traiter l'épineux problème de l'amour en tant que traduction idéologique de son attirance sexuelle animale, chose si spécifique à l'humain. Son analyse pessimiste de l'amour comme piège biologique de la volonté du futur bébé humain qui consomme le désir des adultes et une fois ceci fait leur fait subir un vieillissement accéléré plus un chiard à élever, est valable à condition de la considérer comme une description, malheureuse du pessimiste pleureur mégalo qu'est Schopenhauer, de l'amour dans le mode de production capitaliste (dans lequel, en dépit d'une amélioration de la tolérance ces dernières années, les couples sans enfants apparaissent toujours comme suspects).

Nous partirons de l'aspect le plus trivialement "bien connu" de l'amour. Chez les plus benêts, l'amour est perçu comme quelque chose d'immédiatement connu. Il n'y aurait pas besoin de le penser, mais seulement de le vivre et le ressentir, ce que font d'ailleurs les imbéciles heureux avec toute chose, subissant béatement la chose avec passivité plutôt que de fournir un effort conceptuel et pratique pour agir activement sur elle. Mais, de par son caractère bien connu, ce bien connu est en réalité non connu (Hegel, Phénoménologie de l'esprit). En effet, le caractère supposément "bien connu" d'une chose nous empêche de nous interroger sur elle, et par absence de pensée consciente élaborant de la connaissance, s'auto-nie et en fait une chose non connue. Il en résulte, ce qui est pire que l'ignorance consciente d'elle-même, l'illusion de la connaissance qui produit toujours des représentations inversées de la réalité. Toutefois, pour s'affranchir de ce "bien connu" non connu, il faut l'analyser tel qu'il apparaît dans l'idéologie dominante et en démontrer son caractère contradictoire, afin de faire émerger rationnellement le concept vrai de la chose comme nécessaire. Ce n'est qu'après ces longs développements que l'on peut affirmer avec certitude une chose comme connue.

Ainsi donc, nous partirons de l'amour selon son aspect le plus trivial, mièvre, niais, pour ce qui est de la symbolique, incluant l'aspect juridique lié au contrat de mariage comme consécration sociale suprême de la niaiserie volontaire des individus formant le couple. Nous partons donc de l'aspect le plus triste de la restriction du "couple amoureux", en excluant volontairement l'amour filial (plus généralement familial), l'amour admiratif, l'amour amical, l'amour de l'art, etc., car la pensée bourgeoise dans toute sa médiocrité s'interdit toute totalisation. Platon et Spinoza, dans leur génie spéculatif (quoique la définition de Spinoza convient très bien au libéralisme libertaire consommatoire), avaient aperçu cette totalité mais de manière abstraite, sans donner les moyens concrets de l'atteindre en partant du réel. Il faut dire que, dans leur génie spéculatif idéaliste (conditionné par leur statut social privilégié qui les exonérait de s'inquiéter de leur subsistance matérielle), ces deux grands esprits étaient déjà affranchis des contraintes de pesanteur de l'idéologie dominante, ce qui a eu le défaut de les amener à penser tellement loin en dehors de celle-ci que leurs propositions étaient incapables d'affranchir réellement le plus grand nombre de cette prison idéologique en proposant un concept révolutionnaire de l'amour.

Comme toute chose en ce bas-monde, l'amour est conditionné par l'état de la lutte des classes, et sa forme idéologique dominante est celle de la classe dominante, constituée aujourd'hui par la bourgeoisie qui possède les grands moyens de production et d'échange. Les bipèdes ailés tenteront de donner une définition communiste de l'amour pour rendre ses ailes à Éros et le libérer de sa prison thanatique du capital.

En rappelant que le communisme n'est pas un idéal à atteindre, mais le mouvement réel d'auto-abolition  nécrologique du capital par ses propres contradictions dont l'élément positif concret qui le nie est l'émergence du prolétariat, nous essaierons à la fin de ce texte d'évoquer à grands traits à quoi peut ressembler l'amour communiste aujourd'hui, au sein du tumulte de la lutte contre le capitalisme – toute entreprise visant à inventer les marmites du futur communiste est vaine à ce jour.

La dé-finition communiste de l'amour ne pourra donc émerger qu'à la fin du développement de son concept.

1 Le mariage est l'aliénation de l'amour par l’État.

Dans nos pays de monogames, se marier c'est diviser ses droits de moitié, et doubler ses devoirs.
Arthur Schopenhauer, Parerga et Paralipomena.

1.1 Aliénation de la Loi par le Capital

Aliénation : rendre quelque chose qui était en soi extérieur à soi; expropriation (volontaire ou non) d'une valeur d'usage ou d'une valeur d'échange. L'aliénation a souvent lieu dans un processus d'échange: dans le processus d'achat, j'aliène mon argent en échange d'une marchandise qui a une valeur d'usage (c'est-à-dire une utilité concrète) – dans le processus de vente, c'est le contraire.

La bureaucratie étatique aliène l'amour au couple en échange de quelques garanties économiques pendant la durée du contrat du mariage, et règle aussi les rapports économiques après sa rupture. C'est donc en cédant l'amour à l’État que les deux membres du couples se déclarent unis par les liens pécuniaires du contrat de mariage, qui, fondamentalement, n'a rien de différent d'un contrat de vente. En effet, les deux individus se déclarent propriétaires l'un de l'autre (la propriété n'est rien d'autre que le droit de jouissance exclusive reconnue par l’État, et c'est exactement ce dont il est question dans le contrat du couple exclusif), aliénant ainsi la liberté de leur désir pour que l’État leur garantisse de l'argent et de la sécurité en échange implicitement d'un "réarmement démographique de la France" (Travail, Famille, Patrie, tout ça tout ça).

De même que toute loi n'a de caractère qu'essentiellement négatif pour réprimer et limiter la liberté humaine (si les humains l'appliquaient spontanément, cette loi serait superflue), de même pour le mariage qui, à grands traits, n'a réellement de sens que par le divorce aujourd'hui. On pourrait objecter que la Loi, tout comme le Mariage, procède de l'affirmation positive d'une volonté collective qui refléterait la volonté générale, dont le stade suprême de l'objectivité se vérifierait dans l'existence de l'État-nation. Telle est la pensée "républicaine" classique qu'on peut retrouver par exemple chez Hegel dans ses Principes de la philosophie du droit, voire même avant lui chez Rousseau dans son Contrat social. Toutefois, ces visions font abstraction du moteur de l'histoire: la lutte des classes, moteur essentiellement négatif. Ce qui se fait passer pour la "volonté générale" n'est en fait que le résultat de la volonté de la classe dominante, celle qui possède les grands moyens de production et d'échange, et qui façonne le monde politique à son image. Ainsi, dans une version parfaitement assumée de la domination bourgeoise, Voltaire le fortuné affirmait cyniquement que "L'esprit d'une nation réside toujours dans le petit nombre qui fait travailler le grand, est nourri par lui et le gouverne". La loi sert essentiellement à limiter le mouvement des classes dirigées pour qu'il reste bien dans le cadre de l'exploitation au profit de la classe dirigeante. Elle est donc bien négative. C'est pour cela que Marx avait prévu, à l'issue de l'affrontement ultime entre bourgeoisie et prolétariat, une phase transitoire où l’État prendrait la forme de la dictature du prolétariat, où celui-ci adopterait des lois répressives pour interdire à la bourgeoisie de reprendre le pouvoir, le temps d'opérer les transformations nécessaires de la première phase du communisme. Durant cette phase, avec la liquidation terminale de la bourgeoisie, les derniers conflits entre bourgeois et prolétaires finiront par s'apaiser, donc la négativité de cet État deviendrait progressivement superflue et serait remplacée par la libre association des producteurs qui s'auto-organiseront. Ainsi s'achèvera la préhistoire humaine constituée essentiellement de négativité.

De même que la Loi est essentiellement négative, il en va de même pour le mariage: il ne se définit que négativement, notamment par le divorce et les restrictions de liberté de l'amour, aliénation de laquelle les éléments du couple peuvent tirer un profit pécuniaire, légal et sécuritaire. En définissant l'amour exclusivement par rapport à son être-pour-autrui qu'est sa négation (surtout le divorce), il nie par là son être-pour-soi et auto-détruit sa substance – dans le meilleur des cas, il ne reste donc qu'un amour abstrait, formel, et donc faux (car non total), qui singe le mythe de l'amour du couple bourgeois idéal martelé depuis le berceau dans les divers contes et films ; dans le pire des cas, le mariage transforme l'amour en un spectre épuisé qui ne subsiste guère que par quelques lignes dans un contrat jauni par le temps, et les membres du couples finissent par à peine se tolérer dans leur fausse vie ennuyante.

1.2 L'institution comme support du mythe amoureux

La bourgeoisie, qui déclarait que l'amour était une "affaire privée", savait utiliser en fait ses normes morales pour guider l'amour dans la voie qui servait le mieux ses intérêts de classe.
[...]
Pendant des millénaires, une culture fondée sur l'instinct de propriété a inculqué aux homme la conviction que le sentiment de l'amour avait lui aussi, comme base, le principe de propriété. L'idéologie bourgeoise a fourré dans la tête des gens l'idée que l'amour, y compris l'amour réciproque, donnait le droit de posséder entièrement et sans partage le cœur de l'être aimé.
Alexandra Kollontaï, Marxisme et révolution sexuelle.

Dans sa mythologie ("et ils vécurent heureux, etc."), l'amour du mariage capitaliste est vrai... mais il est "vrai du capital", donc faux par essence, car tout ce qu'affirme le capital est faux. Cet amour est vrai du fétichisme de la consécration sociale nationale capitaliste. Au sein de cette idéologie dominante, les individus cherchent à se faire valider leur amour par le tampon de l’État tout comme un billet de banque a besoin de la validation de la Banque Centrale pour avoir le droit de servir de valeur d'échange. De même, nos fétichistes des diplômes se plaisent à frimer d'une performance passée de soumission volontaire à une autorité nationale universitaire bureaucratique. Tout amour qui cherche une validation national-capitaliste est donc faux par définition.

L'amour comme face idéologique de l'attirance sexuelle appartient à la sphère micro-sociale. Mais, dans un monde où toute l'existence humaine est soumise à la marchandise et à sa valeur d'échange, le capital a besoin de protéger les cellules familiales par un contrat reconnu par l’État, qui, une fois ceci fait, peut donner moult avantages pécuniaires directs ou indirects aux mariés (on pense à ces margoulins de profs qui planifient leurs mariages pour gagner des "points" dans les processus de "mutations" – "mutation" signifie déplacement de poste, par exemple un prof ne peut pas aller bosser en Corse facilement car il y a trop de demande, il a donc besoin de "points" pour se démarquer; le motif de "rapprochement de conjoint" offre un avantage considérable pour pouvoir muter où l'on souhaite). Le mariage n'est donc pas du tout un acte désintéressé d'amour, c'est au contraire une manière d'optimiser la non dilapidation du patrimoine familial.

Il faut bien remarquer que le "mariage d'amour" est une institution relativement récente. 

Pendant l'ère féodale, les familles paysannes étaient extrêmement solides parce qu'elles étaient le principal pôle de production matérielle: les outils, les vêtements, la maison, la nourriture, etc., tout cela était produit au sein même de la famille. Il y avait une division naturelle des tâches: l'homme allait faire les travaux physiques et la femme faisait les travaux qui nécessitaient moins de force, non pas parce que les mecs étaient spécialement machos (ça serait anachronique), mais parce que c'était une nécessité de survie (le machisme c'est la persistance idéologique de cette division des tâches alors qu'avec la technologie contemporaine, cela n'a plus aucun sens de diviser la quasi-totalité des travaux en fonction du sexe). Le modèle "éternel" de la famille était celui du mariage arrangé dans une perspective économique, parce qu'il n'y avait pas d'autre choix pour survivre. Dans ce cas-là, l'idée même de divorce était impensable, parce que se séparer de la famille, c'était synonyme de mourir de faim.

Avant l'avènement de la bourgeoisie pendant la Révolution Industrielle, de même que pour la paysannerie, chaque mariage noble ne servait qu'à arranger les politiques et économies des familles; il était de notoriété publique que les couples nobles ne s'aimaient pas et voyaient moult autres concubins et courtisanes pour éviter de se faire chier dans leur couple arrangé par leurs parents. Cependant, la noblesse ne maîtrisait pas l'art d'accumuler du capital comme la bourgeoisie, et dilapidait tout pour justifier symboliquement leur statut social de "privilégié" (les courtisanes, c'est pas gratuit). 

Mais, petit à petit, avec le développement de la production capitaliste, tout cela a été bouleversé, et même détruit. Dans Marxisme et révolution sexuelle Alexandra Kollontaï a démontré que le mariage d'amour avec les couples exclusifs était la forme familiale qui optimisait l'accumulation capitaliste. En effet, le noble ne comprend pas l'art d'accumuler du capital et dilapide tout en payant ses courtisanes, alors que le couple bourgeois qui s' "aime" peut accumuler le capital dans la cellule familiale sans le disperser. De plus, les bourgeois vont faire la morale en disant qu'il ne faut pas faire trop d'enfants... mais tout ça c'est juste pour éviter de disperser l'héritage, tout en faisant la morale aux pauvres qui se reproduisent toujours trop aux yeux des riches.
Par ailleurs, chez les paysans, il devenait de plus en plus rentable d'acheter des outils sur le marché plutôt que de les produire soi-même, et de plus, la paysannerie était de plus en plus contrainte de devenir la classe ouvrière, déplacée et bousculée sans cesse par la production capitaliste. Le modèle familial paysan s'est donc progressivement éteint (aujourd'hui plus personne n'entend parler de mariage arrangé par les parents en France). 

De là, le "mariage d'amour" et la "fidélité" apparaissent comme de fantastiques subterfuges idéologiques qui permettent de justifier moralement la non dilapidation de l'héritage et du patrimoine (ce qui n'empêche pas les familles les plus fortunées de faire des écarts plus ou moins cachés à cette règle tout en dénigrant publiquement ceux qui ne la suivent pas, évidemment).

Ainsi, alors que dans les sociétés archaïques, le patriarche aux multiples compagnes (déclarées ou non, par droit de cuissage ou non) domine, le couple exclusif marié apparaît comme la forme familiale qui optimise le mode de production capitaliste dans son ère industrielle, et son mythe de l'amour bourgeois est la forme idéologique qui lui correspond le mieux et la justifie moralement – c'est aussi pour cela que cette forme familiale a du plomb dans l'aile dans les vieilles démocraties capitalistes qui ont suicidé leur industrie, nous y reviendrons plus bas. On peut au moins reconnaître à cette forme historique de l'amour d'avoir progressivement évolué vers une égalité relative entre les hommes et les femmes (toutefois, dans sa version ultime, l'idéologie du capital s'accommode très bien revendications de second ordre comme le féminisme et l'écologie: le régime Macron a même fabriqué des ministères portant ces noms ; en revanche, un "ministère de la collectivisation des moyens de production par les travailleurs" serait impensable au sein d'un régime capitaliste).

À titre d'information, remarquons tout de même que l'évolution historique du mariage a changé de forme dans son aliénation. Les premières versions du mariage étaient là pour affirmer la domination patriarcale de l'homme sur la femme, en lui donnant d'énormes avantages juridiques sur son épouse. Difficile d'imaginer un amour vrai lorsque son époux entretient les mêmes rapports avec soi qu'un patron sur son ouvrier. Dans les dernières versions, l'amour a un caractère négatif égalisateur, puisqu'en cas de divorce, l'individu le plus riche du couple doit compenser la diminution du niveau de vie du plus pauvre en lui versant une prestation compensatoire. Le contrat de mariage apparaît donc comme une protection des membres les plus démunis en cas de non-amour.
Dans les deux cas, le mariage sert de prison économique et juridique en cas de non-amour, et sa réalité ne se fait sentir que ou bien pour optimiser avantages pécuniaires du couple en cas d'amour aliéné par le capital, ou bien lorsque l'amour a disparu (sous la forme de peine de mort pour la femme en cas d'adultère dans les sociétés archaïques, sous la forme de prestations compensatoires dans les sociétés modernes). C'est plus une différence de degré que de nature, et cette évolution ne nie en rien que le mariage détruit l'amour et le convertit en simple contrat de vente. Dans la société communiste, puisque la notion de "plus riche" ou "plus pauvre" ainsi que l'aléa économique sont annihilés, la notion même de prestation compensatoire devient superflue. Dans nos sociétés actuelles, il faut voir cela comme une micro-correction sur les inégalités qu'opère le capital, des "aides" justifiant la "théorie du ruissellement" (en réalité il s'agit de maintenir la paix sociale en donnant le minimum vital aux travailleurs, ce que le capital a toujours fait). Les communistes, plutôt que de corriger partiellement l'inégalité une fois qu'elle a déjà été opérée, la combattent en l'empêchant d'exister à sa racine (relire nos commentaires sur le programme du Nouveau Front prétendument Populaire).

1.3 Cas du couple exclusif non marié

Le couple exclusif non marié n'est pas bien différent du couple marié. Le couple exclusif non marié (et qui n'a pas vocation à se marier) pressent le problème d'aliénation qui a lieu dans le mariage, mais n'a pas réussi à en détruire le problème principal: celui de la jalousie.

Ici il ne s'agit pas de la jalousie en tant que peur d'abandon – chose commune à toute l'humanité dont la quête angoissée de reconnaissance traverse l'histoire bien au delà du mode de production capitaliste – mais de la jalousie en tant qu'angoisse narcissique pathologique de ne pas être l'unique objet d'attention et de désir de l'être aimé. La jalousie comme cas particulier de volonté de ne pas partager sa marchandise, d'avoir l'exclusivité sur la propriété d'une chose, ici l'objet de son désir. Puisque l'immense majorité de la population ne peut pas être propriétaire exclusif de grandes choses et envie ce privilège de la bourgeoisie, il leur faut, pour compenser ce manque, un droit exclusif sur quelque chose de grand: les sentiments et le corps d'un individu, fétiche phallique à peine dissimulé qui leur permet de refouler leur malheur dû à l'aliénation de leur vraie vie par le capital – un processus finalement très freudien. Derrière la détresse de leur sentiment de jalousie, c'est la détresse de leur individualité détruite et névrosée à l'infini par les frustrations du capitalisme qui s'exprime.

Le couple non marié singe le couple marié en prétendant s'en distinguer par l'absence de contrat étatique. Ce qui est déjà un pas vers l'émancipation, mais les couples qui durent sans finir par céder au mariage sont extrêmement rares; la plupart du temps, les individus enchaînent de manière industrielle les couples exclusifs non mariés dans leurs jeunes années, ils ne servent qu'à simuler avec plus ou moins de sincérité ce qui deviendra finalement "la bonne personne", "l'âme sœur", "l'autre moitié", ou autre vocabulaire sordide relevant de l'eschatologie la plus trivialement stupide.

La jalousie et le désir de possessivité singe inconsciemment la propriété capitaliste du corps et de l'âme de l'autre sacralisée par le mariage. Cet amour-là est donc restreint à sa version la plus bornée du couple exclusif dans son essence, sauf qu'elle en reste au stade du pacte de couple (implicitement ou explicitement énoncé par les deux parties) sans aboutir au stade suprême de la consécration nationale: le contrat de mariage du couple.

1.4 La séduction, publicité mensongère de la marchandise amoureuse

Dans toutes ces mascarades, la séduction apparaît comme le moyen communicationnel de mettre en évidence la valeur d'usage de son propre capital amoureux, afin de convaincre l'autre d'engager le contrat de vente (le mariage). La séduction n'est donc que la première partie chronologique de l'aliénation de l'amour par le capital. Elle agit exactement de la même manière trompeuse que la publicité, elle fait preuve de nombreux subterfuges. Alors qu'autrefois, il fallait convaincre rationnellement la famille de l'époux que le mariage était objectivement intéressant pour des raisons pécuniaires, dans le mode de production capitaliste, il faut mentir pour que la marchandise amoureuse apparaisse comme disposant de propriétés magiques. En cela, la marchandise de l'amour ne se distingue en rien de la marchandise capitaliste: son secret réside dans son fétichisme, qui lui seul permet d'opérer le saut-périlleux arrière de la marchandise et permet de convertir des valeurs d'usages incommensurables en valeurs d'échanges quantifiables et comparables comme une substance unique. Il faut attribuer une propriété mystique à cette étiquette contenant un chiffre, de là toutes les impostures à prétentions scientifiques des économistes bourgeois. Mais aussi, de là tout le marché publicitaire qui justifie la valeur d'échange en valorisant de manière falsifiée la valeur d'usage.

Cette opération de publicité de soi-même peut apparaître de manière plus ou moins raffinée. Pour ce qui est du "raffinement", la littérature romanesque dégueule d'exemples innombrables. Toutefois, si un bon vendeur peut nous convaincre d'acheter de manière très agréable et subtile et nous tromper sans heurter notre sens du goût, a contrario certaines publicités sont ultra agressives et grossières. Ainsi en va-t-il des siffleurs de rue, des gros lourds, mais aussi des comportements grotesques que l'on peut observer en "boîte de nuit" (ici au moins les deux parties sont consentantes pour perdre leur humanité) ou pire, sur des applications de rencontres qui procèdent à une mise en vitrine sordide de la viande à baiser élevée en batterie industrielle.  

Mais dans les deux cas, le résultat est le même: une fois le très excitant processus de séduction terminé, on se fait quand même sacrément chier, puisqu'on découvre la réalité tristement banale et ennuyante que l'individu cachait derrière son masque de séduction.

2 Critique de l'amour gauchiste
2.1 "ou bien le plan cul, ou bien le couple"

Certains libertaires anarchisants ont donc pensé qu'il était plus malin de préférer multiplier les "plans culs" par rapport à l'ennuyeux couple capitaliste. Leur vie ne se résume qu'à une seule doctrine: jouir sans entraves, sans se soucier de rien d'autre ni des sentiments de l'autre. Le plan cul est la forme cybernétique ultime du capital, la destruction de tout ce qui est beau et humain dans l'amour, la déshumanisation de soi et de l'autre dans un acte purement bestial.

Chez l'humain, la biologie n'est pas que biologie. La biologie humaine est déjà sociale et spirituelle – non pas au sens religieux, mais scientifique du terme: des expériences ont montré que des bébés humains auxquels on donne les apports nutritionnels nécessaires sans lien affectif (le social) et langagier (le spirituel au sens d'extension du conceptuel) dès les premiers jours finissent immanquablement par se laisser mourir. De même, faire l'amour est infiniment plus riche et spirituel que baiser pendant un plan cul, où il est fait abstraction de toute tendresse et admiration du corps de l'autre comme sujet. Lors du plan cul, on ne fait pas l'amour, on pénètre un bout de viande considéré inerte qui est délaissée comme une marchandise usée après quelques coïts pour passer à la suivante. C'est le stade ultime du libéralisme libertaire où la jouissance immédiate est poussée à son stade ultime pulsionnel qui nie toute pensée; l'individu est réduit à la pure "machine désirante" sans esprit de Foucault et Deleuze les libéraux, et l'acte d'amour se réduit finalement à de la robinetterie triviale. Le plan cul est la destruction achevée de l'amour par le capital dans son stade le plus dépravé et décadent. La biologie humaine est annihilée par cet acte cybernétique en dessous de la bestialité, ces plans culs ressemblent plus à l'expression de pulsions de morts qu'à des actes d'amour. Le plan cul est l'assassinat d'Eros par Thanatos, héros du capital. L'érotisme est nié et est converti en pornographie "live", à tel point que nos esprits égarés par la pornographie omniprésente du capital sont devenus incapables de distinguer l'érotisme de la pornographie. Cela a des répercutions catastrophiques sur la vie sexuelle des plus jeunes, dont la construction a été bousillée à la racine.

Le plan cul est en outre facilité par plein de dispositifs disposés par le capital, que ce soient les boîtes de nuit ou les applications de rencontre, lieux conçus pour que s'exprime la bestialité cybernétique du capital, qui a converti le désir en marchandise dont la liste des valeurs d'usages est directement mise à disposition des consommateurs (taille, âge, genre.s.x, passions, etc.), tuant ainsi l'aléa réel de la rencontre et le convertissant en des algorithmes qui optimisent les profits de ses patrons en détruisant l'amour de ses clients victimes. Ainsi, tous ces bipèdes privés d'ailes par la pesanteur de Thanatos "swipent" des profils de manière frénétique et addictive, dans une masturbation infinie de son petit écran qui est devenu une prothèse machinique de soumission volontaire au divin marché des réseaux asociaux. Ces réseaux nous ont rendus non seulement jamais aussi connectés, mais aussi jamais aussi seuls (un autre article serait nécessaire pour détailler ce paradoxe). De même, les individus réduits à des machines désirantes dont il faut régler les problèmes de robinetterie, n'ont jamais été aussi seuls sentimentalement qu'en utilisant ces gigantesques marchés de destruction de l'amour. C'est d'ailleurs ici que la séduction atteint son paroxysme comme destruction de l'amour, quand ces pauvres privés d'amour s'affichent sur les vitrines des grandes surfaces numériques du capital.

Sans s'en douter, nos culs en plans font preuve d'un conformisme navrant dans leurs premières années de jeunes adultes, en baisant dans tous les sens, "sans sentiments", pour "profiter", et lorsqu'ils ont fait une indigestion à force de tremper leur beignet dans mille sauces différentes, ils finissent gentiment par se ranger dans un petit couple à mourir d'ennui, qu'ils appellent "relation SÉRIEUSE" (ils vont jusqu'à revendiquer de se faire chier, et ce y compris dans leurs critères de recherche sur les applications de rencontre!), se marient, font des chiards, achètent une maison, un chien ou un chat, et partent dans leurs petites vacances navrantes dans leur voiture "espace", et cela indéfiniment jusqu'à ce que les chiards grandissent, et après cela, face au vide existentiel, ou bien finissent leur vie en se faisant chier devant les "scènes de ménage" sur M6 en s'auto-moquant narcissiquement d'eux-mêmes, soit prennent le courage de divorcer, sortant ainsi de plusieurs décennies de torpeur existentielle.

La pensée binaire cybernétique du capital enferme donc toute relation qui inclut de mettre la saucisse dans le sandwich dans deux cases uniques: ou bien le plan cul, ou bien le couple exclusif. La pensée bourgeoise bornée ne peut concevoir autre chose, et dans son stade d'ignorance totale, affirme avec d'autant plus de certitude qu'il n'y a que ces deux possibilités-là. Et cela serait vrai si le capitalisme était un mode de production éternel non animé par une lutte des classes terrible qui l'amènera inexorablement à sa chute: dans la vision restreinte à ce mode de production, en effet ces deux variants sont les seuls réellement possibles; cependant, décrire le mode de production capitaliste comme éternel est totalement inexact – cela n'empêche pas les économistes libéraux de l'affirmer à longueur de temps, ils sont payés pour cela. De même, restreindre l'amour dans ces deux versions falsifiées est un clou supplémentaire enfoncé dans le cercueil de la pensée critique. Mais la lave bouillante du volcan de la lutte des classes est plus forte que ces misérables petits clous rouillés, la crise du capital se fait de plus en plus sentir, et les deux pôles de la pensée binaire du capital ont de plus en plus de mal à justifier leur réalité.

Ainsi, déjà aujourd'hui, il existe des formes d'amour qui se présentent comme des alternatives à la binarité bourgeoise.

2.2 Polyamour, couple libre, et autres foutaises gauchistes

Certains libertaires, très souvent de gauche, ou alors de grands bourgeois ayant les moyens d'acheter ce genre de possibilités pour paraître plus "branché" et "disruptif", se sont donc pensés plus malins que les précédents en inventant diverses manières de vivre des relations amoureuses, qui se présentent comme alternatives à l'amour capitaliste.

Et ils sont effectivement plus malins que les autres. Premièrement, parce qu'au sein du règne hégémonique de la binarité cybernétique du capital, il faut une certaine audace pour braver ce carcan de l'amour et oser tester différents modes d'amour; avec ce genre d'essais, on est très souvent confronté à l'incompréhension face à la non-pensée détruite par la propagande dominante ("ou bien le plan cul sordide, ou bien la relation sérieuse chiante du couple exclusif"). Cependant, cette rebellitude est souvent une posture confortable de transgression qui, au fond, ne révolutionne pas grand chose.

Cette "dépravation" sexuelle et relationnelle généralisée (vue la forme bourgeoise minable de l'amour de laquelle on part, le terme "dépravation" n'est même pas un reproche...) ne procède que de l'état de dépravation et de décadence des vieilles démocraties capitalistes, seuls lieux où l'on observe réellement ce genre de pratiques, de plus en plus fréquentes au sein de la petite bourgeoisie intellectuelle branchée. La désindustrialisation de ces vieux pays et le partage en couille généralisé de leurs économies, politiques, idéologies, a fait partir en couille leurs mœurs et a fait perdre le sens de la famille bourgeoise traditionnelle. Ainsi, puisque toute idée de grandeur supra-individuelle a disparue, il ne reste aux petits bourgeois désorientés que leurs yeux pour pleurer et leur narcissisme à satisfaire. Face à leur désir sexuel qui a perdu sa spiritualité nationaliste bourgeoise, ces pauvres gauchistes cherchent diverses justifications morales et idéologiques pour satisfaire leur libido débordante. C'est alors que foisonnent de multiples formes amoureuses individualistes (ainsi le "polyamour", les "couples libres", "pansexualisme", et moult autres variants qu'il serait vain de tenter d'énumérer, le temps de le faire, de nouveaux seraient inventés). Ces formes amoureuses alternatives n'ont aucune autre justification qu'elles-mêmes, procèdent de la pensée circulaire de l'amour comme valable en soi et pour soi, et comme pure satisfaction optimale de ses besoins sexuels et sentimentaux. On justifie une forme amoureuse parce que sa subjectivité narcissique pathologique "le ressent ainsi", et cela suffit comme justification. Ces gauchistes-là n'ont donc guère de différences avec les imbéciles heureux qui se contentent de subir leurs ressentis; bien souvent, ces formes amoureuses s'opèrent par conformisme avec leur groupe d'amis désorientés, car elles se présentent comme une manière plus optimale de satisfaire ses pulsions libidinales et ont même parfois l'intérêt d'offrir des relations sentimentales plus riches car inédites.

Ce genre de formes amoureuses alternatives a souvent lieu chez les plus jeunes gauchistes (abstraction faite de la très grosse bourgeoisie décadente ultra minoritaire). Mais, lorsque ces jeunes gauchistes prennent de l'âge, la pression matérielle de la vie se fait sentir. L'insertion dans le marché du travail et les responsabilités matérielles exercent une trop grande pression sur les individus pour leur laisser le temps et l'énergie de faire des expériences amoureuses alternatives comme lorsqu'ils étaient jeunes. Alors ils finissent tous par se contenter d'un conjoint moyen, se marier, avoir des gosses, acheter une maison qui sera le tombeau de leur vraie vie définitivement révolue (et aussi renoncer à leurs idées de jeunesse et voter sagement Macron après avoir été trotskyste ou anarchiste). Et éventuellement divorcer après s'être rendu compte de la vanité de tout cela.

Dans la régression constante des vieilles démocraties capitalistes, on observe depuis un peu plus de dix ans une chute de la démographie. Le nombre de divorces explose. Les mariages sont de plus en plus rares et on lieu de plus en plus tard dans la vie. La culture et la maturité générales régressent à tel point que les individus restent des adolescents pratiquement toute leur vie. La dépravation amoureuse subjectiviste narcissique apparaît comme une forme de repli sur soi des individus face à l'immense désorientation que provoquent les crises économiques, politiques, et (donc) spirituelles des vieux états capitalistes dépravés et décadents, dont l'auto-destruction est la seule issue possible.

Il est important de mentionner que les individus exerçant ces formes alternatives d'amour le font sans nécessairement prendre conscience du cadre historique dans lequel cela s'impose et subissent leurs tests d'amours alternatives plus qu'ils n'en sont acteurs conscients – ce fut le cas de vos serviteurs ailés il y a de nombreuses années, lorsqu'ils avaient encore un peu de duvet à la place de ces vieilles plumes abîmées par les tempêtes passées. Dans les vains tumultes des amours alternatives, au fond, il en va surtout de problèmes subjectifs et subjectivistes, marque du repli narcissique des individus face à la dépravation généralisée du monde. Il faut dire que de manière très générale, depuis la chute de l'URSS, ce qui donnait du sens à la lutte contre le capitalisme a majoritairement disparu des esprits critiques, et donc nos jeunes rebelles d'aujourd'hui n'ont plus que des revendications négatives.

Mais sans affirmation positive du communisme, le capitalisme ne sera jamais détruit et les anarchoïdes rebelles dépressifs sont condamnés à errer indéfiniment dans leur narcissisme malade.

3 La libre association, l'amour communiste

Dans cette société nouvelle, collectiviste sur le plan spirituel et émotionnel, Éros occupera, sur fond d'unité joyeuse et de fraternité de tous les membres d'une collectivité travailleuse et créatrice, une place d'honneur, en tant que sentiment apte à décupler la joie des hommes.
Alexandra Kollontaï, Marxisme et révolution sexuelle.
3.1 Construire le communisme

La totalité de la vie humaine est conditionnée par le mode de production dont le mouvement réel est conditionné par la lutte des classes. Il en va donc de même pour l'amour. Ainsi, penser l'amour en faisant abstraction de l'état du rapport de force entre bourgeoisie et prolétariat n'avance pas à grand chose. Tel était le cas de notre texte de jeunesse de fin 2016, tel est le cas de toutes les formes d'amour exposées dans les sections précédentes.

Pour reconstruire le communisme, il faut sortir des égarements dans lesquels la gauche (il nous faudrait critiquer cette notion de "gauche" un jour) s'est enfermée, et dont le capital jubile aujourd'hui. Ces égarements se résument en diverses stratégies d'évitement du problème de fond, depuis la chute de l'URSS, le communisme comme victoire positive contre le capitalisme a été refoulé au sein de la pensée critique (même certains partis trotskystes, comme le NPA, ont refoulé le communisme comme des "tendances" intérieures à leur mouvement, qui elles-mêmes forment des scissions infinies, bref, le trotskysme dans toute sa splendeur clownesque). Depuis ce refoulement, la plupart des forces à prétentions progressistes ont perdu l'espoir de sortir véritablement du capitalisme, et partent dans des théories un peu fumeuses que le capital n'hésite pas à financer à l'université: intersectionnalités, écologismes, études ultra abstraite du marxisme (où souvent on va déterrer le "jeune Marx" gauchiste en mettant en exergue des textes non publiés et en prenant bien soin de ne pas tenir compte de ce qu'il a publié de son vivant), théories du genre, etc. Cela nous évoque un bon calembour: vous connaissez la différence entre la théorie et la pratique ? Eh bien, en théorie, il n'y en a pas.

Le capital peut donc dormir sur ses deux oreilles avec une gauche qui se présente ou bien comme réactionnaire en répétant religieusement les textes de Marx sans appliquer sa méthode pour comprendre le présent historique et se vautre lamentablement dès qu'il s'agit d'analyser des situations concrètes telles que la nocivité de l'Union Européenne pour les travailleurs (tels les partis comme LO), ou d'autres partis gauchisants qui prennent bien soin de ne jamais parler de la lutte des classes comme moteur principal de l'histoire, mais se focalisent indéfiniment sur des luttes de second ordre (féminisme, "théorie" du genre, écologie, intersectionnalité, zèbres...) sans en faire une lecture de classe. On voit en le résultat minable aujourd'hui.

Pour construire positivement le communisme, il faut cesser toutes les pleurnicheries, notamment dans le syndicalisme contemporain où il n'y a que des revendications négatives ou infaisables (le programme du NFP en est un cas d'école).

Concrètement, il y a certains grands axes d'affirmations positives irrécupérables par le MEDEF ni l'extrême droite qui doivent faire partie des revendications principales de tout militant communiste. Partant du principe que notre existence se produit socialement, la théorie communiste part du principe que l'homme est un animal socialisant par essence. La valorisation sociale égalitaire par le travail et l'arrêt de son aliénation par le capital est l'axe ontologique principal de la théorie communiste. De manière très succincte, un programme communiste aujourd'hui pourrait contenir cette série de mesures positives (à ajuster en fonction des circonstances historiques):

- Sortie de l'UE et de l'Euro. Création d'une monnaie nationale gérée par des caisses de cotisations (voir plus bas). Nationalisation et fusion de toutes les banques en une banque nationale unique. Gestion de cette banque par des syndicats de travailleurs élus et révocables, en étroite collaboration avec le gouvernement.
- Sortie de l'OTAN. Renégociation de tous les traités internationaux diplomatiques et commerciaux sur des bases internationalistes et communistes. Refonder la diplomatie française sur des bases de non-alignement aux empires et d'auto-détermination des peuples.
- Expropriation de la propriété foncière et attribution des revenus fonciers à l'État. Saisir tous les logements vides et les convertir en logements sociaux.
- Suppression de l'héritage au delà d'une certaine valeur monétaire du patrimoine.
- Augmenter significativement les salaires ainsi que les cotisations pour créer des caisses d'investissement et de salaires gérées par des comités élus et révocables de travailleurs.
- Interdire l'existence des dividendes des actionnaires; interdire tout revenu supérieur au salaire maximum des travailleurs.
- Obligation pour tous de travailler pour la collectivité; diminution progressive de ce temps de travail. Réduction significative des écarts maximaux de salaires. Aménagements salariaux respectant la dignité pour ceux ne pouvant que partiellement ou pas travailler.
- Investir massivement dans la production et la recherche d'énergie nucléaire (fission et fusion).
- Sur cette base-là, créer un commissariat de la planification industrielle pour rattraper notre retard sur les secteurs stratégiques, notamment en informatique.
- Exproprier les grands propriétaires de moyens de production; nationalisation dans un premier temps, sans aucune contrepartie financière pour les actionnaires ni les grands propriétaires, envoyer l'armée si nécessaire. Céder progressivement ces entreprises à un contrôle par les syndicats.
- Augmenter la partie non marchande de la production de services, non seulement pour la partie déjà existante (soin, instruction, services publics déjà existants), mais en outre sortir du marché d'autres secteurs (transports en commun, consommation privée d'énergie jusqu'à un certain point, alimentation, etc.), dans un premier temps par une nationalisation et un plafonnement des prix, puis transition progressive vers la gratuité via l'augmentation des cotisations sociales. Cette partie non marchande est gérée par des comités de travailleurs élus et révocables. Donc notamment, suppression des corps d'inspections pour les professeurs, remplacement par les syndicats.
- Abolition de l'armée et de la police au service du capital. Création d'une police et d'une armée populaires sur base du volontariat, avec une formation exigeante tant physique qu'intellectuelle; l'armée et la police se voient augmentées de missions d'intérêts généraux qui sortent de la pure répression ou défense nationale (par ex. nettoyage des rues, pompiers, aide aux personnes handicapées, etc.). Augmentation du budget de l'armée.
- Rendre l'instruction manuelle, sportive et intellectuelle obligatoire et égalitaire pour tous les jeunes, et gratuitement accessible pour tous à tous les âges. Refonder tous les programmes scolaires pour préparer les individus au communisme.
 

Tel quel, hors de son contexte et dans un article qui n'était pas censé traiter du communisme en tant que tel, une telle liste apparaît comme totalement utopique, mais permet au moins de donner une boussole pour orienter la pensée du politique, puisque le politique conditionne la vie en général (si vous ne vous occupez pas de politique, le politique s'occupera de vous sans vous demander votre avis).

3.2 Prémisses de l'amour vrai au sein de l'amour faux

Dans l'individualisme bourgeois, il est remarquable de constater que "la famille, et en particulier mon amour, passe avant mon travail". Tant qu'ils n'en viennent pas à mourir de faim (et encore!) la réussite et la satisfaction micro-sociale d'amour passe avant la totalité politique, qui pourtant les détermine matériellement à pouvoir exister plus ou moins sereinement dans cet univers micro-social. Cette manière fausse de vivre est vraie dans le capital, car en effet, l'accumulation de merde que constitue le rapport capitaliste est si répugnante que tout ce qui permet d'y échapper dans le micro-social semble meilleur. Mais pourquoi cela semble-t-il meilleur?

Parce que l'amour, ou on pourrait dire son expérience vécue subjectivement comme réussie dans un premier temps, c'est le communisme réussi à l'échelle micro-sociale. En dépit de toutes les aliénations de l'amour par le capital, on peut lire dans l'amour des premiers temps la réussite d'une expérience micro-sociale où tout se partage en transparence, qu'il s'agisse des plaisirs, de l'intimité, mais aussi des tâches pénibles, et in fine d'une partie du patrimoine. Même au sein de l'aliénation du capitalisme, l'amour peut être compris au moins partiellement comme une réalisation effective du communisme à très petite échelle.

En réalité, lorsque deux individus amoureux vivent l'expérience subjective la plus agréable de leur vie, c'est le communisme à l'échelle micro-sociale qu'ils aiment, sans le savoir. "Le communisme est le naturalisme achevé", écrivait Marx. Mais comme le capital annihile l'humanité générique des travailleurs, ceux-ci refoulent leur énergie dans des expériences subjectives micro-sociales au sein desquelles ils peuvent réaliser partiellement leur humanité sans que les entraves capitalistes ne vienne trop les déranger dans un premier temps; ainsi l'amour se restreint à la famille, au conjoint, et à de rares amis proches (ce qui en soi est déjà une extension du concept d'amour par rapport à la définition bourgeoise bornée du couple), parce que le capital n'a pas encore tout dévoré dans l'humanité. Pourtant, on peut remarquer que cette restriction micro-sociale de l'amour ou l'immédiatement proche est préférable à l'autre correspond parfaitement bien à l'état économique de concurrence entre tous, où toute altérité est vue a priori comme une force ennemie à détruire. Le stade ultime de cette idéologie est le racisme. Le Pen père disait lui-même sur les plateaux télé qu'il est normal que je préfère ma femme à mon voisin, mon voisin à mon concitoyen, mon concitoyen à l'étranger.

Le communisme est donc la nature humaine sociale égalitaire pour l'instant inachevée de par l'entrave capitaliste. L'amour n'est qu'une conséquence logique de la réalisation du communisme, pour l'instant restreint à de très rares moments à l'échelle à peine inter-subjective. Avec le progrès du communisme, l'amour gagne en intensité et en extensivité, et ce d'autant plus qu'à un moment donné de la lutte des classes victorieuse, s'opère une inversion logique et pratique.

3.2 L'amour comme résultat effectif du communisme victorieux

Cette inversion, Alexandra Kollontaï l'a théorisée et observée (dans Marxisme et révolution sexuelle) au sein du prolétariat de la jeune Union Soviétique victorieuse. En effet, alors que dans la société capitaliste, la priorité est donnée à la vie subjective du micro-social et de la réussite personnelle contre tous les dangers terribles du monde capitaliste, au sein du prolétariat victorieux, c'est le contraire qui est vrai. Au sein même des subjectivités des travailleurs, la construction positive et victorieuse du communisme devient prioritaire sur la réussite purement individuelle. Car les individus prennent conscience du caractère social de leur existence et désirent participer à la totalité. Cela ne supprime en rien leur subjectivité ni leur épanouissement personnel, mais leur donne une autre forme. Les relations amoureuses finissent par aller de soi, au sein de la lutte contre le capitalisme et la construction du communisme. C'est dans cette totalisation humanisante que des individus peuvent se rencontrer et s'aimer. De même que les producteurs décident librement de s'associer pour produire leur existence, de même des individus décident librement de s'associer pour vivre des expériences subjectives et sexuelles, ainsi que pour élever de futurs petits communistes, etc.

Mais avec la disparition de la propriété privée des grands moyens de production, disparaît du même coup la nécessité du mariage, et donc du couple exclusif. Cela aussi Alexandra Kollontaï en avait observé les prémisses dans la jeune société communiste. La nécessité de conserver le patrimoine au sein d'un couple s'étant annihilée, la possessivité et le désir d'exclusivité finissent par disparaître d'eux-mêmes. De même, l'amour et même l'acte sexuel seront dédramatisés et moins vécues comme des expériences traumatiques (notamment au moment des ruptures), puisque l'amour ne sera plus une ressource rare objet d'une terrible concurrence, mais l'état normal de l'abondance du communisme.

Évidemment, dans un premier temps, tout cela est fort difficile, en plein tumulte de la lutte contre le capitalisme. En effet, les formes idéologiques et les pulsions capitalistes mettront du temps à disparaître. Il est très vraisemblable qu'aujourd'hui, même un communiste sincère pâlira d'angoisse s'il découvre ne pas être l'unique objet de désir de son conjoint. Pourtant, cela entre en contradiction avec les principes d'abolition de propriété privée et l'absence de nécessité économique de l'exclusivité du couple dans le communisme. Mais ce dernier élément lui-même entre encore en contradiction avec le fait qu'aujourd'hui, jusqu'à preuve du contraire, on vit encore dans le capitalisme, et que l'immense majorité de nos concitoyens adoptent encore le modèle du couple exclusif et qu'il sera extrêmement pénible de leur expliquer notre manière éventuellement différente de voir les choses. Alors quoi, on cède à la facilité et on abdique l'amour au capital? Dilemme quasiment impossible aujourd'hui (toutefois les bipèdes ailés ont choisi leur camp depuis fort longtemps).

À peine a-t-il reconstruit de jeunes ailes fragiles, qu'Éros doit tenter de maintenir le cap en plein milieu d'une tempête! De même que les premières expériences communistes, Éros subira plusieurs échecs dans ses tentatives de s'envoler. Il est vraisemblable qu'Éros mettra plusieurs siècles avant de pouvoir maintenir solidement son cap.

Il ne faut toutefois pas être pessimiste, que ce soit à l'échelle d'une vie humaine ou même à long terme. En effet, même à l'échelle d'une vie humaine, le tumulte, le fracas, l'angoisse, et les échecs de ces expériences subjectives ratées des diverses tentatives d'amour communiste constituent le long chemin vers l'amour vrai – a contrario, la réussite de l'amour vrai du capital consacre la fausseté de cet amour (de la marchandise). De nombreuses leçons peuvent en être tirées. À l'échelle historique, au sein de laquelle la durée d'une vie humaine n'est qu'un battement de cils, les choses évolueront dans le bon sens. Au fur et à mesure que le communisme s'affermira, la jalousie disparaîtra progressivement et les individus feront preuve de moins en moins de hargne lorsqu'ils ne seront plus l'objet exclusif du désir de leur conjoint; d'abord parce que cet aspect de leur vie leur apparaîtra comme secondaire par rapport à la construction du communisme et comme mis en perspective de la totalité sociale du groupe communiste. 

Ensuite, il est vraisemblable que la définition même de l'amour gagne en extensivité. L'amour universel de l'humanité finira par supplanter l'amour restreint à une micro-poignée d'individus. En effet, si dans le capitalisme, la globalité de l'humanité se présente comme un énorme gros tas de merde malade, dans le communisme, l'humanité victorieuse sur elle-même apparaîtra comme absolument admirable. L'amour d'un individu se présentera comme un cas particulier de l'amour de l'humanité, et le communisme se présentera alors comme l'humanisme achevé. De là, rien ne semble indiquer qu'aux yeux d'un individu, un seul individu puisse surpasser tous les autres en évaluation subjective de valeur, et donc rien de logique ne semble imposer l'exclusivité. Mieux, il est vraisemblable que les individus éprouveront de la joie de constater que leur être aimé puisse prendre du plaisir avec quelqu'un, puisqu'eux-mêmes ne seront pas en manque affectif.

Une objection classique constitue le fait d'élever des enfants; après tout, l'engendrement biologique d'un individu se fait à partir du corps d'une femme fécondée par le corps d'un homme (pas désolé pour cette balle perdue, les idéologues du genre, on en reparlera dans un prochain article, peut-être). Cela est biologiquement vrai, mais socialement faux. Même s'il est indéniable que le bébé humain  a biologiquement un rapport social privilégié avec sa mère pendant les premières années, le bébé humain est en vérité élevé par la société toute entière, qu'il s'agisse de crèches et autres services publics, mais aussi les oncles, les grands-parents qui aident les deux parents largement submergés et rendus souvent dépressifs par la quantité considérable de travail que demande d'élever un jeune enfant. Au contraire, avec des familles étendues à plus de deux individus, dans une stricte liberté d'association et décision d'éducation collective, il est vraisemblable que l'éducation du jeune individu soit grandement facilitée. Bien qu'il soit vraisemblable que l'enfant garde provisoirement une mère et un père, la force symbolique de domination totale de ces deux éléments sur l'enfant finira par diminuer avec le temps et se diluer au sein des individus affectivement proches des pères et mères biologiques.

De telle sorte que la famille, telle que conçue par la bourgeoisie pour optimiser l'accumulation familiale de capital, sera naturellement abolie par le communisme.

4 Conclusion

Au fond, puisque l'amour apparaît comme une conséquence logique du communisme, militer pour un amour communiste est vain, autant militer directement pour le communisme tout court, on perdra moins de temps. Oui, tout ça pour dire qu'en fait on s'en fout pas mal de l'amour, c'est secondaire par rapport à la lutte des classes contre le capital. On peut trouver des communistes sincères en couples exclusifs, voire même mariés, vu l'état d'avancement catastrophique du communisme, franchement, on n'est pas à ça près. Fidèle au principe de priorité de la lutte des classes par rapport à son petit confort inter-subjectif, les bipèdes déclarent qu'il vaut mieux un type marié qui a bien lu le Capital qu'un anarchoïde écolo polyamoureux – même si finalement, à aucun des deux les bipèdes ailés ne reconnaissent le caractère réellement communiste!

Donc, vive l'amour communiste, mais d'abord et surtout, vive le communisme!

Les bipèdes ailés