jeudi 4 juillet 2024

Du vieux vautour contemplant les villes

En ce matin d'été, l'air frais siffle au dessus de ma tanière rocailleuse. Mon grand âge m'incite souvent à y rester par prudence, mais j'ai grignoté les derniers os du vieux cadavre en putréfaction que je conservais à mes côtés. Cette odeur de fermentation grisante me manque, alors je profite du beau temps pour m'élancer dans les airs, cherchant un autre repas.

Flap flap. Aujourd'hui, l'air est bon. Je prends rapidement de l'altitude en dépit de mes forces moindres que dans ma jeunesse, compensées par ma longue expérience du vol plané.


Depuis longtemps que je contemple les vallées, je n'ai compris que trop bien les habitudes des humains. Depuis quelques semaines, cette plèbe s'agite et m'amuse beaucoup, alors je ne résiste pas à retourner les voir avant de me concentrer sur la recherche de cadavre putride. On parle beaucoup d'élections ces derniers jours, cet ancien rituel par lequel ces bipèdes sans ailes consacrent leur soumission volontaire à cette vieille démocratie libérale qui les tue à petit feu. À petite dose, le spectacle de la marchandise électorale me divertit lorsque je m'ennuie à tourner en rond dans le ciel. Allez, pourquoi ne pas y jeter un œil pour une fois, mon estomac peut bien attendre quelques heures.

Flap flap. Les émanations de gaz des villes sont certes désagréables mais donnent des courants ascendants réguliers qui permettent de contrôler ma trajectoire presque sans efforts. Je peux bien tolérer cette odeur nauséabonde le temps d'une petite contemplation en direct du spectacle de la marchandise électorale. 

Oh oh oh, comme ils sont drôles, ces pauvres humains. À peine le premier tour des législatives est-il terminé qu'ils nous ressortent le coup du "barrage"! Ce prétendu barrage contre l'extrême droite est beaucoup moins efficace que celui de mes petits camarades castors qui eux, savent au moins retenir de l'eau par des constructions ingénieuses. Depuis plus de vingt ans que les chefs du libéralisme agitent le même fétiche de l'extrême droite, donnant la peur comme seul motif de vote à ces pauvres créatures qui marchent sur leurs jambes, icelle ne fait que prendre de la force politique et symbolique. Et ne voit-on pas ce spectacle burlesque de la gauche et du centre qui, tout en prétendant se combattre mutuellement, cèdent leurs places pour permettre à leur petit camarade de gagner contre l'extrême droite. Fabuleux stratagème pécuniaire pour garantir plus de sièges à l'Assemblée et donc plus de brouzoufs émanant de l'État pour leurs partis respectifs, tout en se drapant d'une belle morale républicaine qui ferait presque envier les castors si leur pragmatisme légendaire avait quelque défaillance. 

On a même ce bon vieux Eddy qui cède sa place au Parti Capitaliste Français (PCF). Ce n'est qu'un juste retour d'ascenseur, tant on se souvient que Bébert, ancien chef de ce même parti, avait appelé à voter Macron en 2017 au premier tour (qui nomma alors Eddy premier ministre). Ce petit jeu de ping-pong a beau être prévisible et répétitif, il n'en demeure pas moins toujours aussi drôle. 

Flap flap. Changeons de quartier et écoutons les émissions émanant des foyers des plus hauts immeubles. Tiens, qu'entends-je? Le Nouveau Parti Anticommuniste (NPA) a également rejoint le prétendument Nouveau Front prétendument Populaire. Le manque d'ambition politique de son programme pourra avoir été compensé par l'idéologie hitléro-trotskyste de soutien militaire à l'Ukraine, que ces clowns ont eu l'audace de qualifier de "lutte pour la paix", ainsi que son soutien à l'UE. Il est fort amusant que presque 30% des votants furent dupes de ce genre d'énormité. Mais bon, plus c'est gros plus ça passe... et en tout cas cela aura suffi à faire accourir ces petits trotskystes déprimés tant c'est conforme à leur idéologie délicieusement fétide.

Mais qu'entends-je? Ne serait-ce pas le vrombissement rutilant du scooter de Hollande, qui se serait précipité hors de sa niche dès lors qu'il a entendu l'appel de la soupe? Il a même été suivi de près par le collant Super-Glucksmann, l'agent de l'OTAN qui conseille les dictateurs libéraux de Georgie, et le visqueux DSK, qui, on le sait, s'intéresse beaucoup aux sort des femmes de ménage, tout en détruisant les économies des pays d'Afrique depuis le FMI. Même BH Heil appelle au barrage. Ceux-là même qui ont fabriqué le parti au pouvoir depuis plus de sept ans, qui croient-ils tromper en allant à gauche en opposition à La France En Marche? Pardon, juste En Marche, "La France en Marche" c'était le parti de Pétain. Difficile de s'y retrouver... Oh, mais, attendez. Non?!? Ces créatures qui marchent sur leurs jambes me surprendront toujours. Hollande est arrivé en tête de sa circo. Ah ah ah ah ! Bipèdes sans ailes, aujourd'hui vous me divertissez beaucoup.

Ce ballet est vraiment hilarant, je n'avais pas autant ri depuis longtemps. Pourtant, en dépit de ces masques dignes des grandes comédies burlesques, la plupart des humains sont dupes. À force de les observer, j'ai fini par comprendre que la seule leçon de l'Histoire que les hommes retiennent, c'est qu'ils n'en retiennent aucune.  

Ces créatures qui marchent sur leurs pieds n'ont toujours pas compris que ce sont les partis pour lesquels ils votent depuis plus de trente ans et leurs politiques qui engendrent le succès de ce qu'ils appellent "l'extrême droite". Ils ne comprennent pas que le premier est le terreau qui permet au second de pousser avec plus de vigueur. Ils ne comprennent toujours pas que le prix à payer de leur prétendu barrage au fascisme, c'est le fascisme lui-même; icelui a déjà fort bien progressé ces sept dernières années. Ces bipèdes sans ailes à la cervelle de moineau semblent avoir oublié l'hommage à Pétain fait par Macron le 11 novembre 2018; ils semblent avoir oublié que le RN est aussi libéral que Macron, et ils se fourrent le doigt dans l'œil (dont l'acuité laissait de toute façon à désirer) s'ils croient que ce vote permet d'exprimer un "ras-le-bol"; ils semblent avoir oublié que la folle flicaille s'est totalement débridée et continuera de les tabasser toujours plus, que ce soit le pétainiste centriste ou le pétainiste de droite qui gagne; ils semblent avoir oublié que la deuxième droite du PS aujourd'hui incarnée par le NFP est un clone raté de la première droite aujourd'hui incarnée par EM. 

Slogan du régime de Vichy

Ils font semblant d'ignorer qu'en allant voter pour des libéraux de gauche avec un programme infaisable car europhile et OTAN-compatible, ils ne feront que renforcer l'extrême droite; même le programme commun de Mitterrand était plus ambitieux, et pourtant, cela avait mené à la destruction des conquêtes sociales communistes de la Libération et au succès du FN de l'époque. Finalement, le pire scénario qui pourrait arriver à ces pauvres bipèdes, ce serait que le NFP gagne... suite à leur échec inéluctable, cela enfoncerait le dernier clou dans le cercueil de la gauche.

Heureusement que je ne vis pas parmi eux et que mes ailes me permettent de garder ma tranquillité céleste. Toutefois, je me demande bien ce qui se passera lors de ma prochaine visite de leurs cités folles. Oh, dans les grandes lignes et dans le fond, tout est tristement prévisible, mais la forme spectaculaire risque de nous réserver de croquignolesques surprises. Le seul suspense qui reste est de savoir quel masque prendra cette vieille démocratie libérale à la botte de l'UE et de l'OTAN, pour jouer exactement la même comédie.

Et pourtant, je ne me lasse pas de ce spectacle tragique. Comme le vieux moustachu fou, j'applaudis des deux mains et je dis "Encore !" à cette danse grossière; cependant, de par ma nature de vautour, je jouis de ne pas subir les conséquences réelles calamiteuses de ces gesticulations mondaines... Si je vivais parmi les humains, je serai exaspéré par la stupidité de mes semblables, leur tapage inepte permanent, et l'énergie gaspillée à appeler vainement à voter ceci ou cela, à tel point que je serais tenté de vivre en ermite, afin de me reposer l'esprit par de saines lectures, seule chose utile à faire en ces périodes où la crétinerie électorale domine toutes les discussions. Mais fort heureusement, je peux remercier ma vie de bipède ailé de m'avoir octroyé le privilège de la salutaire solitude depuis que j'ai quitté mon premier nid.

Flap flap. Mes longues ailes commencent à fatiguer, je retourne donc vers chez moi. Suivons les sentiers montagneux, on ne sait jamais, des fois que... Ah, voiiiiilà. Un mort en bas de la falaise. Tiens, un bout de papier a été laissé en haut?

"Adieu les fachos, j'en ai marre de votre monde pourri d'opportunistes décérébrés."

Comme je te comprends, digne voyageur des montagnes. Ton sacrifice ne sera pas vain. Le mort nourrit le vivant; demain, je volerai plus loin et plus haut.

Flap flap. Me revoilà dans ma tanière avec une belle réserve de cadavre. De quoi tenir au moins une bonne semaine.
 
P'têtre bien que je retournerai voir ce qu'il se passe chez les humains d'ici là.

2 commentaires:

  1. Un fort joli texte, à la pertinence cinglante à peine voilée par une bonne dose d'humour noir. Cependant, si j'adhère aux idées comme à la prose, la forme manque quelque peu d'harmonie ; la métaphore du vautour est certes bien trouvée dans sa représentation d'un observateur détaché mais ce même détachement est contredit dans la façon dont les tirades s'enchaînent. Aussi aurais-je aimé voir cette métaphore poussée à son extrême, quitte à assimiler ces élections à une foire aux bestiaux.

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    1. Diantre, cela faisait plus de quatre années que ce vieux blog poussiéreux n'avait pas reçu de commentaire!
      Le reste de la population plumée ne peut promettre de pousser la métaphore à son extrême; toutefois, il est fort vraisemblable qu'elle soit filée dans d'ultérieurs récits à paraître prochainement ici même. Patience donc.

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